Économie

Retour des pluies : quand des éleveurs chambrent les spéculateurs

Cette vidéo devient virale et fait le tour des réseaux sociaux en Algérie. Elle ne vient pas de jeunes urbains toujours prompts à réagir face à leur situation, mais d’un groupe d’éleveurs.

On les voit discuter en pleine steppe au milieu d’un paysage printanier avec autour d’eux de l’herbe à profusion. De bon augure pour l’Aïd-el-Adha.

Steppe, une sécheresse mémorable

Pendant deux années, les régions steppiques de l’Algérie ont connu une sécheresse mémorable qui a fortement nuit à l’élevage du mouton. Durant cette période difficile, les éleveurs étaient aux abois.

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Le prix des fourrages et de l’orge avait atteint des sommets. Il y a quelques mois encore, sur les marchés aux bestiaux, la détresse se lisait sur leur visage. À plus de 3500 DA le quintal l’orge était devenu hors de portée pour les petits éleveurs.

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Pour sauver leurs bêtes, beaucoup avaient dû en vendre une partie et se soumettre au diktat des prix imposés par les marchands d’aliments du bétail. Malgré la demande faite aux minoteries par les pouvoirs publics de vendre une partie du son de blé à des prix de 1 600 DA le quintal, de nombreux établissements majoraient ces prix. « Ils marquent 1 600 DA sur la facture, mais on le paye trois fois plus« , se plaignait un éleveur.

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Ces vendeurs d’orge et de son de blé sont présents dans les souks aux bestiaux et ils possèdent en plus des locaux en bordure des villes. L’orge et le son de blé sont souvent entreposés dans de simples garages qui leur servent également de point de vente.

Laissez l’orge stocké dans les garages

Le groupe dont il est question est constitué de 8 éleveurs dont certains assis dans l’herbe et d’autres allongés sur le côté. Trois d’entre eux sont hilares et discutent à l’écart.

Drapé dans sa kachabia et le front ceint de son chèche, l’un d’entre eux feint de s’adresser à des vendeurs d’orge : « On ne prend pas votre orge« . Son voisin acquiesce : « Oui, on ne la prend pas« .

L’autre éleveur renchérit « même pour 40 DA le quintal on n’en voudrait pas, qu’elle reste stockée dans le garage« . Puis, du geste de la main montrant les pâturages reverdis, il poursuit : « Regardez la richesse que Dieu nous a donnée. Laissez l’orge stockée dans les garages. On n’en veut pas« .

Cette injonction, lancée sur le mode de la plaisanterie dans un cercle restreint, rappelle le large mot d’ordre « kheli i rabi er-rich » (laissez faire plus de plumes) déjà lancé par des consommateurs excédés par la hausse du prix du poulet. En septembre 2021, l’Association algérienne de protection et d’orientation du consommateur et de son environnement (Apoce) avait menacé d’appeler au boycott du poulet.

Le camion, vaisseau de la steppe

Pour ces éleveurs, l’heure est à la joie. La joie de voir se terminer l’épisode de la sécheresse. Cette joie fait plaisir à voir. Encore hilare, l’éleveur à la kachabia rejoint ses collègues assis dans l’herbe. Ceux-ci discutent du prix des agneaux. Six camions aménagés pour le transport de moutons sont visibles au loin. Les bêtes ont été sorties des camions et profitent déjà des pâturages.

Le téléphone portable et le camion, notamment le camion GAK permettent aujourd’hui un déplacement rapide des troupeaux vers les zones les plus riches de la steppe. Certains éleveurs n’hésitent pas à transporter leurs bêtes sur plusieurs centaines de kilomètres.

Dans une étude, le chercheur Abderrahim Khaldoun notait déjà en 2001 : « Dans la seule wilaya de Naâma, le service du transport de la wilaya recensait plus de 1600 camions en état de circulation. Malgré l’introduction de nouveaux camions tels que les Toyota, le Gak demeure le moyen de transport privilégié en raison de ses qualités d’adaptation en milieu steppique et la facilité d’entretien et de réparation des pièces usées« .

La steppe malade de ses moutons

Pour l’universitaire Abdelkader Khaldi, la modernisation de l’activité de l’élevage par une gestion écologique prudente constitue un impératif majeur. Il propose de « réglementer l’accès à la ressource (par la mise en défens d’un nouveau genre par exemple, réalisé avec la participation des communautés concernées), accroître la production de fourrages dans les milieux favorables selon des moyens durables (recours aux techniques agro-écologiques inappliquées actuellement), encourager l’élevage en stabulation, adopter des techniques modernes et assurer leur diffusion par la vulgarisation« .

10 fois trop de bêtes que peut supporter la steppe

Dès 2008, les universitaires Nedjraoui Dalila et Bédrani Slimane alertaient sur les dangers que court la steppe en Algérie : « En 1968, La steppe était déjà surpâturée, la charge pastorale réelle était deux fois plus élevée que la charge potentielle. Malgré les sonnettes d’alarme tirée par les pastoralistes de l’époque, la situation s’est en fait aggravée. En 1998, les parcours se sont fortement dégradés, la production fourragère a diminué de moitié et l’effectif du cheptel est 10 fois supérieur à ce que peuvent supporter les parcours« . Avec un cheptel évalué à 28 millions de têtes, le surpâturage n’a fait qu’empirer.

Pour Abdelkader Khaldi, il s’agit de délester la steppe surchargée d’animaux. Cet expert préconise ainsi une meilleure répartition des troupeaux à travers le territoire national et particulièrement dans les zones céréalières du nord.

Les pluies revenues et les pâturages reverdis, la joie est revenue chez les éleveurs. Ils ont l’assurance de produire de beaux moutons pour l’Aïd. Néanmoins, la question du développement des parcours steppiques reste posée : assurer la pérennité de ces zones fragiles menacées de désertification. Immense défi pour les services agricoles.

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