Économie

Remaniement ministériel : les limites du cumul de fonctions

Aïmene Benabderrahmane n’est plus ministre des Finances, poste qu’il cumulait avec celui de Premier ministre depuis fin juin 2021. Il aura donc fallu seulement 7 mois et demi pour que l’expérience montre toutes ses limites.

Jeudi 17 février, le président de la République a procédé à un léger remaniement ministériel, rappelant notamment Abderrahmane Raouiya comme premier argentier du pays.

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Ce changement survient après plusieurs couacs et rétropédalages dans la gestion du secteur et de la politique économique et financière du pays.

Lorsque Benabderrahmane a été nommé Premier ministre, il était déjà ministre des Finances dans le gouvernement sortant. Le chef de l’État avait expliqué sa décision de le maintenir à la tête de ce département par le fait qu’il avait une maîtrise des dossiers financiers et économiques.

« Pour l’avenir, c’est l’économie et le social, donc financier et vous êtes au courant de tous les dossiers financiers », avait dit Tebboune à Benabderrahmane, mercredi 30 juin.

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En quelque sorte, Abdelmadjid Tebboune ne souhaitait pas provoquer de cassure dans la conduite des réformes économiques et financières. Les observateurs avaient aussi conclu à la priorisation de la relance économique dans un contexte difficile, marqué par la baisse des recettes pétrolières et l’érosion des réserves de change.

Le procédé n’était pas tout à fait nouveau. Sidahmed Ghozali puis son successeur Belaid Abdeslam avaient assuré simultanément les charges de chef du gouvernement et de ministre de l’Économie au début des années 1990.

L’expérience cette fois n’a pas fait long feu, dans une conjoncture très compliquée. Le premier grand couac pour Aïmene Benabderrahmane fut l’épisode du rapport très controversé de la Banque mondiale en décembre dernier.

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Le rapport était critique vis-à-vis de la situation économique de l’Algérie, pointant la lenteur des réformes et prévoyant un « séisme économique ».

Les rédacteurs du rapport avaient précisé que les autorités algériennes, à travers le ministère des Finances, avaient pris connaissance de sa teneur avant sa publication.

En Algérie, le Premier ministre, également ministre des Finances, était l’une des rares voix à trouver le rapport pas totalement « négatif ». L’agence officielle APS avait produit une série de dépêches très critiques vis-à-vis du rapport, même après la sortie de M. Benabderrahmane.

Un simple réaménagement technique ?

Avant et après cet épisode, il y a eu des rétropédalages sur des décisions qui engagent directement Benabderrahmane, soit en tant que Premier ministre ou en sa qualité de ministre des Finances.

C’est le cas par exemple du système des subventions. Fin novembre, le président de la République Abdelmadjid Tebboune est intervenu après l’adoption du projet par le Parlement pour recadrer le débat sur la fin du système des subventions généralisées, projet phare du gouvernement Benabderrahmane.

Le chef de l’État avait assuré que la révision de ce système passera par « un débat national » élargi, ce qui n’a pas été le cas avant l’adoption du projet par les deux chambres du Parlement.

Il a également dit que cette réforme « nécessite un certain niveau de numérisation et des statistiques précises sur les revenus en vue de classer les catégories pauvres, moyennes et riches ».

Du coup, la réforme a été mise en veilleuse. Le projet a été acté dans la Loi de finances 2022 qui prévoit une autre formule de soutien aux couches défavorisées, et surtout la mise en place d’un mécanisme pour son application, ce que n’a pas été encore fait.

Plus d’un mois après l’entrée en vigueur du texte, le gouvernement a annoncé la baisse des prix des pâtes alimentaires grâce au retour à la subvention des producteurs.

Cela signifie au moins que la levée des subventions ne sera pas pour cette année, d’autant plus que le mécanisme de substitution prévu par la Loi de finances tarde à être mis en place.

Puis, ce sont des mesures applicables contenues dans la Loi de finances 2022 qui ont été gelées par le président de la République. La remise en cause qui a fait le plus de bruit c’est celle des taxes supplémentaires introduites par la même Loi de finances sur certains produits de base.

Dimanche 13 février, soit 4 jours avant le mini-remaniement ministériel, le Conseil des ministres a pris la décision de geler ou d’annuler les taxes prévues sur les produits alimentaires et les équipements informatiques.

Le président Tebboune a expliqué que les taxes ne pouvaient pas être maintenues avec la très forte hausse des matières premières sur les marchés internationaux. Il y a eu aussi entre-temps une embellie des cours du pétrole qui frôlent désormais les 100 dollars le baril.

La levée des mesures considérées comme antisociales est donc motivée par la survenue d’une autre réalité économique, du moins de nouvelles donnes. Le gouvernement a-t-il manqué d’anticipation sur la hausse générale des prix au niveau mondial ? En tous cas, certains y vont un désaveu à Aïmène Benabderrahmane, mais le gouvernement par la voix du ministre de la Communication Mohamed Bouslimani a nié toute mésentente entre le président et son premier ministre.

La preuve, Benabderrahmane a gardé son poste de Premier ministre et jouit toujours à priori de la confiance du chef de l’État. S’agit-il donc d’un simple réaménagement technique ?

Dans l’épisode du rapport de la Banque mondiale, certains avaient vu le prélude à un changement de gouvernement. Celui-ci n’a pas eu lieu, mais la formule introduite à l’été 2021, soit le cumul des fonctions de ministre des Finances et de Premier ministre a fini par être abandonnée.

Sans doute que la situation complexe du pays et les défis économiques, sociaux et politiques ne permettent pas la dispersion des efforts et du Premier ministre et du ministre des Finances.

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