Politique

Saïd Sadi : « Bouteflika voulait entraver l’alternative démocratique en Tunisie »

Saïd Sadi commente les révélations de l’ancien président tunisien Moncef Marzouki sur le rôle du régime de Bouteflika dans le soutien à la contre-révolution dans ce pays voisin.

« Il faut espérer que cette sortie, venant d’un dirigeant qui a exercé les plus éminentes charges, alimente le débat dans cette période si sensible pour la région nord-africaine, notamment ses trois pays centraux que sont le Maroc, l’Algérie et la Tunisie », souhaite le fondateur du RCD dans un texte posté sur son compte Facebook et intitulé : « Ingérences étrangères : oui mais lesquelles ? »

« On se souvient qu’après la chute de Ben Ali, Bouteflika, manipulateur invétéré, avait tenté de rattraper ses intrigues en recevant l’islamiste Ghannouchi avant même le président en exercice… Un certain Marzouki. Faute d’avoir sauvé le roi de Carthage et sa sulfureuse épouse, il lui fallait travailler à renforcer l’influence des frères musulmans dans le nouveau pouvoir pour entraver l’alternative démocratique pour laquelle s’était soulevé le peuple tunisien », confirme Sadi.

« Le pouvoir algérien qui a fait de la non-ingérence son credo diplomatique a donc soutenu des forces contre-révolutionnaires (une forme de déclaration de guerre au peuple) dans un pays proche et frère sans avoir informé les citoyens ni même son parlement croupion. Combien de fois des puissances étrangères ou des factions antidémocratiques ont-elles été appuyées par Alger contre leurs populations à l’insu des Algériens, uniquement pour étouffer les contagions progressistes ? Inversement, combien de puissances étrangères ont travaillé et travaillent encore chez nous pour freiner ou empêcher l’émergence d’un pouvoir transparent conforme à la volonté du peuple ? », s’interroge-t-il.

Sadi, qui dit connaître Marzouki, psychiatre comme lui, depuis les années 1980, ne partage cependant pas tous ses points de vue. « Moncef Marzouki (…) signale, à juste titre, que les Emirats arabes unis, cherchent à établir, souvent avec l’assentiment saoudien, une forme d’annexion doctrinale sur le sous-continent nord-africain, perçu, à raison, comme une matrice démocratique alternative pouvant faire pièce à un Moyen-Orient idéologiquement hégémonique. (…) Il omet cependant de dire que les soutiens turc et qatari ne sont pas aussi désintéressés que peut le laisser entendre son écrit. Aujourd’hui, les deux courants tunisiens qui se disputent les faveurs de l’internationale des frères musulmans et qui ralentissent, autant qu’ils le peuvent, l’accomplissement de la révolution citoyenne, sont directement perfusés par Ankara et Doha. »

Il lui reproche par ailleurs « son panarabisme qui a progressivement mué en mystique arabo-islamique », et le fait d’épargner l’intégrisme.

« Cependant, malgré son caractère partisan voire, par certains aspects, sectaire, l’intervention de Marzouki a le mérite de soulever implicitement un problème de fond qui impacte directement la révolution algérienne et nos deux voisins », reconnaît Sadi, qui ajoute : « Devant ces contraintes géopolitiques, économiques, sociales et culturelles, les régimes en place, autoritaires ou autocratiques, se suppléent sans vergogne contre leur peuple. De leurs côtés, les factions islamistes tissent des réseaux quasi-mafieux avec la bénédiction de puissances étrangères dont le moins que l’on puisse dire est qu’elles ne sont pas des étalons de démocratie. Les courants démocratiques nord-africains, eux, sont interdits de contacts. Pire, l’autocensure les a convaincus que leur relation était incestueuse. »

Et à l’ancien président du RCD de plaider de nouveau pour l’idéal nord-africain : « Les seules options politiques et historiques qui peuvent revendiquer un minimum de légitimité sont celles qui œuvrent à un rassemblement démocratique. Aujourd’hui, la révolution algérienne porte spontanément l’emblème nord-africain dans la rue. Il y a quelques semaines, les foules du stade de Casablanca ont crié leur soutien à leurs frères de l’est. Depuis février, les intellectuels tunisiens suivent notre combat avec autant de ferveur et de fébrilité que s’il y allait de leur propre destin. »

« La révolution en cours gagnerait à ne pas perdre de vue la dimension régionale de sa lutte. C’est l’une des conditions de son succès. », conclut-il.

Les plus lus