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« Riyad a perdu ses atouts pour prétendre à un quelconque rôle de leader »

« Riyad a perdu ses atouts pour prétendre à un quelconque rôle de leader »

ENTRETIEN. C’est un séisme politique sans commune mesure qui vient de secouer le Royaume wahhabite. La richissime monarchie, au rôle clé dans la carte géopolitique du Proche-Orient, connaît des soubresauts, incarnés par les multiples arrestations opérées au sein de l’establishment, qui ne sont pas sans risque, à terme, sur sa stabilité et celle de la région. Dans cet entretien, Hasni Abidi, enseignant au Global Studies Institute de l’université de Genève, directeur du centre d’études et de recherches sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam) analyse les enjeux inhérents à la récente purge opérée par le prince héritier au sein de la famille régnante.

Le  « séisme » politique en Arabie saoudite était-il prévisible ?

C’est un véritable séisme politique. La surprise et l’ampleur de la purge opérée par le prince héritier est un phénomène d’autant inédit qu’elle survient dans une monarchie où les membres de la famille Al-Saoud jouissent d’une impunité totale. Le prince héritier n’étant pas certain de pouvoir succéder à son père en présence de plusieurs membres de la famille Al-Saoud qui sont en mesure de lui contester son ascension, c’est ce qui explique la destitution de son cousin, le gardien du temple, Mohamed Ben Nayef, ancien ministre de l’Intérieur. Un deuxième homme fort qui lui a résisté, Moutaab ben Abdallah, chef de la garde nationale vient, lui aussi, de rejoindre la liste des onze princes arrêtés.

Cette purge est-elle liée seulement à des considérations de pouvoir ou y-a-t-il des contraintes externes (pressions américaines, échec de la guerre au Yémen etc…) ?

Il s’agit surtout d’un coup de force qui a provoqué une rupture brutale dans un système conçu pour fonctionner selon les règles de consensus au sein de la famille royale. C’est justement, Mohammed Ben Selmane (MBS), qui met fin à une succession adelphique grâce au soutien du président Trump. La visite de ce dernier à Riyad a scellé un pacte entre les deux hommes pour une nouvelle configuration dans la région. Le fiasco au Yémen et la panique saoudienne face aux influences iraniennes dans la région ont convaincu la direction saoudienne de la nécessité d’opter pour une nouvelle politique volontariste et agressive. À quel prix ? Il sera sûrement élevé quand on sait que le Royaume saoudien s’engage davantage sur le front de la guerre en ordre dispersé et sans le soutien de toutes les fractions qui composent le pouvoir.

Et la crise financière y a-t-elle contribué ?

Sûrement ! L’homme est très ambitieux, mais il n’a plus les moyens de sa politique. La guerre au Yémen est un désastre politique, militaire et financier. L’échec de la politique adoptée en Syrie en faveur des rebelles, le soutien financier au maréchal Sissi et le blocus contre le Qatar alourdissent la note saoudienne. Et la baisse vertigineuse des revenus des hydrocarbures risque d’alimenter, en interne, le malaise social.

Peut-on dire que la jeunesse de Mohamed Ben Salmane suggère qu’il a pris la mesure des désirs de la population en s’engageant dans des réformes, même si pour l’heure elles sont timides ?

Les réformes entreprises restent insuffisantes. Il est illusoire de croire que les libertés publiques et privées et la bonne gouvernance se résument à un droit de conduire une voiture et à assister à une compétition sportive. Il est plus judicieux d’écouter les demandes de son peuple et non pas les conseils d’une agence de relations publiques. L’arrestation de plusieurs universitaires et même prédicateurs n’est pas de nature à rassurer. Réduire au silence ses adversaires semble être le mot d’ordre de son règne.

Quelles seront les conséquences sur les mouvements qu’a soutenus le Royaume et sur les rapports de force dans la région ?

L’Iran assiste amusé, encore une fois, au démembrement du CCG (Conseil de coopération du Golfe), alors que celui-ci a été conçu pour contrer l’influence iranienne. Le prochain sommet de cette instance risque d’être reporté en raison des querelles internes. La ligue arabe est impuissante face au déchirement arabe et à la montée en puissance des trois puissances non arabes : Israël, l’Iran et la Turquie. Quant à Riyad, elle a perdu ses atouts pour prétendre à un quelconque rôle de leader dans la région. Ses aventures externes ont l’effet d’une véritable guerre d’usure.

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