Politique

Retour de l’Algérie dans le dossier libyen : une chance pour la paix ?

Ce lundi 6 janvier 2020, l’Algérie a été officiellement invitée par l’Allemagne à prendre part à la conférence de Berlin devant chercher une issue pacifique et politique à la crise qui secoue ce pays voisin depuis la chute de Kadhafi en 2011. L’invitation a été lancée par Angela Merkel lors d’un entretien téléphonique avec Abdelmadjid Tebboune.

Simultanément, le chef du Conseil présidentiel libyen, l’autorité reconnue par la communauté internationale, débarquait à Alger. Il est le premier responsable étranger que rencontre le nouveau président algérien, Abdelmadjid Tebboune. Le ministre turc des Affaires étrangères est arrivé à Alger en début de soirée.

Le ministre des Affaires étrangères Sabri Boukadoum a eu des entretiens téléphoniques, au cours de ces derniers jours, avec le Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, et plusieurs de ses homologues étrangers, indiquait ce lundi un communiqué du ministère des Affaires étrangères.

« Il a eu hier et au cours des derniers jours de la semaine dernière, des entretiens téléphoniques avec le Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, ainsi qu’avec ses homologues d’Égypte Sameh Choukri, des Émirats Arabes Unis Cheikh Abdallah ben Zayed Al Nahyane, de France Jean-Yves Le Drian, du Mali Tiébilé Dramé, du Niger Kalla Ankourao et du Tchad Mahamat Zene Cherif », a détaillé le MAE.

Ce n’est peut-être pas encore le grand retour de la diplomatie algérienne sur la scène internationale après plusieurs années de repli dû notamment à la maladie de l’ancien président, mais cette succession des événements lui permet de revenir au premier plan dans une crise qui se déroule à ses frontières avec la menace d’affrontements armés à plus grande échelle après l’envoi de troupes turques sur le sol libyen.

Prévue en octobre dernier, la conférence de Berlin sur le conflit libyen – qui a finalement été reportée- devait se tenir en présence des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, ainsi que l’Allemagne, l’Italie, les Émirats arabes unis, l’Égypte et la Turquie. Donc sans l’Algérie ni la Tunisie. Une décision qui a soulevé des interrogations aussi bien en Algérie qu’en Libye et parmi les États impliqués dans la recherche d’une solution.

Le 26 décembre, le président turc, M. Erdogan, a effectué une visite surprise à Tunis d’où il a appelé à impliquer les pays de la région, dont l’Algérie. Un mois auparavant, il avait fait part de son intention d’intervenir militairement en vertu d’un accord controversé signé le 27 novembre avec le gouvernement d’union nationale de Fayez Al Saradj. Le 2 janvier, le Parlement turc lui donne le feu vert pour envoyer les troupes à Tripoli, encerclée par les forces du maréchal Haftar.

Le risque de guerre est imminent d’autant plus que d’autres puissances jouent sur la scène libyenne. Le nouveau président algérien, investi le 19 décembre, a réuni le haut conseil de sécurité le 26 décembre, ordonnant des mesures pour la sécurisation de la longue frontière avec la Libye (plus de 1000 kilomètres) et rappelant les positions de principes de l’Algérie.

« Refus de toute intervention étrangère »

Les relations de l’Algérie avec la Libye post-Kadhafi sont passées par des périodes parfois difficiles ces dernières années. Dans les premiers mois de la révolution libyenne de 2011, le gouvernement algérien était ouvertement accusé par le CNT libyen (Conseil national de transition) d’avoir pris le parti de l’ancien régime.

En janvier 2015, l’ambassade d’Algérie à Tripoli a été attaquée par des hommes armés. C’est d’ailleurs à Skhirat, au Maroc, et non sur le territoire algérien que sera signé l’accord qui donnera naissance au gouvernement d’union nationale en 2015. Celui-ci prend ses fonctions en mars 2016 et sera très vite reconnu par l’Algérie –et bonne partie de la communauté internationale, dont l’ONU- comme le représentant légitime du peuple libyen.

Depuis, les relations entre les deux voisins se sont normalisées. Mais pas avec le maréchal Khalifa Haftar, l’ancien général de Kadhafi qui dirige « l’armée nationale libyenne » et qui conteste la légitimité de Fayez al Saradj. En mai 2017, une visite de Abdelkader Messahel, alors ministre algérien des Affaires étrangères, avait donné lieu à une virulente diatribe de Haftar contre l’Algérie, qu’il avait accusé d’ « ingérence » dans les affaires de son pays.

En septembre 2018, il passe carrément aux menaces. « Nous pouvons transférer la guerre de l’Est à l’Ouest en peu de temps », avait-il déclaré. En revanche, Fayez al Saradj a multiplié les séjours à Alger. Sa visite de ce 6 janvier est la cinquième du genre en moins de quatre ans. Même prise par sa propre crise interne, l’Algérie a maintenu une position constante puisée dans les dogmes de sa politique étrangère : non-ingérence dans les affaires internes des États, refus de toute intervention militaire étrangère et recherche d’une solution politique pacifique.

L’appel du président turc à impliquer l’Algérie a été de ce fait diversement interprété à Alger. Certains ont applaudi un juste retour de l’Algérie dans un dossier qui la concerne en premier chef, d’autres y ont vu une tentative de l’entraîner dans une coalition militaire.

« L’Algérie n’y a pas été conviée par les parties invitantes, l’Allemagne et l’Onu, elle ne pourrait l’être par une partie tierce (…) Je ne pense pas que l’offre turque, pays membre de l’Otan, sera reçue de façon favorable à Alger. Elle pourrait même être perçue comme une attitude inamicale dans la mesure où la forme de l’offre est inconvenante. De plus la Turquie connait la position de principe de l’Algérie qui privilégie les solutions internes, n’a jamais fait partie de pacte ou coalition militaires et rejette toute forme de présence militaire à ses frontières », analysait fin décembre sur TSA Abdelaziz Rahabi, ancien ambassadeur.

La position de principe dont parlait M. Rahabi a été rappelée ce 6 janvier au moment même où le président Tebboune recevait son hôte libyen. « L’Algérie réitère son refus absolu de toute ingérence étrangère en Libye et appelle toutes les composantes et parties libyennes à faire prévaloir l’intérêt suprême et à un retour rapide au processus du dialogue national inclusif », indique un communiqué du ministère des Affaires étrangères.

En langage moins diplomatique, cela signifie que l’Algérie ne fera pas la guerre en Libye et fera tout pour éviter que d’autres la fassent. Son retour dans ce dossier à travers notamment sa participation à la conférence de Berlin pourrait être une réelle chance pour la paix.

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