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Quand Ouyahia rappelle les heures peu glorieuses du parti unique

Quand Ouyahia rappelle les heures peu glorieuses du parti unique

Ahmed Ouyahia, secrétaire général du RND et Premier ministre, a lancé un pavé dans la mare, ce jeudi, 18 janvier 2018, six jours après la célébration, pour la première fois officiellement, de Yennayer, premier jour du calendrier agraire amazigh.

Devant les membres du Conseil national de son parti, réuni à Zéralda, à l’ouest d’Alger, Ouyahia est revenu, contre toute attente, sur les événements du printemps berbère de 1980.

« Le président Bouteflika a libéré l’Algérie de l’hésitation et du mauvais jugement. Il suffit seulement de rappeler les erreurs politiques qui ont été commises en 1980 lors d’une simple conférence académique du professeur et homme de lettres Mouloud Mammeri », a-t-il déclaré.

C’est la première fois qu’un haut responsable de l’État parle « d’erreur politique » à propos d’un acte d’interdiction qui allait déclencher les manifestations du printemps de 1980 à Alger et en Kabylie et relancer de plus belle le combat pour l’amazighité.

Pour rappel, les autorités avaient, le 10 mars 1980, annulé une conférence culturelle que devait animer le linguiste et anthropologue Mouloud Mammeri sur la poésie kabyle. Cette annulation a provoqué un vaste mouvement de protestation, sévèrement réprimé surtout lors de la prise d’assaut de l’université de Tizi Ouzou dans la nuit du 19 avril 1980 par les forces de sécurité.

« Bouteflika n’était pas d’accord »

« Pour l’Histoire, un groupe des responsables de l’État a entendu le moudjahid Abdelaziz Bouteflika dire qu’il n’était pas d’accord avec la décision d’interdire la conférence (de Mouloud Mammeri) et la décision de réprimer les manifestations. Cela doit être inscrit dans l’Histoire », a appuyé Ahmed Ouyahia.

Personne jusque-là ne savait qu’Abdelaziz Bouteflika, ex-ministre des Affaires étrangères de Boumediene poussé vers la traversée du désert après l’arrivée de Chadli Bendjedid au pouvoir en 1980, était contre l’interdiction de la conférence de Mammeri.

Cette position politique n’a pas été exprimée publiquement.  Critiquant implicitement le régime de Chadli Bendjedid, Ouyahia a parlé « d’introduction timide » de tamazight dans la Constitution de février 1989, celle qui a mis fin à 27 ans du système du parti unique.

Ouyahia n’a pas parlé de la Constitution de 1996, votée alors qu’il était chef du gouvernement. Cette Constitution, qui a limité les mandats présidentiels, n’a prévu aucun statut à l’amazighité. « Comparons tout cela avec ce qui se passe aujourd’hui en Algérie avec l’introduction de tamazight dans l’enseignement scolaire depuis 1995 jusqu’à sa consécration comme langue nationale, puis officielle en 2016 et jusqu’à la proclamation du 1er Yennayer, comme fête nationale en 2017. S’ajoute à cela, la célébration par l’Algérie du centenaire de Mouloud Mammeri, sous le haut patronage du président Abdelaziz Bouteflika », a détaillé Ouyahia.

Ouyahia parle de « repères » et de « chouhadas » de l’amazighité

Selon lui, le parcours de la cause amazighe a des repères. Il a parlé de « chouhadas » (martyrs), statut reconnu jusque-là en Algérie que pour les combattants de la Guerre de libération nationale.

« Des chouhadas dont des jeunes de l’Algérie que Dieu ait leurs âmes en sa sainte miséricorde. Mais ce qui est sûr est que l’évolution de la cause et du dossier amazigh en Algérie est le fruit de la volonté politique du président de la République qui a confirmé sa fidélité à ses compagnons moudjahidines et chouhadas dont l’objectif était la libération de l’Algérie et la construction de l’Algérie unique et unifiée, loin des surenchères politiques ou des querelles politiciennes », a souligné Ahmed Ouyahia.

L’État a reconnu le statut de victimes pour les jeunes tombés sous les balles des forces de l’ordre lors des manifestations de 2001 en Kabylie (« printemps noir »). Ouyahia a qualifié « d’acquis brillants » les décisions prises par le chef de l’État en faveur de l’amazighité. « Le président a confirmé qu’il est patriote, qu’il veille à l’unité du pays et qu’il est conscients de enjeux lourd de l’Algérie en intérieur et en extérieur », a-t-il appuyé.

Calmer les appels de colère

Les mesures prises par Bouteflika en faveur de l’amazighité et l’intérêt officiel montré cette année pour la célébration du printemps berbère en avril visent, selon les déclarations d’Ahmed Ouyahia, à retirer le tapis sous les pieds des séparatistes et à calmer les appels de colère, exprimés en décembre dernier, à propos de la généralisation de l’enseignement de tamazight dans les écoles.

Fin décembre, le président Bouteflika a, lors du Conseil des ministres, chargé le gouvernement d’accélérer la préparation du projet de loi portant création d’une Académie algérienne de la langue amazighe.

« Le président Abdelaziz Bouteflika a rappelé que la Constitution révisée l’année dernière a définitivement scellée l’appropriation par le peuple tout entier de tamazight, elle aussi langue nationale et officielle, comme ciment supplémentaire de son unité nationale, en même temps que la Nation a mandaté l’État pour sa promotion et son développement », est-il souligné dans le communiqué du Conseil des ministres.

Pour Bouteflika, « le peuple tout entier » s’est approprié tamazight et pas uniquement les régions berbérophones. C’est donc une affaire nationale, pas régionale ou locale.

La Constitution de 2016 évoque la langue amazighe et ses variantes (chaoui, mozabite, targui, kabyle, zenète, tachlehit, ichenwiyen, etc). La future académie aura donc un rôle important en usant d’instruments scientifiques et techniques pour permettre une généralisation de la langue amazighe avec une grammaire, un vocabulaire une graphie plus au moins consensuels et pratiques.

Le ministère de l’Éducation nationale s’est engagé, de son côté, de former plus d’enseignants de la langue amazighe au niveau national. Depuis 1995, plus de 370.000 élèves se sont inscrits dans les cours de tamazight dans 38 wilayas.

El Hachemi Assad, président du Haut-Commissariat à l’Amazighité (HCA), a plaidé, dernièrement, pour la suppression du caractère facultatif de l’enseignement de tamazight à l’école. « Ce caractère demeure un écueil à la généralisation de son enseignement », a-t-il dit appelant à la révision de la loi d’orientation sur l’éducation nationale pour rendre l’apprentissage obligatoire. L’avenir du HCA, qui existe depuis plus de 22 ans, n’est pas encore clair puisque la future Académie pourrait bien remplacer cette institution qui est mise sous la tutelle de la présidence de la République.

Ouyahia ouvre la trappe du passé

Sur le plan politique, les nouvelles déclarations d’Ahmed Ouyahia, visiblement bien préparées, visent au moins deux objectifs. Le premier est communicationnel.  Il s’agit de détourner l’attention sur la polémique sur les privatisations et la Charte du partenariat public-privé (PPP).

Relancer le débat sur la question identitaire permet au Premier ministre de faire oublier quelque peu le rappel à l’ordre du président Abdelaziz Bouteflika sur le dossier de la privatisation.

Ali Haddad, président du Forum des chefs d’entreprises (FCE), et Abdelmadjid Sidi Said, secrétaire général de l’UGTA, se sont exprimés sur la question, mais pas Ouyahia. Du moins pour le moment.

Le deuxième objectif est plus politique. Mis sous pression et critiqué par le FLN depuis les élections législatives (avant qu’il ne soit nommé Premier ministre) et jusqu’à la fin 2017, Ahmed Ouyahia entend répondre à sa manière.

Il a, en parlant du printemps amazigh, rappelé le passé noir du FLN parti unique en évoquant « l’erreur politique ». Au sortir des années 1970, marquées par la répression de toutes les voix discordantes et l’étouffement des libertés, le FLN, en parti-État, craignait que les choses allaient changer rapidement, après la mort du président Houari Bouemdiène et l’arrivée de Chadli Bendjedi.

Il a donc soutenu la réponse répressive du pouvoir aux manifestations en Kabylie et à Alger. Dans son programme, le FLN parti unique, n’a accordé aucune place à la dimension amazighe de l’Algérie.

Évitant d’aborder les questions de l’heure, Ouyahia a donc ouvert la trappe du passé comme pour rappeler que le FLN n’a toujours fait son repentir par rapport au refus des libertés démocratiques et du pluralisme culturel et politique de l’Algérie. Cette trappe risque de mener vers un couloir mortel pour un FLN vieillissant et en panne d’idées.

 

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