Politique

Usage du français : les raccourcis dangereux de Abderrazak Makri

Sa première réaction aux amendements proposés par la commission d’experts n’a pas fait parler. Le 8 mai, Abderrazak Makri, président du Mouvement de la société pour la paix (MSP), avait vertement critiqué le contenu de la première mouture de la nouvelle Constitution.

Il la juge hésitante sur la nature du régime politique, muette sur la fraude électorale, en tout cas très en-deçà des attentes de beaucoup sur des questions comme la séparation et l’équilibre des pouvoir ou l’indépendance de la justice.

Près de deux semaines plus tard, mardi 19 mai, le bureau exécutif national du parti se réunit et se fend d’un communiqué qui fera réagir et suscitera une vive polémique sur les réseaux sociaux. Cette fois, le MSP aborde la question sensible de l’identité nationale, complètement occultée dans le communiqué du 8 mai.

Le bureau exécutif explique que, « en plus des observations faites dans un précédent communiqué par rapport aux amendements proposés dans le cadre de la révision constitutionnelle, il souhaite clarifier sa position par rapport à la question de l’identité nationale ».

« Une position, précise-t-il, qui émane des convictions du parti exprimées dans ses statuts ».

Le MSP propose de faire de la référence du 1er Novembre un article insusceptible de faire l’objet de révision et fera plusieurs suggestions polémiques, comme lorsqu’il appelle à « prendre la chari’a islamique comme une des sources de la législation », à « généraliser l’utilisation de la langue arabe, en sa qualité de langue nationale et officielle, dans toutes les administrations et documents officiels » et, surtout à « criminaliser l’utilisation de la langue française dans l’administration et les documents officiels ».

Concernant la langue amazighe, il l’occulte presque entièrement. Il appelle à la considérer dans le préambule de la Constitution, avec la langue arabe, comme « deux langues sœurs appartenant à travers les siècles à la même dimension civilisationnelle », mais ne se prononce pas sur son maintien ou pas comme langue nationale et officielle ni sur la proposition du comité Laraba de faire de l’article qui lui confère ce statut un article insusceptible d’être amendé.

Une vive polémique

Les réactions suscitées dans les espaces de débat notamment sur les réseaux sociaux ont sans doute dépassé les espérances du MSP et de son président. C’est une vive polémique. Une telle vision a ses adeptes mais aussi ses adversaires.

Abderrazak Makri est salué pour ses positions mais aussi attaqué pour avoir « appelé à l’application de la Chari’a », même s’il ne l’a pas fait ouvertement, proposant seulement de faire de la loi islamique une source parmi d’autres pour la législation nationale, pour sa position pour le moins ambiguë vis-à-vis de Tamazight et son appel à créer un autre interdit, celui d’utiliser la langue française.

Mais c’est sur ce dernier point seulement que Makri semble souhaiter centrer le débat. Sur les réseaux sociaux il multiplie les posts, les propos surréalistes et les accusations farfelues qui rappellent plus la littérature des trolls que le discours d’un parti politique au ton mesuré et respectueux. « Suppôts du colonialisme », « enfants de la France », « lobbies d’un État étranger », sont parmi les qualificatifs utilisés par Makri pour désigner ceux qui ont exprimé un avis différent du sien.

« Le dernier communiqué a remis la bataille à son endroit. La proposition de criminaliser l’usage du français dans l’administration et les documents officiels a fait mal aux enfants de la France, car leur véritable cause c’est la défense du français et des intérêts français. Le véritable danger pour la langue arabe c’est le français. Ils utilisent nos divergences pour servir la langue, la culture et les intérêts français. Ce sont des lobbies qui travaillent pour un État étranger et rien d’autre », écrit-il au lendemain du communiqué de son parti.

Ce jeudi, il revient à la charge : « Les Français sont jaloux de leur langue et n’acceptent pas qu’on y touche. Ils ont tout un arsenal juridique pour imposer l’usage exclusif du français dans la sphère officielle. Chez nous, les suppôts du colonialisme sont contrariés lorsque nous essayons de défendre notre souveraineté et appelons à criminaliser l’usage d’une langue autre que la nôtre dans l’administration et les documents officiels ».

Au prix de raccourcis dangereux mais porteurs sur le plan de l’audience, Makri et son parti ont eu ce qu’ils voulaient : rebondir et entretenir l’illusion d’avoir un avis qui compte.

Quitte à froisser par leur plaidoyer pour le monolinguisme le discours officiel qui prône le développement des langues étrangères dont le français, l’anglais et le chinois. C’est l’engagement pris par le Premier ministre Abdelaziz Djerad simultanément à la sortie controversée du président du MSP.

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