Politique

Que signifie le silence du chef d’état-major ?

Depuis le début du mouvement populaire il y a près de quatre mois, la vie nationale est rythmée par les imposantes marches populaires du vendredi, celles des étudiants chaque mardi et les sorties publiques du chef d’état-major de l’ANP le même jour.

Sporadiquement, la classe politique et des personnalités nationales y allaient de leurs propositions, sans trop de conviction, tout le monde s’étant fait à l’idée que seul ce qu’avait à suggérer l’armée et la réponse de la rue pouvaient compter.

Mais depuis deux semaines, seuls les manifestants ont continué à s’exprimer avec la même détermination. Ahmed Gaïd Salah, lui, n’a pas parlé depuis l’allocution prononcée à Tamanrasset fin mai, dans laquelle il a réitéré que l’unique voie de règlement de la crise reste le dialogue.

Certes, il ne s’agit pas d’un silence total de l’institution militaire puisque celle-ci s’est exprimée entretemps par son autre canal habituel, la revue el Djeich, qui a détaillé dans son dernier numéro un plan de sortie de crise tout ce qu’il y a de plus conforme à la solution constitutionnelle.

Aussi, ce n’est pas la première fois depuis le début de la crise que le chef d’état-major s’abstient aussi longuement de prendre la parole. Entre le 30 avril et le 20 mai, dates de ses visites respectives en cinquième et quatrième régions militaires, il n’a pas soufflé mot sur la situation politique bouillonnante.

Le 5 mai, il était encore sur le terrain, à Oran, mais il avait préféré laisser le soin au chef de l’Etat par intérim d’émettre une nouvelle proposition de dialogue. Fin mai, Ahmed Gaïd Salah a repris ses visites de terrain en se rendant à Tamanrasset où il a réitéré que seule la concertation sereine permettra au pays de franchir l’étape actuelle.

Depuis, il s’est de nouveau confiné dans le silence. Le 6 juin, c’est Abdelkader Bensalah qui, malgré des soucis de santé apparents, a plaidé la cause du dialogue et de la solution constitutionnelle dans un message à la Nation. Ce 11 juin, les étudiants ont manifesté pour la seizième fois dans les rues d’Alger et des autres villes et le chef d’état-major a brillé par son silence pour le deuxième mardi de suite, même si personne ne l’attendait celui d’avant pour cause des fêtes de l’Aïd.

Cette éclipse n’a donc rien d’une nouveauté, mais elle appelle néanmoins des interrogations. La plus pertinente est de savoir s’il ne s’agit pas d’une volonté de l’armée de revoir sa stratégie vis-à-vis de la gestion de la crise en cours. Il n’échappe à personne en effet que lorsque le haut commandement de l’ANP a sommé les autorités concernées d’appliquer l’article 102 de la Constitution, fin mars dernier, il avait mis le doigt dans l’engrenage de la politique duquel il n’est pas toujours facile de se dégager.

Plus de deux mois après, le moins que l’on puisse dire est que l’armée en est pour ses frais, et bien plus : non seulement elle n’a pas réussi à régler la crise, mais elle a aussi prêté le flanc aux critiques les plus acerbes et surtout essuyé un désaveu en échouant à convaincre le peuple et la classe politique d’aller aux urnes le 4 juillet.

Défendre encore la présidentielle et la voir de nouveau reportée équivaudrait à un camouflet historique dont l’aura de l’ANP ne pourra s’accommoder. Un tel discrédit serait d’autant plus dommageable que les politiques auxquels incombe le devoir d’être aux avant-postes dans cette période cruciale, précisément ceux dont la rue réclame le départ, se complaisent dans le choix plus confortable de rester en retrait.

« Au moins Bedoui doit partir pour alléger la charge sur le commandement de l’armée. Ces politiques sont dans le confort. Ils ont poussé l’armée vers la confrontation et sont restés en retrait. Ce sont eux les responsables. Le peuple a demandé leur départ et non celui de l’armée ». Sans être un vieux routier de la politique, Ali Ghediri qui a fait cette analyse lundi sur TSA Direct, sait au moins de quoi il parle pour avoir passé les deux tiers de sa vie dans les rouages de l’institution militaire dont une partie en haut de la chaîne de commandement.

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