À chaque fois qu’il est pris entre deux feux, un front social bouillonnant et un énorme déficit budgétaire à combler, comme c’est le cas actuellement, le gouvernement préfère opter pour la facilité.
La facilité, c’est de tirer le maximum de l’assiette fiscale dont il dispose, au lieu de l’élargir en exploitant d’autres niches. Les entreprises, celles qui exercent dans le cadre de la loi, devront doublement payer : pour elles et pour celles qui ont choisi l’opacité de l’informel.
Le projet de loi de finances 2019 que le Conseil des ministres vient d’adouber est porteur certes de beaucoup de bonnes nouvelles pour la société. Aucune nouvelle taxe sur les prestations publiques, pas d’augmentation de celles existantes, hausse du montant des transferts sociaux et du budget de fonctionnement…
Mais l’entreprise doit encore attendre, l’allègement de la pression fiscale n’est pas à l’ordre du jour. L’entreprise algérienne supporte déjà une fiscalité parmi les plus lourdes au monde. Une étude du cabinet PwC réalisée en 2017 en partenariat avec la Banque mondiale et intitulée « Paying taxes 2017 », révélait que les PME algériennes étaient parmi les plus taxées au monde, avec un taux d’imposition total de 65,6%, soit largement au-dessus de la moyenne mondiale qui était la même année de 40,6%. L’étude avait pris en compte la pression fiscale globale, le temps nécessaire aux entreprises pour satisfaire les demandes fiscales et le nombre de paiements à effectuer. Sans surprise, l’Algérie était classée 155e sur 189 pays. Nos voisins font nettement mieux, selon la même étude : 49% d’imposition au Maroc, 60% en Tunisie et seulement 32% pour les entreprises libyennes.
Simultanément au maintien de la pression fiscale sur les entreprises, le gouvernement multiplie depuis plusieurs années les mesures visant à exclure plusieurs charges déductibles au plan fiscal. La dernière en date, c’est celle justement contenue dans le projet de loi de finances 2019 et qui plafonne les charges de publicité déductibles à seulement 2,5%.
Avant la publicité, on s’était attaqué à d’autres charges jugées non indispensables pour le fonctionnement de l’entreprise, comme les véhicules et le carburant. L’une des principales nouveautés fiscales introduite par la loi de finance 2018 concerne l’élargissement de la liste des charges non déductibles qui conduisent en réalité à gonfler de façon fictive le bénéfice des entreprises, et par conséquent l’impôt à payer.
Les dispositions de l’article 141 du code des impôts ont été complétées de manière à ne pas admettre la déduction des charges relatives aux loyers, dépenses d’entretien et de réparation des véhicules de tourisme pour la détermination de l’impôt sur les bénéfices des sociétés (IBS).
Cette exclusion qui s’applique aux « véhicules de tourisme ne constituant pas l’outil principal de production ». Or, toutes les entreprises utilisent des véhicules de tourisme dans leurs activités notamment pour assurer le déplacement des salariés, dans un pays où la voiture est quasiment incontournable.
Il est surprenant de lire que cette disposition vise selon les termes de l’exposé des motifs « à orienter les entreprises à consacrer leurs fonds et leur capacité de financement pour faire face aux dépenses nécessaires et ayant un lien avec l’exploitation ». C’est-à-dire que les entreprises vont dépenser de l’argent pour créer de la richesse et de l’activité, sans qu’elles puissent l’intégrer dans leur coût de production.
Pour d’autres charges, comme la restauration, les services des Impôts exigent qu’elles soient dûment justifiées par des factures, rejetant les bons que remettent d’habitude les restaurateurs et traiteurs. Ces derniers refusent souvent à facturer leurs prestations. Du coup, les entreprises se retrouvent entre le marteau du gouvernement et l’enclume de l’informel.
Certes, l’objectif peut paraitre louable en ce sens que toutes ces mesures sont destinées à lutter contre l’évasion fiscale et toutes formes de fraude. Sauf qu’elles sont susceptibles de produire l’effet contraire.
En management, il est connu que toute charge supplémentaire se répercute sur l’investissement et l’emploi d’abord, sur la fiscalité ensuite : chaque centime qui n’est pas investi et chaque emploi qui se perd constituent un manque à gagner pour le fisc. Cela, quand les entreprises ne sont pas poussées à la solution extrême : verser dans l’informel ou mettre la clé sous le paillasson. Trop d’impôt tue l’impôt.
C’est d’autant plus regrettable que cette pression fiscale continue ne constitue pas un choix par défaut pour le gouvernement pour qui les alternatives ne manquent pas. Beaucoup de poches fiscales potentielles demeurent inexploitées. L’informel brasse chaque année des sommes astronomiques dans quasiment tous les secteurs, sans rendre le moindre centime au fisc.
Un effort soutenu pour amener au moins une partie des commerçants exerçant au noir à se conformer à la réglementation et une forte taxation de certains produits de luxe, comme les résidences secondaires, sont des actions que le gouvernement doit ériger en priorités au lieu de presser encore et encore le déjà très faible et fragile tissu économique national.