Société

Relogement : de la précarité des bidonvilles à la violence des cités dortoirs

La réception de grands projets accompagne depuis des décennies la célébration des fêtes nationales. La commémoration cette année du déclenchement de la guerre de Libération, le 1er novembre, ne déroge pas à la règle avec cette immense opération de relogement décidée par les autorités et qui devrait toucher toutes les wilayas du pays. On parle de 85 000 logements, toutes formules confondues, à distribuer d’un trait.

Sans doute que les autorités locales mettront les petits plats dans les grands et tout l’attirail sera au rendez-vous, pour graver un tel grand moment de la vie nationale : des troupes de zorna, aux caméras de l’ENTV, en passant par le désormais incontournable portrait géant du président de la République. Sans doute aussi que les youyous des femmes fuseront, tels des cris de délivrance après des années, des décennies voire toute une vie de promiscuité, de nuisances et d’insalubrité.

On ne peut qu’applaudir et saluer toute réalisation œuvrant au développement du pays, de surcroît quand elle contribue à atténuer la souffrance des citoyens et à améliorer leur cadre de vie. Mais au risque de passer pour des rabat-joie, on ne peut ne pas souligner l’absence de vision et d’études sérieuses prenant en compte tous les aspects dans l’élaboration de ce genre de projets.

Au bout, on l’a vu du moins lors des précédentes opérations de relogement à Alger, les « heureux » bénéficiaires déchantent et voient leur vie tomber de Charybde en Sylla. Beaucoup quittent, en effet, la promiscuité et l’insalubrité des bidonvilles et des habitations précaires, pour l’enfer de la guerre des gangs dans des cités à la population hétéroclite, venue de quartiers différents.

Du reste, même les plus hautes autorités du pays le disent et le reconnaissent publiquement. Pas plus loin que le début de ce mois d’octobre, le Premier ministre Ahmed Ouyahia, s’exprimant devant les femmes de son parti, le RND, exhortait la famille algérienne à jouer pleinement son rôle et à « éduquer » ses enfants pour aider à endiguer la violence qui sévit dans la société.

Ouyahia ne pouvait donner meilleur exemple, que le calvaire que vivent les locataires des nouvelles cités, du fait des affrontements quasi quotidiens entre bandes de délinquants, qui se disputent les nouveaux territoires. Certes, ce ne sont pas toutes les nouvelles cités qui sombrent dans l’anarchie et la violence, mais beaucoup s’avèrent invivables.
A qui la faute ? Le Premier ministre accable la société, mais ne souffle pas mot sur la responsabilité du gouvernement et ses démembrements. Pourtant, tout compte fait, ce sont eux qui, par leur obsession des chiffres et des délais, ont fait que des projets d’envergure soient bâclés car conçus et réalisés dans la précipitation.

A leur décharge, il faut dire que la pression était trop forte et l’est toujours. La ville d’Alger, par exemple, comptait dans les années 2000 environ 40 000 bidonvilles à éradiquer, sans compter les habitations vétustes du centre-ville et la demande « ordinaire » sur le logement induite par l’accroissement de la population. Les autorités ne pouvaient raisonnablement relever en quelques années seulement le double défi de reloger tous les demandeurs tout en leur garantissant un cadre de vie idéal.

Une cité ne se limite pas aux logements qui la composent. Le raccordement aux différents réseaux (eau, énergie…), les voiries et les infrastructures de services publics et de divertissement (écoles, crèches, centres de soins, maisons de jeunes, postes de police…) sont tout aussi importants que les F3 ou F4 à distribuer.

Or de nombreuses cités réalisées ces dernières années – et assurément celles que les autorités s’apprêtent à livrer – sont dépourvues de certaines de ces commodités. Juste une succession sans fin de blocs uniformes, comme on peut en voir à la nouvelle ville de Bouinan, dans la wilaya de Blida, où les vastes champs d’orangers ne sont plus qu’un vague souvenir.

Des cités dortoirs sont, en fait, un peu comme celles qui ont valu leur triste réputation aux banlieues de la ville de Paris, en France.

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