Le SG du RND Ahmed Ouyahia vient de l’affirmer, en prenant à contre-pied le ministre des Finances Abderrahmane Raouya : la réforme des subventions ne sera pas pour 2019 .On s’en doutait un peu.
Les périodes électorales ne sont pas spécialement favorables à la mise en œuvre de réformes fortement impopulaires. Sur ce chapitre particulièrement sensible, à neuf mois des élections présidentielles, le gouvernement n’est clairement plus maître du calendrier. C’est certainement le message que le porte-parole du RND Seddik Chihab a voulu adresser au ministre.
Abderrahmane Raouya avait d’ailleurs lui-même fortement suggéré que l’Exécutif va prendre tout son temps en énumérant un très grand luxe de précautions.
« On ne touchera pas à la politique de subvention tant qu’on n’aura pas réglé définitivement le problème de l’identification des ménages, le montant et la manière de procéder. Cela va se faire avec l’ensemble des pouvoirs publics. Après la fin des études, on se retrouvera autour d’une table pour en rediscuter. Par la suite, une grande campagne de communication sera dirigée vers nos concitoyens pour leur expliquer comment on doit procéder », avait précisé la semaine dernière le ministre des Finances.
La mise en œuvre de la réforme des subventions semble donc clairement renvoyée au lendemain des prochaines échéances électorales. Peut-être à la loi de finances 2020.
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Une feuille de route déjà prête ?
L’aspect le plus intéressant des déclarations de Raouya ne concernait finalement peut-être pas le calendrier mais surtout la méthodologie.
Une liste de produits serait déjà prête dans laquelle figurent au premier rang les tarifs de l’électricité et le prix des carburants. Pour les tarifs de l’eau, le ministre des Finances était plus évasif : « Plus tard , peut-être ».
On notera également qu’il n’est pas question des produits alimentaires de première nécessité dans la démarche évoquée par le ministre des Finances. Des précisions qui semblent indiquer que le gouvernement s’est déjà doté d’une feuille de route.
Les prix de l’énergie d’abord
Le gouvernement semble donc avoir fait son choix. Il veut commencer par réviser les prix de l’énergie. Et pour cause, la loi de finances pour 2016 mentionnait pour la première fois le coût des subventions énergétiques pour la collectivité. Un coût énorme : plus de 1500 milliards de dinars chaque année, soit un peu moins de 15 milliards de dollars répartis à égalité entre subventions aux carburants et subvention du prix de l’électricité. En fait, le problème des subventions en Algérie est à plus de 80% un problème de prix de l’énergie
Plus récemment, à peine quelques jours après sa prise de fonction, le ministre du secteur, Mustapha Guitouni, avait fait une intervention remarquée dans le débat économique national en déclarant devant les sénateurs : « Le gouvernement subventionne le carburant, l’électricité, le gaz, l’eau, etc. Même si nous avons des milliards et des milliards de dollars, ça ne nous suffira pas ».
Le ministre de l’Énergie avait également livré quelques chiffres très précis sur le gap entre les prix de l’énergie, électricité et carburants, pratiqués dans notre pays et ceux des pays voisins.
« En Algérie, le litre d’essence ou de gasoil est vendu en moyenne près de 3 fois moins cher qu’au Maroc et plus de 2 fois moins cher qu’en Tunisie ».
L’écart avec le reste du monde est encore plus sensible pour le prix de l’électricité. En Algérie, toujours selon M. Guitouni , le kw/heure est facturé cinq fois moins cher qu’au Maroc pour la première tranche de consommation et encore 4 fois moins cher pour les « gros consommateurs » de la quatrième tranche qui ne sont pourtant pas dans le besoin.
Poursuite de l’explosion de la consommation d’électricité en 2017
Toujours à l’automne dernier, M. Guitouni pointait du doigt le gaspillage qui pousse Sonelgaz à produire des quantités « supplémentaires qui lui coûtent des milliards de dollars par an. Alors même que l’Algérie dispose déjà d’une puissance électrique installée de 14.000 MW , le Maroc 6.000 MW et la Tunisie 4.000 MW ».
Le diagnostic de Mustapha Guitouni était sans ambiguïté : « Ce sont les prix de l’énergie trop bas en Algérie qui incitent à la consommation »
Des informations publiées au cours des dernières semaines paraissent lui donner raison. Elles confirment la poursuite de l’explosion de la consommation d’électricité et la responsabilité des tarifs dans cette situation.
Selon la revue « Algérie énergie » éditée par le ministère de l’Énergie, la consommation d’énergie électrique a connu une hausse de 10% en 2017. .Une consommation estimée à 60 GWh, selon la revue du ministère qui indique que cette tendance haussière est tirée surtout par la demande des clients de la haute tension, qui a augmenté de 20%.
La demande en énergie électrique continue d’enregistrer des pics durant la saison estivale. Elle a atteint en 2017 une forte hausse de plus de 11 %, avec un pic de 14,2 GW, par rapport à l’été 2016 qui a enregistré, quant à lui, un pic de 12,8 MW.
Par ailleurs, le nombre d’abonnés pour l’électricité a enregistré une croissance de 4%, avec 9,2 millions de clients, et de 7% pour le gaz avec 5,3 millions d’abonnées, par rapport à 2016. Ce qui porte le taux de raccordement pour l’électricité à plus de 99% et pour le gaz naturel à 57%, selon la revue du ministère.
Commentant ces chiffres très éloquents, Mustapha Guitouni a déclaré récemment que « l’augmentation de la tarification de l’électricité et du gaz n’est pas à l’ordre du jour pour le moment du moins », affirmant cependant que sa révision à l’avenir est « inévitable » étant donné que le coût de production est supérieur au prix payé par le citoyen.
Carburants : la consommation baisse depuis 2016
Les augmentations de prix appliquées aux carburants depuis 3 ans semblent avoir eu, en revanche, un effet significatif pour discipliner la consommation .Alors que la croissance de la consommation de carburants stimulée par des prix dérisoires, était carrément vertigineuse, plus de 10% par an jusqu’en 2015 selon des chiffres officiels, la situation a changé complètement depuis 2016.
Voici quelques semaines, l’Agence de régulation des Hydrocarbures (ARH) relevait ainsi que pour la troisième année consécutive, la consommation des carburants (hors GPL) continue sa tendance baissière. La consommation d’essence est ainsi passée de 4,43 millions de tonnes en 2015 à 4,27 millions de tonnes en 2016, pour atteindre 4,15 millions de tonnes en 2017, soit une baisse de 6,3% entre 2015 et 2017.
Pour le gas-oil, la consommation est passée de 10,8 millions de tonnes en 2015 à 10,3 millions de tonnes en 2016 , pour atteindre 10,1 millions de tonnes en 2017, en recul de 6,6% entre 2015 et 2017.
Selon cette agence de régulation, cette tendance s’explique non seulement par l’ajustement des prix des carburants à partir du 1er janvier 2016 mais aussi par la « baisse sensible » des importations des véhicules.
Elle semble se poursuivre depuis le début de l’année en cours puisque, toujours selon l’ARH, la consommation des carburants sur le marché national a atteint 3,35 millions de tonnes au 1er trimestre 2018 contre 3,40 millions de tonnes sur la même période de 2017, soit une nouvelle baisse de 1,4%.
Les augmentations de prix appliquées début 2018 semblent de nouveau être efficaces. Les consommations des trois types d’essence sont en recul de 5% avec une mention particulière pour le super qui est en diminution de 14%.
Quant au gas-oil, dont les prix ont été augmentés de façon très modeste au début de l’année, sa consommation est restée quasiment au même niveau à 2,42 millions de tonnes sur les trois premiers mois de 2018.
Capacités de production nationales : une course-poursuite absurde
Un ensemble d’informations et d’expériences récentes qui sont certainement de nature à conforter la conviction qu’une hausse progressive des tarifs et des prix de l’énergie constitue un moyen efficace pour rationnaliser la consommation.
On reste cependant encore très loin de mesures qui pourraient avoir un impact significatif sur le gaspillage des ressources nationales particulièrement en ce qui concerne la consommation d’électricité.
En attendant, grâce à la très grande « prudence » de l’Éxécutif dans ce domaine, la course-poursuite absurde entre des capacités de production nationales toujours « insuffisantes » et une consommation stimulée par des prix très fortement subventionnés va donc continuer encore pour au moins quelques années.
En plus de son coût financier colossal, elle aura également un impact important sur nos réserves d’hydrocarbures et le surplus exportable.
Plus de 50% du pétrole brut produit en Algérie est déjà transformé en carburants. C’est également le cas de près de 40% de la production gazière qui est déjà consommée localement, essentiellement à des fins de production de l’électricité.