Économie

« Sonatrach a des problèmes, c’est pour ça qu’elle a tiré la sonnette d’alarme »

Le gouvernement a entrepris l’élaboration d’une nouvelle loi sur les hydrocarbures. Pensez-vous que le timing est bien choisi ?

Abdelmadjid Attar, ancien PDG de Sonatrach. S’il s’agit d’un amendement, cela veut dire qu’il y a urgence en matière de production d’hydrocarbures, de rente, etc. S’il s’agit d’une nouvelle loi, cela veut dire qu’il n’y a pas urgence, parce qu’une nouvelle loi, et même un amendement, ne va pas s’appliquer à l’activité et aux contrats qu’il y avait jusqu’à ce jour, parce qu’ils ne peuvent pas être rétroactifs.

Ce qui veut dire que les réserves actuelles ou la production actuelle d’hydrocarbures ne vont pas être modifiés par cette loi, c’est impossible.

La totalité de la production actuelle est couverte par la loi 86-14 et l’amendement de 2005, donc cela ne change absolument rien, la fiscalité, les délais contractuels, les droits des entreprises pétrolières et les obligations restent les mêmes.

La nouvelle loi ou l’amendement ne vont s’appliquer qu’aux futurs contrats. En admettant que dès 2020 ou 2021, on signe de nouveaux contrats de partenariat, ils ne pourront apporter du nouveau en matière de réserves et de production que dans trois, quatre, cinq ou même sept ans. Parce qu’il faudra d’abord appliquer la loi, signer des contrats, chercher, développer et produire par la suite, ça ne vient pas en deux ou trois ans, c’est en moyenne en quatre, cinq ans minimum, dans le meilleur des cas. Si vous voulez mon avis personnel, il n’y avait pas urgence parce que cela ne change absolument rien.

Ne s’agit-il pas d’un message aux partenaires étrangers du pays ?

Peut-être que le gouvernement veut donner un signe, lancer un message aux partenaires, comme quoi en Algérie il n’y a pas de problèmes, vous pouvez venir. C’est un simple message qui peut avoir sa valeur dans les autres secteurs commerciaux ou industriels.

De toute façon, si ce n’est pas le gouvernement actuel qui le fait, ce sera le prochain, mais à mon avis, il aurait mieux valu laisser le futur président et le futur gouvernement décider en fonction de ce qui va se passer. Parce que s’ils font une loi maintenant ils vont rendre service au prochain président et lui créeront au même temps un problème.

Le service qu’ils lui rendent c’est que demain, si « la nouvelle République » estime que la loi n’est pas bonne, il suffira de dire que c’est une loi qui a été faite par « l’ancienne République » et personne ne dira pourquoi la changer.

Mais ils vont créer un problème par la chose suivante : si le futur gouvernement modifie la loi, ça va être un signe très négatif au partenariat, parce que les partenaires étrangers cherchent la stabilité législative. Le changement de la loi entre 2005 et 2006 a été très négatif pour le partenariat, et depuis, rien n’a marché.

Que pensez-vous de la teneur de la nouvelle loi ?

Je n’ai pas encore pris connaissance du contenu de la loi. Il y a juste une version qui a circulé. Je ne vous cache pas que j’ai été moi-même, en ma qualité d’ancien PDG et pour avoir vécu la loi de 1986, consulté pour le changement de la loi par des bureaux d’études. J’ai donné mon avis qui est le suivant : la loi 86-14 est la meilleure loi qu’on n’ait jamais faite et il vaut mieux revenir à ce texte, quitte à modifier un petit peu la fiscalité, l’adapter à la rentabilité actuelle, aux difficultés de découvrir et de développer, au prix du baril actuel, à la transition énergétique dans le monde…

Il y a beaucoup de paramètres qu’il faut prendre en considération et qui nécessitent le changement de la fiscalité, le mode de contrats, etc. Mais le contrat de partage de production de la loi 86-14 reste le meilleur, c’est lui qui a donné les meilleurs résultats durant les années 1990. Il vaut mieux donc revenir à ce type de contrat et adapter la fiscalité, etc. Maintenant, est-ce qu’ils ont pris en considération mon avis ? Ça, je n’en sais rien.

Le problème réside-t-il vraiment dans la loi ?

Changer la loi, c’est bien beau. La loi c’est rien, comme je vous l’ai dit, de toute façon, elle n’est pas rétroactive. Deuxièmement, si on veut développer le partenariat, il faut améliorer le climat des affaires. C’est la bureaucratie à tous les niveaux. Les partenaires trouvent des difficultés extraordinaires pour travailler, pour entrer en contact avec les principaux décideurs.

Le problème n’est pas au niveau de Sonatrach ou d’Alnaft, il est au niveau des autres administrations qui entrent en jeu dans la mise en œuvre des contrats de partenariat. Et là, je parle de la Douane, des services fiscaux, de l’administration d’une façon générale, c’est le parcours du combattant. Donc vous faites la meilleure loi du monde, si vous ne changez pas le climat des affaires, si vous ne supprimez pas la bureaucratie, vous n’obtiendrez rien du tout.

C’est Sonatrach qui a attiré l’attention du gouvernement. Pourquoi selon vous ?

Sonatrach a eu raison d’attirer l’attention du gouvernement parce qu’elle a une lourde responsabilité. Sonatrach produit la seule recette fiscale et exportation qui permet au pays de rester debout. Cette fiscalité et cette exportation proviennent de la production en hydrocarbures, que ce soit en partenariat ou par Sonatrach, ça n’a pas d’importance. Or, la production est en train de baisser parce que les gisements vieillissent.

Par conséquent, si on continue comme ça, si on ne découvre pas plus, si on n’améliore pas la production, on va aller droit dans le mur entre cinq et dix ans. Parce que la consommation intérieure est en train d’augmenter plus rapidement que la production ou le taux de renouvellement des réserves. La consommation gazière du pays augmente chaque année de 7 à 8%, l’électricité aussi. L’augmentation de la consommation énergétique, y compris les carburants, c’est 5.4% par an, ce qui est énorme.

Si on continue comme ça, à partir de 2025, la rente pétrolière et gazière va obligatoirement diminuer. Voilà la sonnette d’alarme tirée par Sonatrach. Cette dernière a raison de demander au gouvernement que des mesures soient prises, pour éviter la bureaucratie.

Il y a environ deux mois, un ancien douanier a déclaré qu’il y avait un trafic dans le comptage du gaz exporté. Par la suite, Sonatrach a commencé à avoir des problèmes pour charger des bateaux à l’export, parce que la Douane a commencé à dire non, à demander à contrôler, alors que Sonatrach a des obligations vis-à-vis de ses partenaires. Elle en est arrivée à demander l’intervention du président ou du gouvernement pour permettre le chargement d’un bateau à cause d’une obligation contractuelle.

Tout cela parce que quelqu’un a dit qu’il y avait un trafic sur le comptage. Je n’y crois pas personnellement, je ne pense pas. J’ai travaillé assez longtemps à Sonatrach pour pouvoir dire que c’est pratiquement impossible. Il peut y avoir des erreurs, mais pas de trafic de comptage. Le non-chargement d’un bateau, ça coûte, le client peut vous pénaliser. Sonatrach a des problèmes, c’est pour ça qu’elle a tiré la sonnette d’alarme.

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