L’Algérie a pris plusieurs mesures pour venir en aide aux agriculteurs victimes de la sécheresse.
Il s’agit notamment de leur dotation en semences et engrais à titre gracieux. Ces mesures sans précédent ont été annoncées dimanche par le président Abdelmadjid Tebboune lors de la réunion du Conseil des ministres.
Elles doivent permettre d’assurer le succès de la prochaine campagne céréalière. Cependant, à elles seules, elles ne peuvent prémunir les agriculteurs contre la survenue d’une nouvelle sécheresse.
Ces mesures comprennent également le report du paiement de la redevance concernant les concessions agricoles et le report du remboursement des crédits de campagne repoussé de 3 ans. Quant aux montants liés aux taux d’intérêts bancaires, ils seront pris en charge par l’État.
Ces mesures surviennent alors après une vague de protestation des agriculteurs, notamment ceux des wilayas de Tarf et d’Annaba victimes de germination sur pied et ceux de Tiaret gravement affectés par la sécheresse. Dans ces deux cas, les agriculteurs avaient fait part publiquement de leur préoccupation.
Semences, engrais et herbicides
Lors d’un entretien accordé à Ennahar TV, Messaoud Dridi, directeur au ministère de l’Agriculture et du développement rural a détaillé les mesures prises.
Il a déclaré que pour la première fois depuis l’indépendance, les agriculteurs bénéficieraient de la gratuité des semences et des engrais utilisés y compris l’urée 46 % utilisée au printemps. Par ailleurs, le prix des herbicides devrait être soutenu à 70 % par l’État.
En ajoutant le soutien de l’État à l’emploi des herbicides, les services agricoles abordent l’aspect des techniques utilisées par les agriculteurs algériens.
Les herbicides sont une des composantes essentielles de la culture des céréales. L’élimination des mauvaises herbes permet aux plants de blé de disposer de la totalité de l’eau contenue dans le sol et donc une meilleure résistance à la sécheresse.
Cependant, les données existantes indiquent que seules 20 à 25 % des surfaces emblavées en Algérie sont désherbées alors que les résultats d’essais concernant l’emploi d’herbicides montrent leur grand intérêt. En 2008 à l’université de Sétif, les essais réalisés par Machane Yasmina ont permis des augmentations de rendement de 123 %.
D’autres techniques d’irrigation
Le soutien accordé aux agriculteurs est une façon d’améliorer les rendements notamment dans les zones céréalières au nord de l’Algérie. Celles-ci comptent 7 millions d’hectares dont chaque année la moitié est emblavée en céréales.
L’importance des surfaces concernées fait que toute amélioration même minime des rendements se traduit par un net effet sur le niveau de la production algérienne de céréales.
L’équation relative à l’augmentation de la production de céréales comporte donc 2 variables : rendement et superficies. Concernant les rendements, l’irrigation peut permettre d’atteindre 50 quintaux par hectare. La seconde variable qui concerne les superficies est trop souvent négligée.
Lors des dernières Assises sur l’agriculture, le président Abdelmadjid Tebboune a fait part de son insatisfaction à propos des statistiques qui indiquaient des emblavements de l’ordre de 3 millions d’hectares de céréales alors que le recensement qu’il avait demandé indiquait seulement de 1,8 million d’hectares
Or, l’amélioration de la production nationale peut venir de l’augmentation des surfaces emblavées et cela même en se situant aux 17 quintaux par hectare, niveau qui correspond à la moyenne nationale.
En effet, passer de 1,8 million d’hectares semés en céréales à 2,5 voire 3 millions d’hectares tout en conservant le même niveau de rendement permet d’augmenter mathématiquement la production. Chaque tranche de 100.000 hectares emblavés est susceptible de fournir 1,7 million de quintaux de céréales.
Plus de matériel de récolte et de semoirs
Au mois d’août, le ministre de l’Agriculture et du Développement rural, Abdelatif Henni et son homologue de l’Industrie, Ali Aoun se sont concertés afin d’offrir à l’avenir au secteur agricole un matériel plus adapté. Il a été ainsi question de produire localement des moissonneuses-batteuses avec des barres de coupes de plus grande dimension.
Cette recherche de nouvelles pratiques performantes afin de cultiver le plus grand nombre d’hectares possibles a fait l’objet, au milieu des années 1970, d’une mission d’experts étrangers mandatée par le ministère de l’Agriculture.
Leur conclusion a été que « les outils aratoires nécessités par la jachère ne conviennent pas toujours aux travaux qu’impliquent son abandon. Ainsi, les outils à disques, traditionnels en Algérie, ne conviennent plus. Pour exécuter en temps utile les travaux nécessités par ces nouveaux systèmes de culture, il faut presque multiplier par deux la force de traction ».
Multiplier les surfaces cultivées et éviter les retards de semis représentent un défi d’autant plus qu’il s’agit à l’automne de semer 3 millions d’hectares en moins de 45 jours.
En février 2022 sur les ondes de la Chaine III de la Radio algérienne, Arezki Mekliche enseignant chercheur à l’École nationale supérieure d’agronomie (Ensa) d’El Harach (Alger) a donné l’exemple des agriculteurs qui ont semé leurs terres « en sec », soit avant la tombée des pluies, et dont les cultures « se portent bien » malgré le manque de pluviométrie, contrairement à ceux qui ont choisi de semer après les précipitations et qui risquent de voir leur récoltes « disparaître ».
Le défi est également d’en finir avec la pratique du semis à la volée et d’arriver à ce que les semences soient disposées à 2-3 cm de profondeur tout en appuyant légèrement la terre au-dessus par roulage afin de favoriser l’utilisation de l’humidité du sol.
Malgré les mises en garde des années 1970, il aura fallu attendre les années 2010 pour voir l’Institut technique des grandes cultures (ITGC) et l’entreprise CMA-Sola de Sidi Bel Abbès mettre au point un prototype de semoir pour le semis direct.
Une technique qui permet de multiplier par 6 la vitesse des chantiers tout en réduisant les coûts de carburants. Les essais réalisés par Arezki Mekliche montrent un gain de rendement de 5 quintaux par hectare. Mais en l’absence d’un soutien fort de la part des services agricoles locaux, cette technique novatrice privilégiée par 80 % des agriculteurs australiens reste confidentielle en Algérie.
En absence de matériel performant fabriqué localement, les servies agricoles ont évoqué en juin 2022 la possibilité pour les agriculteurs d’importer du matériel agricole rénové.
Améliorer la capacité du sol à emmagasiner plus d’humidité a été tentée par d’autres approches. Des essais réalisés en 2000 au niveau de la ferme expérimentale de l’Ensa d’El Harrach ont montré que l’apport de boues de station de traitement des eaux usées permettait de faire passer le rendement du blé de 40 à 88 quintaux par hectare. De tels gains de rendement ont également été obtenus à Sétif.
S’adapter au risque de sécheresse
La gratuité des semences et des engrais permettront aux agriculteurs affectés par la sécheresse de relancer un nouveau cycle de culture.
Mais en aucune manière ces mesures ne constituent un rempart contre les effets d’une nouvelle sécheresse. La disponibilité limitée des ressources en eau en Algérie ne permet pas d’envisager de généraliser le recours à l’irrigation pour la culture des céréales.
Seules les techniques permettant d’améliorer la rétention d’eau, d’éviter les retards de semis et d’augmenter les surfaces désherbées sont susceptibles de limiter les effets d’une nouvelle sécheresse.
Une éventualité d’autant plus grande avec le changement climatique en cours et qui affecte durement l’Algérie.
À part quelques exploitations, ces techniques sont le plus souvent inconnues des agriculteurs. Le défi est de trouver les moyens pour leur mise en application selon les spécificités de chaque région.
Les exhortations des services agricoles visant à l’utilisation par les agriculteurs d’un meilleur itinéraire technique ne suffisent pas.
Il s’agit d’en préciser la nature à la lumière des progrès de l’agronomie et d’indiquer un cap afin de créer une dynamique capable de changer les pratiques traditionnelles inadaptées. Quitte à trouver des incitations de divers ordre.
Comme sur un champ de bataille, la disponibilité en moyens matériels ne garantit pas la victoire, celle-ci dépend avant tout du mode de leur utilisation.