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Quelle(s) histoire(s) derrière les crânes de résistants algériens détenus en France ?

Quelle(s) histoire(s) derrière les crânes de résistants algériens détenus en France ?

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Des travaux de recherches ont permis au Musée de l’Homme de répertorier 41 crânes dans la collection algérienne.

Début décembre, lors de sa visite à Alger, le président français Emmanuel Macron s’est engagé à restituer à l’Algérie des crânes de résistants algériens acquis par des collectionneurs français pendant la colonisation.

Conservés depuis le 19e siècle dans les réserves du musée de l’Homme -site du Muséum national d’histoire naturelle- à Paris, il faut attendre mars 2011 pour que l’existence de ces crânes soit révélée au grand jour par l’historien et anthropologue algérien Ali Farid Belkadi.

Alors qu’il réalise un travail de recherche sur l’épigraphie phénicienne et libyque, il se penche sur le cas d’un médecin-major dans les bataillons de Tirailleurs algériens, Victor Reboud, intéressé par les stèles antiques libyennes. Ses recherches le conduisent alors sur les traces de René Vital, médecin-chef de l’hôpital militaire de Constantine, installé en Algérie depuis 1836.

Depuis 2011, plusieurs pétitions émanant de la société civile ont demandé la restitution de ces crânes mais l’État algérien ne s’est, en revanche, jamais manifesté pendant cette période pour engager une demande officielle de restitution.

Peu relayé jusqu’à présent, l’annonce du président Macron a largement contribué à la médiatisation du sujet. À Paris, l’institution qui conserve ces crânes tient à souligner qu’elle « accompagne les décisions prises par le président de la République » et se dit «  favorable à cette restitution », indique à TSA Pierre Dubreuil, le directeur général délégué du Muséum national d’histoire naturelle.

« Notre responsabilité, c’est la conservation ou la restitution », insiste l’institution. Mais pour être restitués à l’Algérie, ces restes humains -qui ont le statut de « propriété publique »- devront faire l’objet d’une demande officielle de la part de l’Algérie qui devra porter sur des restes formellement nommés et identifiés. Suivra ensuite une procédure de déclassement de ces biens du domaine public.

Des travaux de recherches ont permis au Musée de l’Homme de répertorier 41 crânes dans la collection algérienne. Selon la classification retenue, sept sont associés à des figures de la résistance à la colonisation au milieu du XIXe siècle, six à des supplétifs, et 28 dont « les informations diverses ne nous permettent pas de dire qu’ils appartiennent à des résistants », précise l’institution parisienne.

Dans le contexte de la colonisation, des figures de la résistance algérienne -qui deviendront des modèles pour le mouvement national algérien du XXe siècle- sont tuées lors de la bataille de Zaatcha en 1849 qui oppose les troupes françaises aux résistants.

Ces hommes deviennent alors des « trophées de guerre », puis  entrent dans les collections du musée parisien en 1880, après un don du docteur Vidal. « Il faut toutefois replacer ces événements dans leur contexte : celui de la tradition ancienne des trophées de guerre qui perdure à l’époque de la conquête coloniale », rappelle Alain Froment, chercheur-anthropologue au Musée de l’Homme. « Les médecins militaires expédiaient ces trophées au Musée de l’Homme pour qu’ils soient étudiés. La démarche avait donc une visée anthropologique pour comprendre l’évolution de l’espèce humaine », rappelle t-il.

Le premier de ces résistants conservé à Paris est le célèbre Chérif Bou Barla (Boubaghla), ou Mohammed Lamdjad Ben Abdelmalek, chef de la résistance en Kabylie de 1851 à 1854. Le second, présenté comme « compagnon » de Bou Barla ou comme son « lieutenant », se nomme Issa el Hammadi. Les archives citées par Ali Farid Belkadi dans son livre consacré à ce héros de la résistance « Boubaghla : le sultan à la mule grise : la résistance des Chorfas » présentent cet homme comme « un des plus adroits et des plus hardis voleurs ou coupeurs de routes de l’Algérie ».

Le troisième du nom de Bouziane est présenté comme « un défenseur de Zaatcha ». Il « fut décapité à l’issue du siège de Zaatcha », apprend-on dans l’ouvrage de Belkadi. Puis trois autres hommes  identifiés comme insurgés : Si Moussa (Hadj Moussa), présenté comme compagnon de Bou Ziane, le chérif Bou Amar Ben Kedida et le « faux chérif » Bou Hmara, Si Mokhtar ben Si Kouider el Titraoui, « de la tribu des Ouled el Boukhari, commune de m’fatha (Médéa), morts en combattant les Français en Kabylie », écrit Belkadi.

On trouve également Eddine ben Mohammed, tué en 1895 « un des premiers insurgés, meurtrier du Lieutenant Weinbrenner en 1881. Ce crâne est un don d’un médecin, le Dr Beaussenat au Musée de l’Homme. »

Selon les travaux de recherches réalisés par l’institution parisienne, on trouve également six soldats « morts de maladies » sous l’uniforme français. « Nous avons des éléments qui certifient l’origine et nous permettent de dire que ces six sujets sont des crânes de supplétifs », indique à TSA le directeur général délégué du Muséum national d’histoire naturelle.

Figurent Amar ben Soliman, présenté par les Archives du musée de l’Homme comme un « Arabe de la province d’Alger, tirailleur au service de la France, mort à Alger, le 30 mai 1843 d’une variole confluente », Belkacem ben Mohamed el Djennadi, « Kabyle de la province d’Alger, tirailleur au service de la France, mort à Alger le 3 mai 1843 ».

Sont également conservés : les crânes de Ferhat ben Ahmed, « Arabe de la province d’Alger, tirailleur au service de la France, mort âgé, à Alger, le 22 février 1843 », de Brahim ben Mohamed, originaire de la « province d’Alger, tribu des Mhalla, tirailleur au service de la France, mort à Alger le 29 novembre 1842, des suites d’une pneumonie aiguë ». Puis, ceux de Mokhtar ben Zian, « tirailleur au service de la France, mort à Alger le 27 février 1843 », et de Belkacem ben Mohamed de la « province d’Alger, mort à Alger le 4 novembre 1842, étant au service de la France ».

Si tous ces restes humains ont été collectés dans le contexte de la colonisation française en Algérie, le Musée de l’Homme indique que 28 crânes sur 41 n’appartenaient pas à des insurgés ou à des résistants. Selon les archives du Musée de l’Homme, certains d’entre eux seraient « des prisonniers de droit commun morts en prison et dont le corps n’a pas été réclamé », explique à TSA Alain Froment, anthropologue au Musée de l’Homme.

Figurent ainsi parmi les crânes conservés à Paris : Yahia ben Said ; décrit comme « Arabe de la tribu des Béni Salem, 44 ans, voleur, mort au pénitencier de l’île Nou, en Nouvelle Calédonie », ou encore Salem ben Messaoud « Arabe des environs d’Alger, mort à l’hôpital le 6 décembre 1838, venant de la prison militaire. Cet homme qui passait pour avoir volé ». Puis, Kaddom ben Makhloud « mort à l’hôpital le 12 décembre 1838, venant, comme le précédent de la prison militaire », et Saadi ben Raoui « Kabyle de la tribu des Béni Mehenna (…) Ce fut en 1845 qu’il commença la série de crimes qui ont amené à sa mort ».

D’autres  – au nombre de huit- appartiendraient à des anonymes décédés dans des hôpitaux algériens, dont les corps n’ont sans doute jamais été réclamés. Les restes ont été collectés par des médecins à l’époque de la colonisation, puis donnés au Musée de l’Homme à Paris. Dans les réserves du musée parisien, un crâne de femme non identifié -la seule de la collection- surnommé la « sorcière de Blida », est également répertorié.

À date, aucun historien ne s’est penché sur l’histoire de cette femme. « Des  archives doivent dormir quelque part », suppose le chercheur Alain Froment. Un crâne de pied-noir s’est également glissé dans la collection algérienne du musée : un Espagnol, du nom de Francisco Sabater, guillotiné à Oran, détaillent les archives récoltées par le musée de l’Homme. De ce personnage, on sait qu’il est « né vers 1859 à Bila, Espagne », qu’il était SDF et qu’il fut condamné pour « assassinats, vol qualifié, tentative d’assassinat et violences à agent ».

La procédure de restitution pourrait prendre plusieurs années. Une fois que l’Algérie aura fait une demande de restitution en bonne et due forme,  un comité technique franco-algérien devra se réunir et débattre. Une loi devra ensuite être votée au Parlement français pour autoriser la restitution à l’Algérie de ces crânes conservés à Paris. Deviendront-ils alors le symbole de la réconciliation sur la question mémorielle entre Paris et Alger ?

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