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Rabeh Sebaa, sociologue : « La triche est un phénomène sociétal en Algérie »

Rabeh Sebaa, sociologue : « La triche est un phénomène sociétal en Algérie »

Rabeh Sebaa, sociologue .

La triche au Bac a pris des proportions inquiétantes ces dernières années, obligeant les autorités à prendre des mesures radicales, pour lutter contre ce phénomène.

Dans cet entretien, le sociologue Rabeh Sebaa revient sur les significations sociales du phénomène de la triche qui ne touche pas uniquement le Bac en Algérie.

TSA. Que pensez-vous des coupures d’Internet comme méthode pour lutter contre la triche au BAC ?

Tout d’abord, je suis étonné du fait qu’on coupe Internet de manière générale alors qu’on peut recourir à une coupure ciblée. La technique le permet.

Pour ce qui est du BAC, c’est devenu une sorte de châtiment national. Quand on voit les répercussions sur les entreprises et les infrastructures économiques, c’est incompréhensible d’autant plus que cela dure depuis plusieurs années maintenant.

Il s’agit d’une sanction collective imposée aux Algériens. Sur le plan sociologique, c’est la colère des gens qui ressort en premier pour tous les désagréments occasionnés.

TSA. Que peut-on comprendre des coupures d’Internet comme solution pour lutter contre la triche au Bac ?

C’est clairement un aveu d’échec de la part de ceux qui ont choisi cette méthode pour lutter contre la triche. C’est aussi un aveu d’échec national du système éducatif algérien.

Le phénomène de la triche n’est pas propre à l’Algérie. Toutes les sociétés du monde le vivent quelque soit sa forme à des degrés différents bien évidemment.

Chez nous, cela prend tellement d’ampleur que ça devient un problème national pas seulement pour le Bac.

À l’université, la triche est un problème qu’on vit toute l’année et pas uniquement pendant quelques jours. Quand je parle de faillite du système éducatif, j’englobe tous les paliers, de l’école primaire jusqu’à l’université.

En coupant carrément Internet pendant une semaine, les autorités reconnaissent en quelque sorte l’importance du phénomène de la triche. Au lieu d’empêcher les gens de tricher, il faudrait faire en sorte qu’ils ne trichent pas.

Cela passe par un enseignement de qualité basé sur l’éthique. J’en ai moi-même fait l’expérience à l’université. J’autorisais même mes étudiants à se documenter pendant les examens car je faisais des sujets de réflexion et d’analyse.

Il leur était impossible de copier et cela avait donné des résultats magnifiques. Il faut évaluer les raisonnements au lieu de juger l’information. C’est le traitement de l’information qui doit prévaloir.

Le phénomène s’est tellement généralisé qu’on a l’impression qu’il faut tricher pour réussir qu’en dites-vous ?

On en est là malheureusement. La triche n’est pas limitée au domaine scolaire. C’est un phénomène sociétal en Algérie. Il y a de la triche à tous les niveaux.

Il y a bien évidemment la corruption qui est la forme de triche la plus connue. On triche aussi pour les papiers administratifs, au Code de la route, pour tout… C’est un phénomène qui touche toute la société et il faut l’appréhender en tant que tel.

Où sont passées les valeurs et les vertus de la société algérienne ?

La triche au sens large du terme gangrène toute la société algérienne. Il y a un nouveau texte de loi sur la lutte contre le faux et usage de faux.

Un autre est en préparation sur la fraude des documents administratifs parce que c’est aussi de la triche contre laquelle veulent lutter les autorités.

L’échelle des valeurs est totalement bouleversée en Algérie et le phénomène de la triche au BAC en est un exemple édifiant. Il faudrait rétablir un certain nombre de valeurs pour faire en sorte qu’on songe plus à la triche.

L’Algérien a été habitué depuis pratiquement les années 1960-1970 à entendre qu’il est le meilleur, qu’il a droit au logement et à la santé gratuitement.

On a façonné un individu assisté. Dans la société, un trabendiste qui roule en véhicule 4×4 et qui a une villa est mieux considéré, même si on a des soupçons sur l’origine de sa richesse, qu’un enseignant dont on sait qu’il travaille honnêtement.

On dit du trabendiste « qafez » (littéralement traduit de l’arabe dialectal comme ayant bondi vers l’avant) alors qu’on dit de l’enseignant « pauvre naïf ».

Nous vivons une déliquescence des valeurs morales qui dure depuis une quarantaine d’années maintenant. Nous avons combattu les valeurs fondatrices d’une société que sont le travail et l’éthique.

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