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Rencontre Tebboune-Médias : « La sortie de mercredi soir semble prématurée »

Rencontre Tebboune-Médias : « La sortie de mercredi soir semble prématurée »

Comment analysez-vous la prestation de Tebboune mercredi dernier lors de sa rencontre avec les Patrons de médias ?

Redouane Boudjema, Professeur à l’université d’Alger, spécialiste de la communication et des médias. Nous devons préalablement nous entendre sur la nature de la rencontre de mercredi. S’agissait-il d’un point de presse, d’une rencontre entre amis, d’une réunion avec les relais médiatiques personnels du président ou avec des membres des réseaux qui l’ont imposé au palais ? S’agit-il d’une tribune destinée à informer le public sur des décisions prises ? Ou alors d’un exercice préliminaire pour enclencher un processus de communication institutionnelle avec les citoyens ?

Une chose est sûre, c’est qu’en matière de communication lorsque l’on prépare la sortie médiatique d’un président, il faut déterminer le message principal à transmettre, définir et structurer les arguments de ce message, ou organiser l’annonce de décisions importantes. C’est la raison pour laquelle un président ne rencontre pas la presse de manière improvisée. L’usage veut que l’homme investi d’une telle mission s’exprime par exemple après 100 jours passés aux commandes ou à l’occasion d’un évènement important pour la nation.

Si ce formalisme n’est pas retenu, les communicants optent pour des modes moins contraignants tels que les communiqués de presse, un point de presse d’un haut fonctionnaire de la présidence, etc… Mais si l’on n’a pas de message spécifique à faire passer, l’on doit apprendre à se taire, car le silence est une forme de communication. Il arrive souvent que le silence maitrisé évite des incompréhensions en ne créant pas de faux problèmes qu’un discours improvisé risque de transformer en vrais problèmes.

La sortie de mercredi soir semble prématurée. Un président désigné à l’issue d’un scrutin qui a eu l’allure d’un passage en force se risque ainsi à un exercice complexe. Un mois après son installation, le président, pour ne rien annoncer de concret, tous les verbes qu’il conjugue sont au futur. Énoncer un catalogue de bonnes intentions très banales, sans aucune originalité.

Cette sortie médiatique démontre, une fois de plus, la faible compétence du personnel politique, médiatique et communicationnel. L’impression que l’on en retire est que le système en crise a transformé le scrutin du 12 décembre en une fin en soi et transformé une opération de communication de son président en exercice formel et sans grande substance.

Le format, autour de sept médias représentés par leurs patrons, est-il le mieux adapté pour une première sortie médiatique du chef de l’État ?

Une observation significative avant de répondre à votre question. Dans la composition de ce panel médiatique, d’aucuns ont remarqué l’absence de journalistes femmes. Il est pourtant notoire que cette profession s’est massivement, et heureusement, féminisée. Cette absence criante de femmes journalistes a donné l’impression d’un monde figé dans les années 1970.

Pour les sept médias, je ne souhaite pas entrer dans ces considérations politiciennes, mais il apparait nettement que le choix des médias répond à la logique des réseaux du président et de ceux qui l’ont imposé au palais. Les médias présents ont soutenu la tenue du scrutin du 12 décembre 2019 et la candidature de Tebboune. Il est clair que les personnels chargés de communication de la présidence ont décidé de la forme de cette rencontre et sélectionné les médias. Ce choix est basé sur une approche de communication sans grand rapport avec le travail journalistique. Ce qui signifie que les journalistes présents mercredi se sont transformés en supports de stratégie de communication institutionnelle. Ce qui est corroboré par le fait que les présents ont chargé le rédacteur en chef d’El Khabar de remercier le président d’avoir ouvert les portes d’El Mouradia. Ce qui a été compris comme la reconnaissance par les journalistes présents d’avoir atteint leur objectif réel qui consiste à accéder à la Présidence. Ce qui est pour le moins secondaire par rapport aux questions qui préoccupent l’opinion, tels le problème des prisonniers politiques et du Hirak, les victimes des années 90, la crise économique, le taux d’inflation les défis sur la scène internationale, la transition énergétique, etc.

Quelles sont les réussites et flops de l’entretien de mercredi soir ?

Je préfère répondre à votre question par une autre question sur l’opportunité d’un tel exercice : pourquoi cette sortie médiatique et pourquoi maintenant ? Je peux seulement dire qu’il s’agit d’une occasion gaspillée, d’un revers sur le plan politique communicationnel et même technique, un entretien enregistré mal monté, sans messages clairs et définis.

Le décor de l’émission a été beaucoup critiqué sur les réseaux sociaux. Ces critiques sont-elles justifiées ?

Un décor dans les dimensions de l’audiovisuel est conçu pour mettre en valeur celui qui va communiquer, et mettre en valeur l’institution qu’il incarne. Ce décor ne doit jamais être un obstacle au message verbal. Or cet élément d’importance, fort mal calibré, met en exergue le fait que ce qui s’est passé mercredi est la synthèse de ce qu’il ne faut jamais faire en communication audiovisuelle.

Sur le fonds, le président a-t-il évoqué l’ensemble des sujets importants ?

Les sujets importants pour le système ou pour la nation ? Ce que j’ai entendu donne l’impression que ce système ne peut plus offrir grand-chose. Il est forclos, en l’occurrence son expression a bien sa réalité ultime.

Quels sont les principaux messages que vous avez retenus de cette interview ?

D’emblée, pour nombre d’observateurs politiques, Tebboune qui n’a jamais été candidat dans une élection, a été imposé au palais d’El Mouradia. S’impose donc naturellement la question de savoir s’il dispose des moyens de changer ou d’imposer une politique. Quelle est sa vision ? Quelle stratégie présidentielle envisage-t-il, lui qui n’a jamais été un homme politique ? Est-il en mesure de comprendre la révolution du 22 février qui exige un changement de paradigme ? On peut en douter, l’image qui a été véhiculée est celle d’un homme de pouvoir tributaire des réseaux qui l’ont porté.

Pour le prochain rendez-vous, quels sont vos suggestions à l’équipe de communication du président ?

Le problème de l’Algérie n’est pas un problème technique mais de nature politique. La communication ne fait pas le politique, elle ne construit aucune légitimité et ne peut rien régler sans philosophie, sans vision, sans stratégie et sans programme. Pour le reste, il est possible de recruter les meilleurs experts en communication et débourser des milliards au profit des plus prestigieuses boites de communication rien n’avancera sans la résolution du préalable essentiel : la seule modernisation institutionnelle réelle, celle fondée sur les règles de l’État de droit, un État des citoyens et des citoyennes, de débats et de choix responsables, qui seuls justifient d’une communication efficace et digne de ce nom.

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