Économie

Réserves de change et déficit externe de l’Algérie : qui a raison… et qui a tort ?

La poursuite de la chute des cours pétroliers accélère la fonte des réserves de change de l’Algérie et inflige un démenti aux projections très optimistes du gouvernement. Les conséquences pourraient être importantes pour l’avenir économique de notre pays.

Qui a tort ? Qui a raison ? Les institutions financières internationales, ainsi que la plupart des économistes indépendants, annoncent une poursuite de la chute de nos réserves de change et une probable crise financière dès 2022.

Le gouvernement algérien de son côté vient de rendre publique, dans le projet de loi de Finances pour 2021, des prévisions qui anticipent un redressement spectaculaire de la balance des paiements dès l’année prochaine et une stabilisation de nos réserves financières internationales au cours des prochaines années

Dans une contribution récente publiée dans la presse, l’expert algérien Aberrahmi Bessaha estime qu’ « en 2021, le solde global de la balance des paiements fera apparaître un déficit d’environ 21 milliards de dollars. La couverture de ce dernier va diminuer nos réserves de change qui passeront ainsi à 25,8 milliards de dollars à fin 2021, un niveau inadéquat pour couvrir les besoins du pays en 2022 ».

Les prévisions de cet expert sont assez proches de celles formulées récemment par le Fonds monétaire international (FMI) qui évoquait en octobre dernier un déficit probable de la balance des paiements de l’Algérie de l’ordre de 16 % du PIB (soit plus de 23 milliards de dollars) pour l’année 2021.

Ce n’est pas du tout le point de vue exprimé officiellement par les autorités algériennes. Le projet loi de finance pour 2021, prévoit un retournement complet de la situation financière de l’Algérie avec un déficit extérieur réduit à 3,6 milliards de dollars dès l’année prochaine.

Pour les deux années suivantes, le gouvernement algérien est encore plus optimiste. Le déficit devrait céder la place à un léger excédent ouvrant la voie à une consolidation et même une augmentation de nos réserves internationales qui se maintiendraient à un niveau proche de 50 milliards de dollars et éloignerait donc durablement le spectre d’une cessation de paiement.

Des prévisions « politiquement compatibles »

De mémoire d’économiste, on n’a jamais observé un tel écart entre les projections des autorités algériennes et celles des observateurs nationaux et institutions financières internationales.

Jusqu’à une date toute récente, les prévisions officielles du gouvernement conservaient un certain réalisme. Adoptée en juin dernier, la loi de finances complémentaires 2020 annonçait ainsi très officiellement des réserves de change réduites à un peu plus de 44 milliards de dollars à la fin de l’année en cours. Un niveau de réserves financières très proche de celui qui était prévu par le FMI.

Une prévision également globalement confirmée dans les faits. L’expert algérien Abderrahmi Bessaha s’attend « sur la base de données préliminaires à des réserves de change de 42,8  milliards de dollars à fin 2020 ».

Très éloignées des objectifs de « stabilisation » des réserves de change affichés par le programme du président de la République et réitérés à l’occasion de nombreuses déclarations officielles, ces prévisions très réalistes, concoctées à la fin du printemps dernier sous la houlette de l’ancien ministre des finances, Abderrahmane Raouya, sont très certainement la raison du changement surprise d’équipe gouvernementale intervenue en juin dernier.

Depuis cette date la leçon semble avoir été retenue par la nouvelle équipe aux commandes à Ben Aknoun sur les hauteurs d’Alger (siège du ministère des Finances). L’évolution du cadre macroéconomique annoncée par le projet de loi de finance 2021 est désormais « politiquement compatible » avec la feuille de route officielle de l’Exécutif.

Persistance d’un important déficit externe en 2020

Reste à savoir si ce redressement spectaculaire de nos équilibres financiers externes a quelques chances de se réaliser. « Les objectifs  du gouvernement seront très difficiles à atteindre » commente ces derniers jours, avec prudence, l’économiste Aberrahmane Mebtoul. C’est sans doute le moins qu’on puisse dire.

Au cœur de la stratégie annoncée par les autorités algériennes, la réduction drastique des importations est pratiquement le seul levier utilisé pour combler un déficit externe de nos paiements courants qui reste obstinément dans une fourchette comprise entre 15 et 20 milliards de dollars au cours des dernières années.

Ce sera très certainement encore le cas en 2020. Même si le gouvernement semble avoir décidé, depuis le début de l’année en cours, de mettre l’information économique relative à nos équilibres financiers externes sous embargo, les informations disponibles indiquent de plus en plus  clairement que l’année 2020 devrait s’achever par un déficit de la balance des paiements courant d’un montant comparable voire supérieur à celui de l’année 2019 qui s’était terminée par une ponction de près de 17 milliards de dollars sur nos réserves de change.

L’explication du résultat attendu pour fin 2020 est globalement assez simple. Les recettes d’exportations d’hydrocarbures devraient reculer cette année de près de 15  milliards de dollars.

Un résultat probable confirmé encore dans la journée d’hier par le ministre de l’Energie, Abdelmadjid Attar, qui a annoncé devant les députés « des recettes pour Sonatrach de 14, 6 milliards de dollars à fin septembre »  en baisse de plus de 40 % par rapport à l’année dernière.

Sur l’ensemble de l’année 2020, compte tenu de la récente rechute des cours du baril qui sont actuellement proche de 40 dollars, nos recettes pétrolières ne devraient pas dépasser 19 milliards de dollars contre 34 milliards en 2019.

Simultanément, nos importations devraient reculer de près de 10 milliards de dollars. C’est en tous cas l’objectif affiché par le gouvernement et que semble confirmer les résultats distillés au compte-goutte par la communication officielle au cours des derniers mois.

Au total, la plupart des observateurs anticipaient jusqu’à une date récente un déficit externe de l’ordre de 17 à 18  milliards de dollars à fin 2020. C’est le cas en particulier du FMI qui prévoit un solde négatif de la balance des paiements courant proche de 11% du PIB.

Le projet de loi de finance pour 2021 est beaucoup plus optimiste et affiche une prévision de clôture du déficit externe pour 2020 légèrement inférieure à 13 milliards de dollars. A l’inverse, l’expert Abderrahmi Bessaha continue d’envisager un déficit de 20 milliards de dollars pour la fin de l’année en cours et les dernières informations disponibles semblent lui donner raison.

Vers un gonflement du déficit en 2021

C’est en prolongeant la courbe de la réduction des importations enregistrée en 2020 que le gouvernement espère  renverser totalement la tendance des dernières années et réduire le déficit externe à un niveau d’à peine 2% du PIB dès l’année prochaine.

Pour les institutions financières internationales et la plupart des experts indépendants, ces objectifs très ambitieux seront cependant très difficiles sinon impossibles à atteindre et on devrait au contraire assister en 2021 à un nouveau gonflement du déficit externe et une accélération de la fonte des réserves de change.

Dans ce cas aussi les explications sont assez simples. La réduction très sensible des importations enregistrée en 2020 est due à des circonstances exceptionnelles qui ne se reproduiront peut-être pas en 2021.

En gros selon nos sources, la baisse attendue de 10 milliards de dollars  des importations de 2020 est imputable à 3 facteurs essentiels : « Le plus important est la chute sans précédent de l’activité économique qui devrait se traduire par un recul du PIB de l’ordre de 6 à 7%. Le deuxième facteur important est le blocage administratif des importations, notamment celles du montage automobile, qui ont permis d’économiser près de 3 milliards de dollars. La dévaluation du dinar de près de 10% ainsi que l’augmentation des droits de douanes sur de nombreux produits sont enfin le dernier facteur responsable de la contraction des importations constatée cette année. Elle devrait ramener leur montant à un peu plus de 30 milliards de dollars »

Selon un haut fonctionnaire qui a préféré rester anonyme « Ces circonstances exceptionnelles ne seront plus au rendez vous en 2021. Le redémarrage de la croissance à un niveau proche de 4 % ainsi que la reprise des importations de véhicules vont de nouveau booster les importations tandis que la dépréciation du dinar sera réduite à 5% ; ce qui compensera à peine le différentiel d’inflation avec nos principaux partenaires commerciaux »

Ce sont ces données qui conduisent les institutions financières internationales à prévoir un gonflement du déficit externe en 2021. En octobre dernier le FMI anticipait un probable déficit des paiements courants de 16 % du PIB en 2021. On est bien loin des 2 % de déficit annoncé par le projet de loi de finance qui sera soumis au vote des députés dans quelques jours.

Sur la base de ces évolutions probables, nos réserves de change seront très certainement inférieures à 45 milliards de dollars à fin 2020.

Contrairement aux espoirs exprimés par le gouvernement, elles pourraient tester la barre des 20 milliards de dollars dès la fin de l’année prochaine .

Le FMI de nouveau en ligne de mire

Les conséquences pourraient être importantes pour l’avenir économique de notre pays. Elles ont déjà fait réagir beaucoup d’experts algériens et rebondir le débat sur le recours au FMI.

Voici quelques jours, l’économiste Smail Lalmas exprimait un point de vue très tranché : « Le président Tebboune a signifié clairement que l’Algérie n’ira pas contracter de prêts auprès du FMI et des organismes financiers internationaux (…) mais honnêtement, vu l’évolution les choses, je pense qu’on ira forcément taper aux portes du  FMI en 2021 »

« D’aucun disent que nous avons encore les réserves donc un peu plus de temps, oubliant qu’il est préférable d’aller négocier les prêts avec les poches à moitié pleines, vous donnant ainsi, un semblant de confort dans les négociations, que d’aller avec les poches vides, en position de faiblesse », recommande Smaïl Lalmas. Le débat ne fait que commencer et il devrait s’amplifier dans les mois à venir.

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