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Scène politique : à qui profite le retour de la bipolarisation ?

Scène politique : à qui profite le retour de la bipolarisation ?

Tentative délibérée de diviser le hirak qui, jusque-là, a su faire face à toutes les manœuvres du genre, ou débat inévitable au vu de la composante idéologique du hirak lui-même et plus globalement de la société ? Depuis quelques semaines, les clivages qui semblaient avoir été dépassés dès le début du mouvement populaire, reviennent sur le devant de la scène.

La visite effectuée par Mustapha Bouchachi, Lakhdar Bouregaâ et Samir Benlarbi à Ali Belhadj, le jour même de la célébration du premier anniversaire du hirak, a particulièrement fait réagir. L’avis, exprimé surtout sur les réseaux sociaux, de ceux qui n’ont pas apprécié l’initiative, se résume à peu près à ceci : « On ne peut pas mener un combat pour la démocratie avec des gens qui la voient comme une hérésie et qui l’ont dit publiquement. »

L’ancien numéro 2 du FIS a en effet tenu de tels propos au début des années 1990, mais son discours a nettement évolué depuis le début du hirak, si l’on s’en tient toujours à ses déclarations publiques. « Les laïcs aussi ont le droit de s’exprimer », avait-il déclaré l’été dernier lorsque les partis et militants de cette mouvance subissaient toutes sortes d’entraves et de pressions.

« Ali Belhadj subit des atteintes graves à ses droits (…) La visite vient en prolongation de mes positions en tant que militant des droits de l’Homme en faveur de tous ceux qui ont été spoliés de leurs droits sans prendre en compte leurs orientations politiques ou idéologiques. Il n’y a aucun projet politique derrière cette visite », se défend Me Bouchachi dans une interview à El Khabar.

D’autres acteurs soutiennent qu’ils ont eux aussi pris la défense d’Ali Belhadj par le passé, mais sans tomber, précisent-ils, dans la « confusion » entre l’homme spolié de ses droits et l’homme politique au projet théocratique. Parmi eux, Saïd Sadi, ancien président du RCD, qui nuance que « c’est une chose de défendre les droits civiques d’un homme ; et il ne faut jamais hésiter à le faire. C’en est une autre de faire endosser à l’insurrection citoyenne son parcours, ses positions ou ses convictions, bref son bilan ou son projet. Et c’est bien ce qui est en train de se faire ».

Ou encore le journaliste Mohamed Benchicou qui témoigne avoir agi pour obtenir une prise en charge médicale à Ali Belhadj, son codétenu à la prison d’El Harrach, mais estime que l’homme « n’a jamais dévié de ses idées » et « laisse, en s’en amusant, d’autres esprits émouvants de naïveté, créer un autre Ali Benhadj conforme à leurs désirs ». « Pour tout cela, l’initiative de Bouregaa et de Bouchachi est plus qu’une erreur, plus qu’une faute, c’est un acte de tromperie, un détournement d’une consécration octroyée par le hirak, un détournement au profit d’un personnage qui se déclare ouvertement l’ennemi de la démocratie », assène le fondateur du Matin.

Badissia, sortie de Makri : une coïncidence ?

Le sociologue Lahouari Addi est, lui, contre l’exclusion des islamistes. Aux critiques qui l’ont ciblé sur les réseaux sociaux, il répond avec beaucoup d’ironie : « Les commentaires hostiles à mon post contiennent une contradiction de taille. Leurs auteurs demandent que les militaires ne dominent plus l’Etat et, par ailleurs, ils veulent exclure un courant politique qui pèse, me semble-t-il, entre 15 et 20% de l’électorat. Comment l’exclure si ce n’est pas en appelant l’armée ? Comment faire ? Créer un Code de l’Indigénat de l’administration coloniale où une voix d’un non-islamiste vaudrait 5 voix d’un islamiste ? »

Comme l’explique Saïd Sadi, « selon que l’on respecte ces fondamentaux (démocratique) ou qu’on les ampute, les réfute ou les diabolise, on est d’un côté ou d’un autre d’une ligne qui sépare de façon rédhibitoire la classe politique ». Le clivage est en effet difficilement contestable, mais il faut ne pas aller loin chercher la partie qui tirerait profit du retour à la bipolarisation qui a sclérosé la scène politique durant trois décennies et qui a conféré au pouvoir le beau rôle d’arbitre et de refuge. D’autant que devant tant de coïncidences, la machination n’est pas exclue.

Le président du parti islamiste MSP, Abderrazak Makri, a choisi cette conjoncture précise pour s’attaquer avec virulence à ceux qu’il qualifie de « laïcs extrémistes, alliés de la France, francs-maçons », qui chercheraient à faire main basse sur le hirak populaire. Cela, au moment où les soutiens du régime continuent à faire la promotion de la badissia-novembria qu’ils opposent au projet des hirakistes adeptes d’un changement radical.

« Pourquoi faut-il à chaque fois mettre en avant les sujets qui divisent ? Y a-t-il un Algérien qui ne soit pas novembriste ? Quant à la badissia, il me suffit d’être un mohammadien », rétorque Abdelaziz Rahabi, ancien ministre et diplomate et figure respectée par le hirak.

« Si nous arrivons à construire un champ politique où il n’y a pas d’ennemis à exterminer, mais seulement des adversaires politiques qui s’affrontent par la compétition électorale et qui acceptent le verdict des urnes et l’alternance électorale, nous serons alors prêts à construire la démocratie au profit de tous », estime Lahouari Addi, comme pour signifier que le clivage qu’on tente de déterrer n’est pas une fatalité qui condamne les Algériens à choisir éternellement le pouvoir en place comme refuge devant l’épouvantail du camp opposé.

Même Saïd Sadi y croit pour peu que « ce qui demeure aujourd’hui une tentation intégriste deviendra un courant conservateur comme il en existe de par le monde ».

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