Économie

Restrictions des importations : une arme à double tranchant

L’Algérie connaît une flambée généralisée des prix, notamment des produits alimentaires de première nécessité non subventionnés.

La pomme de terre à 150 dinars, c’est très inhabituel et ce n’est pas à la portée de tout le monde, compte tenu des quantités consommées par les ménages. La viande de poulet se maintient aux alentours de 500 dinars, contre la moitié il y a quelques mois.

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Cet envol des prix a fortement affecté le pouvoir d’achat des Algériens et le gouvernement est tenu d’agir dans l’urgence. Mais que pouvait-il faire dans un marché dans la marque de fabrique est justement la dérégulation.

Le Sypalac, un mécanisme de stockage de certains produits de première nécessité, destiné à réguler le flux des marchandises sur le marché, a montré ses limites.

En tout cas, il n’a pas fonctionné lors de cette tension inédite sur la pomme de terre. On a pointé du doigt la spéculation et, très vite, un projet de loi est élaboré, prévoyant des peines sévères à l’encontre des spéculateurs, allant jusqu’à la perpétuité. Là aussi, l’annonce de ces mesures extrême n’a pas eu d’effet sur le comportement du marché. Les prix ont au contraire continué à augmenter.

Spéculation ou pas, il y a visiblement un déséquilibre important entre l’offre et la demande et le gouvernement a fini par se résigner à lâcher un peu de lest dans sa politique de restriction des importations.

Lors de la dernière réunion du Conseil des ministres, dimanche 31 octobre, le président de la République a donné des instructions claires dans ce sens.

Abdelmadjid Tebboune a instruit de « résoudre les préoccupations des citoyens concernant les secteurs du commerce et de l’agriculture et lutter contre la flambée des prix, même si l’on doit recourir à l’importation, à titre urgent et exceptionnel, pour préserver le pouvoir d’achat et inonder le marché des produits objet de spéculation, particulièrement les produits de large consommation et les viandes blanches ».

Dans le sillage du recul des revenus pétroliers, l’Algérie a opté pour une politique de rationalisation des importations, interdisant une longue liste de produits et instituant des limitations drastiques pour d’autres.

Des experts avaient mis en garde que pour une réduction substantielle de la facture des importations (qui a atteint jusqu’à 60 milliards de dollars en 2014), il serait inéluctable de toucher aux produits qui en constituaient la grande part : les équipements industriels, les véhicules, les médicaments et les produits alimentaires de base (poudre de lait et céréales).

À voir les chiffres officiels communiqués concernant la nouvelle facture des importations, l’objectif des autorités est largement attient. Selon le président Abdelmadjid Tebboune, la facture a été ramenée de 60 milliards de dollars en 2014 à 31 milliards en 2021.

L’importation pour inonder le marché : bonne ou mauvaise idée ?

Derrière la réduction de la facture des importations se cachait un autre objectif, celui de préserver les réserves de change du pays. Là aussi c’est gagné puisque le matelas de devises de l’Algérie est maintenu au niveau appréciable de 48 milliards de dollars.

Mieux, l’Algérie s’apprête pour la première fois depuis plusieurs années à boucler l’exercice avec une balance de paiements excédentaire, comme l’a annoncé le président Tebboune.

Ces performances ont été rendues possibles par la rationalisation drastique des importations, mais aussi par la remontée spectaculaire des prix du pétrole et du gaz.

Les prix actuels du baril (aux alentours de 85 dollars) ont été pour quelque chose dans la décision du président de desserrer un peu l’étau sur les importations, mais il y a surtout cette réalité sur le terrain faite de tensions, de pénuries et de flambée des prix, une situation causée, entre autres facteurs, par l’arrêt brusque des flux des marchandises importées, produits finis ou intrants indispensables à la bonne marche de l’industrie et de l’agriculture.

Dans le cas de la pomme de terre, des professionnels ont souligné que la réduction de moitié des importations de semence est la principale raison derrière la baisse de la production qui a engendré la flambée des prix. Le gouvernement a misé sur la semence locale qui a des rendements nettement inférieurs à celle issue de l’importation. Et ce n’est qu’un exemple.

On ne sait pas quels produits seront concernés par l’instruction présidentielle, mais il est clair que, en ordonnant de recourir à l’importation pour « inonder le marché », l’objectif du chef de l’État est de tenter d’apporter une solution immédiate à un problème qui ne peut pas attendre.

Recourir de nouveau aux semences étrangères permettra de meilleurs rendements dans les saisons à venir, mais il y a plus urgent : importer de la pomme de terre en grandes quantités permettra de baisser les prix et d’infliger de lourdes pertes aux spéculateurs, désormais dans les collimateurs des autorités.

La flambée pourrait s’estomper par simple effet d’annonce, avant même de réaliser les premières opérations d’importation si, réellement, le problème réside dans la spéculation.

Si, en revanche, les prix se sont envolés du fait d’une offre insuffisante, la décision risque d’être lourde de conséquences pour la filière. Avec les délais nécessaires pour la concrétisation des opérations d’importation, les cargaisons importées pourraient arriver sur le marché simultanément avec la production nationale d’arrière-saison qui arrivera sur le marché dans quelques jours.

Au-delà du recours à l’importation pour éteindre le feu de l’inflation, la hausse récurrente des prix des produits de consommation illustre les difficultés du gouvernement à régler le marché, et montre que la politique de restrictions des importations est une arme à double tranchant.

Si elle est efficace pour réduire la facture des importations, elle peut provoquer des hausses des prix et des pénuries, et être dangereuse pour l’économie nationale et à la stabilité sociale, si des mesures favorables à l’encouragement de la production nationale ne suivent pas, pour substituer les produits importés par des articles fabriqués en Algérie.

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