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Une issue à la crise est possible

Une issue à la crise est possible

CONTRIBUTION. Vendredi 22 Mars, la pluie dont la nature a gratifié notre pays n’a pas empêché le peuple algérien et sa jeunesse de manifester pour renforcer l’argumentaire légal du refus de toute période additionnelle, soit-elle d’un jour, au mandat actuel du Président de la République à la tête de l’Etat algérien.

Le verdict est sans appel et le climat froid et pluvieux n’y a rien changé. Ce verdict concerne aussi tout ceux qui forment le système qui a porté le Président de la République au pouvoir, en cédant devant les oukases constitutionnels pour les 3e et 4e mandats qui lui ont permis d’accaparer tous les pouvoirs à l’issue de changements répétés de l’ordre constitutionnel que notre pays a mis laborieusement en place à partir de 1989.

Faut-il rappeler que cet ordre constitutionnel, mis en place en Février 1989, après les douloureux événements d’Octobre 1988 devait constituer la sève nourricière d’une démocratie algérienne authentique.

L’extraction de cette sève a été contrariée d’abord par la jonction de forces occultes du pouvoir avec les islamistes du FIS dont le projet d’un Etat d’essence religieuse nous a entraîné dans une guerre horrible qui continue de marquer une partie de notre population, y compris des jeunes qui ne l’ont pas vécue et ceux qui n’ont eu d’autres choix que celui de l’exil contraint.

Ce rêve d’une démocratie authentique a été définitivement enterré par le « règne » sans partage de Abdelaziz Bouteflika qui a mis en place une gouvernance dont les rouages sont peuplés de courtisans pour qui seuls comptaient la pérennisation de leur maîtrise des rouages du pouvoir et les bénéfices qui découlent de leur proximité avec les décideurs et autres distributeurs de rentes. Pas un ministre ni un haut dirigeant n’a eu la force de démissionner devant les pires décisions économiques, sociales et politiques prises sous le sceau « des programmes du Président » et sous sa « haute autorité ».

Devant cet état de fait, et le verdict populaire rendu par les marches impressionnantes de ces trois dernières semaines, il n’y a d’autres alternatives pacifiques pour notre pays que d’affirmer que le Président DOIT partir avant le 28 Avril et rendre le pouvoir au peuple souverain. Qu’il exerce sa faculté pour décider s’il doit partir le 27 Avril au soir ou qu’il décide de démissionner avant cette date ne change plus les données du problème.

Comme je l’ai mentionné dans mes interventions, le droit constitutionnel algérien a suffisamment de ressources pour mettre en œuvre une solution satisfaisante pour les millions d’algériens qui ont exercé librement de manière civilisée leur droit naturel de citoyenneté, si longtemps dénié. Les circonstances exceptionnelles créées par ces manifestations sont en elles-mêmes des arguments juridiques qui peuvent fonder une solution de sortie de crise. Toutes mesures dilatoires visant à ne pas donner sa force à ce verdict n’aura pour conséquence que faire perdurer la crise politique et créer les conditions d’une radicalisation porteuse d’incertitudes et de risques.

Si le Président Bouteflika veut donner un sens matériel a ses dernières communications épistolaires et engagements envers le peuple algérien, il doit mettre en marche un processus effectif pour organiser son départ avant le 28 Avril 2019 et transférer le pouvoir au peuple souverain qui a rendu son verdict. Le formalisme juridique et constitutionnel ne doit pas être invoqué pour brider, voire détourner le sens de la revendication populaire de refus d’un nouveau mandat électoral pour le président et d’un changement de système de gouvernance.

Pour le Président de la République, un tel départ volontaire serait la solution juste et responsable qui respecterait en partie le serment qu’il a prêté quatre fois de servir le peuple et de respecter sa souveraineté. La démission et le transfert du pouvoir dans un cadre pacifique permettrait à son successeur immédiat et transitoire de contribuer à la mise en place du mécanisme et des institutions transitoires pour assurer l’adoption d’un cadre légal adéquat qui permettrait aux citoyens algériens de choisir librement leurs représentants sur la base des programmes qu’ils leur auront proposés et pour le respect desquels ils les tiendront responsables pendant leurs mandats.

Notre pays n’a pas besoin et ne peut supporter une crise de longue durée que veulent lui imposer ceux qui ont lancé l’initiative de rechercher des supports internationaux à la démarche du Président de la République au lieu d’avoir le courage de dire la vérité à ce dernier et de lui signifier que le pays avait, depuis bientôt vingt ans, besoin de reformes qu’il n’a jamais voulu faire car elles auraient signifié des limites du régime qu’il était en train d’imposer au pays a coup de dépenses inconsidérées des revenus pétroliers de la nation et d’oukases constitutionnels qualifiés de reformes mais qui n’avaient pour autre objectif que de maintenir en place un système politique de plus en plus ineffectif, corrompu et incompétent. Les dernières déclarations du chef du FLN et du porte-parole du RND sont à ce titre hautement significatifs.

Les institutions parlementaires actuelles ne sont pas indiquées pour élaborer ce nouveau système électoral car elles sont elles mêmes issues du précèdent système électoral et les partis politiques qui sont á l’origine de la crise politique que nous vivons. Les déclarations de leurs leaders proclamant leur « compréhension » du ras-le-bol exprimé par le peuple et sa jeunesse ne sont que des cris de détresse d’hommes qui n’ont pas bien saisi la profondeur de la crise dans laquelle ils ont mis le pays. Crise politique mais aussi crise socio-économique qui a mis l’Algérie dans une perspective d’ajustement économique douloureux qui devra être fait mais dont la réussite dépendra autant de la transparente dans les effets ont déjà commencer à se faire sentir.

Le Président de la République et ses gouvernements qui n’ont plus de solutions à la perspective d’un tel ajustement douloureux, se sont lancés dans cette quête d’un cinquième mandat funeste pour maintenir au pouvoir un homme malade, affaibli, absent, représenté par une photo dans un cadre. Ils se sont attaché les services de diplomates venus vendre au peuple et à sa jeunesse un savoir-faire douteux dans la résolution des conflits politiques, et qui se sont mobilisés pour obtenir la bénédiction des puissances étrangères dont ils sont allés courtiser les dirigeants et qu’ils croyaient pouvoir obtenir facilement.

De ce vide institutionnel que l’on observe, il est clair que l’appel à un conseil de patriotes sages est indiqué comme nécessaire pour faire justice aux demandes populaires, pendant un intérim que pourrait assumer le Président du Conseil de la Nation (qui sera le remplaçant intérimaire naturel du président démissionnaire ou en fin de mandat) pour une période exceptionnelle de six mois pendant lesquels un nouveau cadre électoral doit être approuvé par un référendum populaire.

L’adoption de ce nouveau cadre électoral sera suivie d’élections générales d’un Président de la République et d’une Assemblée constituante. Le Président élu prendra l’engagement de respecter la souveraineté de l’Assemblée constituante qui aura un délai d’un an pour adopter un projet de constitution qui sera soumis au peuple. Ainsi, on pourra se reconnecter avec l’histoire contrariée du travail de constitutionnalisation entamé en 1963 par une assemblée constituante présidée par feu, le Président Ferhat Abbas, et dont le travail a été interrompu par un coup de force des dirigeants du FLN de cet époque.

Dès que le Peuple aura adopté cette nouvelle constitution qui donnera naissance à la République Algérienne, des élections parlementaires seront organisées pour donner au peuple une représentation légitime et légale. C’est cette future constitution qui décidera du sort du Président en exercice au moment de son adoption.

J’ai la profonde conviction que ce Conseil des sages qui fonctionnera auprès du Président du Conseil de la Nation pendant la période intérimaire peut être constitué de femmes, d’hommes qui reflètent la démographie de notre peuple aussi bien du point de vue du genre, de l’âge, des conditions socio-professionnelles et surtout de l’engagement politique pour aider à diriger le mouvement de démocratisation du pays et de l’Etat. Des femmes et des hommes qui ont prouvé leur engagement pour les droits de l’homme, les droits syndicaux, la promotion des cultures nationales et la défense de la souveraineté de notre pays et de l’intégrité de ses frontières. Des hommes et des femmes qui n’ont cessé depuis de longues années de dire au Président les dangers qui guettent notre pays du fait de la déliquescence des mœurs politiques et du fonctionnement de l’Etat. Ils sont dans les associations, les universités, la presse nationale, la diaspora, les partis et même au sein de l’administration publique.

Il m’est difficile de croire que les dirigeants du système actuel n’aient pas identifiés ces femmes et hommes dignes enfants de notre patrie, et qu’ils n’entreprennent pas des démarches pour faire appel à eux pour afin de trouver la voie salutaire pour sortir du piège du « pourrissement » et des conflits qui pourraient en découler. Il n’y a que ceux qui ne sont pas au courant des développements socio-politiques et économiques de notre pays qui n’ont pas rencontrés, écoutés ou lus les travaux, opinions ou voix de ces hommes et ces femmes qui méritent d’être dans ce comité de sages dont le pays a besoin aujourd’hui.

Durant cette période intérimaire, le gouvernement sera constitué de femmes et d’hommes compétents qui n’auront d’autres attributions que de veiller au bien et à la sécurité publique dans une gestion prudente des affaires courantes et des relations internationales de notre pays. Pendant cette période intérimaire, il est essentiel que nos assemblées locales élues soient encouragées à prendre davantage l’initiative de dialogues avec leurs populations qui seront consultées sur les activités de développement local en attendant une véritable réforme de la décentralisation politique, administrative et économique loin des concepts de « tutelle » et de « contrôle administratif » qui ont fini par vider de tout sens la vie politique locale et donner tous les pouvoirs de décision aux seuls instances administratives représentants le pouvoir central. Notre administration a un corps de hauts fonctionnaires et de cadres compétents qui, libérés du clanisme et de la culture de cour, exerceront leurs attributions dans l’esprit du service public. Avec l’ensemble des services de sécurité, notre glorieuse ANP sera un garant essentiel de la protection de ce processus et de la défense continue du territoire de notre pays. Ses chefs ne peuvent aujourd’hui ne pas s’engager dans cette voie pour faire grandir encore notre pays et lui permettre de se renforcer par les vertus de la démocratie, de la solidarité et de l’unité nationale.

Le départ du Président de la République et des instances politiques du système qui soutenaient sans réserve son pouvoir seront les moments significatifs de la conquête de l’ordre démocratique qui fera de notre pays un exemple de mouvement populaire civique, discipliné et résolu qui a réussi sa quête de liberté et de démocratie.

Ce pays deviendra un pays où il fera bon vivre, travailler, prospérer à l’ombre d’une justice protectrice et aura ainsi réalisé enfin le serment de nos glorieux chouhadas en écartant définitivement tous ceux qui en ont utilisé la gloire pour accaparer le pouvoir et réduire les générations montantes depuis l’indépendance à la marginalisation politique, économique et sociale et à l’émigration.


*Mohammed Abdelwahab Bekhechi est ancien professeur de droit et ancien membre du Conseil Constitutionnel

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