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Que reste-t-il de la politique arabe de la France ?

Que reste-t-il de la politique arabe de la France ?

La guerre entre Israël et le Hamas palestinien qui a éclaté samedi 7 octobre a forcé la France à prendre position dans ce conflit majeur. La diplomatie française, comme une grande partie de la classe politique en France, ont fait un choix franc et sans équivoque.

Ils donnent leur soutien total à Israël. Ce positionnement sans détours lisse l’opinion de la politique française et laisse penser qu’il n’y a absolument aucune place pour un camp pro-arabe.

Soutenir une politique arabe, un blasphème politique en France

C’est du moins ce que laisse penser la levée de boucliers face à la position perçue comme « dissidente » du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) mené par Philippe Poutou ou encore celle de la France Insoumise et de son leader Jean-Luc Mélenchon.

Les deux figures politiques et leur groupe politique ont créé la polémique en France pour avoir défendu les civils palestiniens dans ce conflit qui oppose le Hamas à Israël et qui a déjà fait plus de 1.000 morts dans les deux camps.

Le NPA a déclaré dans un communiqué « son soutien aux Palestiniens et aux moyens de lutte qu’ils ont choisis pour résister. » Pour ces propos, le parti est désormais menacé de poursuites judiciaires pour « apologie du terrorisme » par l’Union des étudiants juifs de France et l’association Avocats sans frontières.

Une interprétation reprise par Elisabeth Borne, la Première ministre qui a dit au micro de BFM TV que cette déclaration pouvait en effet s’apparenter à de l’apologie du terrorisme.

Mathieu Lefèvre, député du Renaissance (le parti d’Emmanuel Macron) en a même appelé à la dissolution de ce parti politique, estimant que ces déclarations sont « abjectes et antisémites ».

Le NPA a initialement souhaité défendre le peuple palestinien pris en étau dans ce conflit perpétuel. Il est l’un des rares partis à s’opposer à la position pro-israélienne de la France. Le parti de Philippe Poutou dit également « craindre que l’armée israélienne se permette les pires exactions et représailles, cela avec la bénédiction de la communauté internationale occidentale. »

La France Insoumise (LFI) qui a souligné le contexte de répression des Palestiniens dans lequel l’attaque a été déclenchée, a quant à elle été accusée de justifier et donc de soutenir la démarche du Hamas. « L’offensive armée de forces palestiniennes menée par le Hamas intervient dans un contexte d’intensification de la politique d’occupation israélienne à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem Est », a estimé le groupe parlementaire LFI.

S’opposer à la ligne directrice et officielle de la diplomatie française sur le conflit israélo-palestinien et la question arabe en général est un jeu risqué. De manière tacite, le gouvernement et le président français semblent fixer un point de non-retour dans sa politique arabe. Elle n’est plus une priorité.

Sous Jacques Chirac, l’apogée bien lointaine de la politique arabe française

La France a-t-elle définitivement changé de stratégie dans ses relations avec le monde arabe ? Cette coupure nette avec sa politique arabe héritée du général De Gaulle semble être le résultat d’un long processus d’éloignement de la France à l’égard de l’Orient.

Il est vrai que le conflit israélo-palestinien est un sujet complexe, dans lequel il est compliqué de laisser place à la nuance. Cependant, cette tendance à dissoudre les relations avec le monde arabe se ressent sur plusieurs dossiers.

Historiquement, la France mène une politique arabe privilégiée depuis l’ère de Charles de Gaulle. L’ex-président français avait posé des bases à l’issue de la Guerre d’Algérie. Une démarche qui avait été poursuivie par les présidents qui lui ont succédé avec un retour de flamme sous Jacques Chirac.

Le président français était très actif dans ses relations avec la région MENA. On se souvient de sa grande tournée au Proche-Orient, de ses relations proches avec Yasser Arafat, de son soutien du Liban et de sa rupture de relations avec la Syrie, après l’assassinat de Rafik Hariri ou encore de son rapprochement avec l’Algérie et de son opposition historique à l’invasion de l’Irak par les États-Unis. Jacques Chirac est aujourd’hui perçu comme le président le plus apprécié du monde arabe.

Nicolas Sarkozy ou la diplomatie commerciale

Malgré cet héritage, la politique arabe française n’a pas pu s’empêcher de s’étioler au fil du temps. Ou du moins prendre un certain virage dès le mandat de Nicolas Sarkozy. Le successeur de Chirac (2007-2012) a pris la politique arabe de la France à contre-pied.

Dès le début de son mandat, Nicolas Sarkozy s’est aligné sur les positions américaines en montrant davantage enclin à une politique pro-israélienne. Il a tenté de récupérer des relations avec Israël qui étaient au plus bas sous Chirac. Mais il a aussi tenté de rééquilibrer – symboliquement – sa stratégie sur le dossier israélo-palestinien en se positionnant contre la colonisation de la Palestine et en la soutenant lors de son adhésion à l’Unesco.

Nicolas Sarkozy a, à l’inverse de Chirac, repris un dialogue avec la Syrie, notamment avec le président Bachar el-Assad. Pour finalement s’en éloigner au déclenchement de la guerre civile dans ce pays en 2011.

Côté Maghreb, il a mené une politique tiède et non engageante, notamment auprès de l’Algérie en refusant de s’excuser pour la politique coloniale de la France.

En réalité, Nicolas Sarkozy n’a pas fait disparaître la politique arabe française, renforcée par Jacques Chirac. Il l’a transformée en négociation commerciale. Le rapprochement avec le Qatar, fièrement assumé par Nicolas Sarkozy, a notamment donné à la France de nouveaux partenaires commerciaux dans le monde arabe. Impossible d’oublier la diplomatie française auprès du Qatar rythmée par la vente d’Airbus A380 et autres investissements colossaux du Qatar en France (PSG, Vinci, Veolia).

Le dossier de la Libye et la chute de Mouammar Kadhafi ont également marqué un tournant majeur dans la politique arabe française sous Nicolas Sarkozy. Cette affaire est le symbole du conditionnement de la politique arabe de la France à ses intérêts politiques et financiers.

Le virage pris par Nicolas Sarkozy avec Kadhafi a marqué la politique intéressée menée par la France auprès des pays arabes. Comme il l’avait fait avec Bachar el-Assad, Nicolas Sarkozy a déroulé le tapis rouge à Kadhafi en 2007 pour complètement s’en détourner. 

Après un accueil en grand pompe, des négociations de contrats commerciaux faramineux qui ne se sont jamais concrétisés… Nicolas Sarkozy a changé son fusil d’épaule, en devenant soudainement l’ennemi du dirigeant libyen et en participant activement à sa chute en 2011. Notamment en lançant une intervention militaire au nom « des droits de l’homme » mais qui a surtout pris des allures de règlement de comptes.

Un dossier sombre qui trouvera peut-être son explication lors du prochain procès pour corruption passive et financement illégal de campagne de Nicolas Sarkozy. L’ex-président français est toujours empêtré dans l’affaire du financement occulte de sa campagne, dont Kadhafi aurait largement pris part.

Emmanuel Macron, politique à deux vitesses avec le monde arabe

Nicolas Sarkozy a laissé une politique arabe entachée de scandales, conditionnée à des d’affaires financières, pouvant se transformer en tendance belliqueuse en guise de legs politique à François Hollande.

Ce dernier a surtout essayé de faire oublier les scandales, sans défaire franchement les derniers choix de Nicolas Sarkozy concernant la politique arabe française ou l’héritage du général De Gaulle.

Le président de gauche a seulement poursuivi une démarche encline à protéger Israël en toutes circonstances et des échanges diplomatiques de base avec le reste du monde arabe sans réelle passion.

Ce sont les deux mandats d’Emmanuel Macron qui ont à nouveau changé la donne. Le président français n’est pas revenu à la politique arabe de la France tracée par le général De Gaulle.  Comme on a pu le voir avec cette dernière polémique au sein de la classe politique et la position franche de la France aux côtés d’Israël.

La politique arabe a forcément été influencée par la lutte en France contre l’islamisme politique. « La France, qui il y a une quinzaine d’années encore était le pays occidental le plus  populaire dans le monde musulman, semble depuis devenue le plus impopulaire. En la matière, une certaine spécificité historique française semble s’être effacée derrière une conjonction de raisons diplomatiques et de politique intérieure », souligne Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques dans son article « Une histoire de la politique arabe de la France ».

En effet, cette spécificité a fini de disparaître avec les multiples crises vécues par la France avec le monde arabe.

En 2020, l’affaire des caricatures du prophète Mohamed a mené à un boycott des produits français et une campagne dans certains pays arabes. La réduction drastique des visas en 2021 par la France a fait partie des nombreux sujets délicats qui ont mené à la déliquescence des relations franco-maghrébines. La France entretient des relations fragiles avec l’Algérie, mais avec aussi le Maroc.

Cependant, en parallèle, Emmanuel Macron a toujours tenu à soigner ses relations avec les Émirats Arabes Unis, le Qatar ou même l’Arabie Saoudite. Au cœur de cette diplomatie on trouve la lutte contre le terrorisme et des échanges commerciaux importants notamment dans le secteur de l’armement.

Dans cette région, de nouveaux dirigeants comme le président émirati Mohamed Ben Zaid et le prince héritier saoudien Mohamed Ben Salmane ont changé la donne dans le monde. Sous la pression des États-Unis, le premier a établi des relations entre son pays et Israël et le second a entamé des négociations pour lui emboîter le pas.

Finalement la politique arabe française actuelle prône une démarche à deux vitesses. Elle est même très proche de la définition qu’en donnait Michel Jobert, ancien ministre des Affaires étrangères sous Georges Pompidou. « La France n’a pas de politique arabe, pas plus qu’elle n’a de politique chinoise, mais elle a une politique de ses intérêts en direction des pays arabes », estimait l’ex-ministre.

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