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Trappes, cette ville française où l’ex-GIA a semé le fondamentalisme

« La communauté »*. Le titre du livre sonne comme une autopsie. Un examen fouillé de Trappes, une ville nichée dans les Yvelines, en région parisienne, que l’on doit à Rahaëlle Bacqué et Ariane Chemin. Les deux journalistes du Monde ont mené l’enquête au cœur de cet ancien fief communiste tenaillé aujourd’hui par le communautarisme religieux.

Si la ville est connue pour être celle où a éclos Jamel Debbouze, Omar Sy ou encore Nicolas Anelka, elle l’est aussi pour être devenue l’une des filières du « djihadisme » français. Jusqu’à ce jour, 67 radicalisés l’ont abandonnée pour gonfler les rangs de Daech, en Syrie et en Irak, même si les derniers chiffres communiqués par les services de renseignements français se veulent optimistes. En 2017, seul un citoyen aurait quitté le pays pour la Syrie, tandis que la zone irako-iranienne compterait 693 adultes français. Pas de quoi néanmoins éviter les pics lancés par la classe politique de droite à l’égard de la ville à forte majorité musulmane. Certains d’entre eux l’ont même rebaptisé le « Trapistan ».

Entre prosélytisme et influence radicale

Une partie de l’enquête se fixe au milieu des années 90, période à laquelle Trappes voit arriver en son sein des prédicateurs du Tabligh, « premiers religieux installés dans la ville ».

Portés par John Ibrahim, un Franco-Américain converti à l’islam, les missionnaires de ce « mouvement musulman piétiste et pacifiste » s’échinent à ramener la jeunesse en manque de repères identitaires vers le droit chemin à une époque où les trafics de drogue ont tissé leur toile dans la ville. Puis le récit avance. Ou alors s’enfonce-t-il.

Le discours religieux de ces croyants, qui se sont toujours tenus à distance de la politique, précède de peu la venue de partisans du GIA, à l’époque où l’Algérie s’enlise dans la guerre civile. À Trappes, le communisme n’est plus et la religiosité s’empare des quartiers.

La ville bascule sous l’influence inquiétante de ces extrémistes, « des barbus en kamis ». On découvre alors sur plusieurs pages Safé Bourada, ce Français d’origine algérienne recruteur de Khaled Kelkal, auteur des attentats de Saint-Michel ou encore Mohamed Benyamina, employé dans une boucherie halal et proche des salafistes. Au final, Trappes est une ville où l’islam se colore de divers courants. L’un est pacifiste, l’autre radical. À ceux-là s’ajoute un troisième, beaucoup plus politique. Il est conduit au travers de Jaouad Alkhaliki et Slimane Boussana, deux figures centrales dans le projet de construction d’une grande mosquée à Trappes.

Bien sûr, ni l’indigence sociale, ni les dissensions qui frappent le monde musulman (guerre en Irak, conflit entre Israël et Palestine), ni les déclarations polémiques de la classe politique n’ont aidé à déminer une situation aussi complexe que bourbeuse.

À la mairie de Trappes, on évite les questions qui dérangent. L’islam est devenu un sujet tabou, ce qui a le don d’agacer Rachid Benzine, islamologue et habitant de la ville. Lui voudrait crever l’abcès pour éviter de futurs drames. Pourquoi tant de repli communautaire ? De départ pour  un supposé djihad ? Est-ce la France qui a failli à son devoir d’intégration républicaine ou cette jeunesse qui rejette la France ? On tourne les pages en même temps que ces questions traversent nos pensées. Puis les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher tombent, et on se dit que tout cela ressemble à un vaste naufrage. Et pourtant, il y en a encore qui continue de batailler ferme pour maintenir cette ville – ou d’autres – hors de l’eau, chacun à leur manière. En refermant le livre, on ne peut s’empêcher d’avoir une pensée pour tous ces héros de l’ombre.


*« La communauté », Raphaëlle Bacqué, Ariane Chemin, aux éditions Albin Michel

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