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Que fait la Russie en Centrafrique ?

Que fait la Russie en Centrafrique ?

Depuis mars dernier, la protection rapprochée du président de la Centrafrique, Faustin-Archange Touadera, est assurée par des éléments des forces spéciales russes. Cette tâche fait partie d’un accord militaire plus vaste mis en œuvre après l’obtention par la Russie d’une dérogation du Conseil de sécurité pour la livraison d’un stock d’armes de guerre à ce pays en proie à une guerre civile chronique et sous embargo international sur les armes depuis 2013.

Cette présence militaire russe dans un pays – et plus largement un espace géopolitique, l’Afrique francophone – longtemps considéré comme le bastion de la France, signe-t-il un retour en force de la Russie dans le continent noir ? Est-ce là, en d’autres termes, le fruit d’une stratégie de redéploiement d’une puissance mondiale voulant changer les rapports de force sur un continent où les intérêts économiques et militaires occidentaux sont très présents ? Ou bien est-ce seulement une opération conjoncturelle faite à la demande de la Centrafrique ?

Une Centrafrique en guerre civile et sous embargo sur les armes

La Centrafrique est déchirée depuis 2004 par une guerre civile qui n’en finit pas. Après le coup d’Etat du général François Bozizé en 2003, s’ensuit en 2004, une rébellion armée emmenée par Michel Djotodia, qui ne s’arrête qu’à la signature en 2007 d’un éphémère accord de paix. Car en 2012, les combats reprennent. Cette fois, à la tête de la Séléka, une coalition rebelle plus large qui accuse le gouvernement de Bozizé de ne pas respecter les accords de paix, Michel Djotodia prend le pouvoir en 2013 et s’autoproclame président de la Centrafrique à l’issue d’un putsch. La Séléka et Djotodjia quitteront le pouvoir en 2014 sous la pression de la communauté internationale.

Dans un pays qui compte 80% de chrétiens et 20% de musulmans, le conflit s’enlise en un affrontement intercommunautaire. La Séléka, à majorité musulmane, commet des exactions contre les civils chrétiens. En représailles, les anti-Balakas, une milice à majorité chrétienne, s’attaque aux civils musulmans. Dans tout cela, les Forces armées centrafricaines (FACA) connues pour leurs mutineries et leurs attaques répétées contre les civils sous Bozizé, sont totalement dépassées. Ni Michel Djotodia et la Séléka, ni le Conseil national de transition, formé en 2014, ni le nouveau président Touadera, élu en 2016, n’arrivent à rétablir la sécurité dans le pays.

Face à cette situation, le Conseil de sécurité de l’ONU soumet les FACA à un embargo sur les armes, autorise la France, d’abord réticente, à déployer une opération militaire baptisée « Sangaris », et décide de l’envoi de la Mission des Nations Unies en Centrafrique (MINUSCA), une force d’interposition composée essentiellement de militaires africains. L’efficacité de la présence des forces internationales est très limitée. La sécurité est rétablie à Bangui la capitale, mais les combats entre factions armées de l’ex-Séléka et des anti-Balakas continuent à faire de nombreuses victimes.

De plus, les forces internationales font aussi face à la contestation de la population centrafricaine suite aux abus sexuels commis par des soldats français de l’opération « Sangaris » et des soldats congolais de la MINUSCA sur des enfants centrafricains. Cela déclenche des manifestations populaires dirigées contre la présence des troupes internationales, et surtout françaises. Le Congo retire ses troupes en 2016 et l’opération « Sangaris » prendra fin la même année. D’ailleurs, les ressentiments et la méfiance à l’égard de la France au sein de la population et des dirigeants de la Centrafrique sont assez répandus dans ce pays et se nourrissent d’un passé chargé.

La Russie dans un ancien bastion de la Françafrique

Ancienne colonie française, la Centrafrique bénéficiait d’une place de choix dans la politique africaine de la France des années 1960 et 1970. Connue sous le vocable de « Françafrique », cette politique initiée par le général De Gaulle et conduite jusqu’au temps de Jacques Chirac, consistait, avec l’aide opérationnelle des services secrets français, à s’assurer l’accès aux ressources naturelles des pays africains anciennement colonisés par la France en faisait en sorte que les régimes en place dans ces pays soient favorables aux intérêts français.

Pour ce faire, les services secrets français, et la cellule « Afrique » de l’Elysée, alors dirigée par un certain Jacques Foccart, s’employaient à tisser des réseaux de cooptation au sein des appareils étatiques et armées africains, à organiser des coups d’Etat ou à soutenir des régimes, mêmes dictatoriaux, en fonction de la docilité de ces derniers vis-à-vis de Paris. Le principe pour les dirigeants africains cooptés de cette manière était de céder l’exploitation des ressources naturelles de leur pays à la France en échange du soutien de cette dernière pour la conservation du pouvoir.

La Centrafrique ne faisait pas exception. Riche en uranium et en diamants, et se trouvant au cœur de l’Afrique, à une position géographique stratégique à cheval entre le Sahel et la région des Grands Lacs, la Centrafrique est longtemps, après son indépendance en 1960, dans ce qui était appelé « le pré-carré » africain de la France. Cette dernière, à une époque où elle développait son industrie nucléaire, avait besoin de l’uranium centrafricain. Elle a ainsi tour à tour aidé à renverser le premier président centrafricain, David Dacko en soutenant son successeur Jean-Bedel Bokassa, pour ensuite organiser le renversement de ce dernier et le retour du premier au pouvoir. C’est dire tout le passif de la France dans ce pays où elle y suscite toujours ressentiment, méfiance et défiance, comme l’illustre la décision du gouvernement centrafricain de faire appel à la Russie pour la protection de son président, Faustin Touadera.

Ressentiment car, il semblerait que le passé ne soit pas totalement étranger à cette décision. Des sources dans l’entourage du président centrafricain, citées par Jeune Afrique, font explicitement référence à l’absence de passé colonial de la Russie en Afrique puisqu’elle « n’a jamais colonisé un pays et ce n’est pas avec [la Centrafrique] qu’elle le fera » déclarait Fidèle Gouandjika, conseiller de Touadera. Méfiance, car les dirigeants centrafricains estiment que « la Russie n’a pas d’intérêts cachés », et ils n’excluent pas non plus la possibilité d’un coup d’Etat contre Touadéra. Ce dernier serait d’ailleurs « conscient des choses qui se manigancent contre lui depuis l’accord militaire avec la Russie » car « des occidentaux sont capables d’organiser [sa] chute » selon un autre conseiller du président cité par Jeuneafrique. Défiance, puisque l’entourage du président a bien conscience de gêner les intérêts français en faisait appel aux Russes.

Toujours selon Gouandjika, cette livraison d’armes constituait « un marché très important que la France voulait obtenir : elle se battait aussi pour obtenir la même dérogation [que les Russes]. Mais nous avons conclu avec la Russie, parce que ces dotations nous coûtent moins que celles de la France » déclarait le conseiller du président à Jeune Afrique. La France s’était en effet opposée à une première demande de dérogation russe au Conseil de sécurité, pour cette livraison d’armes, en brisant ce qui est appelé une « procédure de silence » qui veut que si aucun membre du Conseil ne s’y oppose, cette procédure est acceptée. La France s’est abstenue lors d’une seconde « procédure de silence » lancée par la Russie. En plus de livrer des armes et d’assurer la sécurité présidentielle, la Russie aidera aussi à former l’armée centrafricaine et à l’organiser.

La Russie, nouvelle force géopolitique en Afrique ?

Une question maintenant se pose : que fait la Russie en Centrafrique ? Est-elle juste en train de vendre des armes à un autre pays africain et de former ses forces armées ? Est-elle là pour bénéficier des ressources centrafricaines ? Ou bien la Russie est-elle en train de signer son retour en tant que force géopolitique majeure sur le continent africain après une absence de 27 ans depuis la chute de l’Union soviétique, en essayant de modifier les rapports de force sur un continent où se disputent intérêts américains, français et surtout chinois ?

En tout cas la Russie ne part pas de rien sur ce plan. Elle entretient avec l’Afrique une relation longue et solide, depuis l’époque où l’URSS soutenait politiquement et surtout militairement les mouvements africains de libération, notamment en Afrique australe. Après les indépendances, l’ex-URSS offrait sa coopération technique aux pays africains nouvellement indépendants, surtout à ceux qui avaient choisi son camp durant la guerre froide, pour les aider à bâtir leurs infrastructures. Nombreux aussi étaient les étudiants africains à avoir fait leurs études en URSS et qui occupent aujourd’hui des postes clés dans leurs gouvernements respectifs. Même à ce jour, la Russie n’est pas totalement absente en Afrique puisque certaines de ces entreprises sont présentes dans les secteurs des énergies et des mines africains, surtout en Afrique australe (Afrique du sud, Angola, Mozambique, Zimbabwe), mais aussi en Afrique de l’Ouest (Guinée, Mali, Ghana, Libéria et Côte d’Ivoire), l’objectif étant de participer à la compétition internationale pour les ressources naturelles. L’industrie russe de l’armement compte aussi de nombreux clients avec de gros acheteurs au nord (Algérie, Egypte), alors que de nombreux pays subsahariens souhaitent moderniser leurs arsenaux soviétiques. Cependant, la relation commerciale Russie-Afrique est très faible, puisqu’elle ne dépassait même pas les 5 milliards de dollars en 2013.

Ce chiffre illustre un peu le potentiel de la Russie à devenir une puissance géopolitique de premier plan en Afrique, car elle traine en fait deux handicaps majeurs, l’un sur le plan économique et l’autre sur le plan de la doctrine de sa politique étrangère.

D’abord, comme toute économie dépendante aux hydrocarbures, l’économie russe est vulnérable aux chocs externes tout en étant dépendantes aux importations de produits finis. Dans ce cas, difficile pour la Russie de projeter aussi bien ses produits que ses entreprises dans des contrées aussi lointaines pour y faire des affaires. Mis à part le secteur des énergies et des mines, la Russie ne dispose pas d’entreprises d’envergure mondiale dans les banques, les infrastructures, l’informatique par exemple, ou d’autres secteurs stratégiques à haute valeur ajoutée, qui pourraient venir concurrencer les entreprises américaines, françaises ou chinoises en Afrique.

Ensuite, dans la doctrine de la politique étrangère russe, sont définis deux espaces géographiques principaux : l’étranger proche et l’étranger lointain. La Russie, pour des considérations historiques, géographiques et géopolitiques qui lui sont propres, est surtout tournée vers son « étranger proche ». Cet espace comprend principalement, ses frontières occidentales avec l’Ukraine et les pays baltes, l’Asie mineure et le Caucase, qui est sa zone d’influence historique, ainsi qu’un peu de l’espace turcophone et une partie du Moyen-Orient, en Syrie principalement où la Russie possède une base navale à Tartous. Elle a même quelque peu délaissé l’Orient asiatique où la Chine, le Japon et la Corée du sud sont les principales puissances avec qui la Russie s’emploie à nouer des relations cordiales.

Pour ce qui est du deuxième espace, l’étranger lointain, la Russie qui se pense comme une citadelle en raison de l’étendue de son territoire et du peu d’alliés autour d’elle, s’en soucie moins. Elle est davantage préoccupée à sécuriser son espace immédiat, une préoccupation moins aigue chez les autres puissances mondiales, telles que les Etats-Unis et la Chine, ou même les Européens.

Le seul véritable atout de la Russie demeure sa puissance militaire et sa qualité de membre permanent du Conseil de sécurité qui lui permettent à tout le moins de conserver une posture défensive, sinon d’opposition dans cet « étranger lointain », qui peuvent de manière ponctuelle y gêner les intérêts d’autres puissances, comme ceux de la France en Centrafrique. Il ne serait pas étonnant d’ailleurs de voir la Russie se limiter à y apporter son savoir-faire militaire en échange d’un accès aux ressources minières centrafricaines. Mais là, seul l’avenir dira ce qu’il en est vraiment.

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