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Israël-Qatar, Algérie – France, Mali, Sarkozy : entretien avec Abdelaziz Rahabi

Dans cet entretien, le diplomate Abdelaziz Rahabi revient sur l’agression israélienne contre le Qatar, la crise franco-algérienne, répond à Nicolas Sarkozy, l’IATF, la crise au Sahel…

Israël-Qatar, Algérie – France, Mali, Sarkozy : entretien avec Abdelaziz Rahabi
Diplomate, Abdelaziz Rahabi trace les perspectives d’une Algérie plus active sur la scène africaine / Source : DR pour TSA
Hamid Guemache
Durée de lecture 6 minutes de lecture
Tiret rouge · Attaque israélienne contre le Qatar : « C’est l’évolution qualitative la plus importante depuis 1948. »
Tiret rouge · Algérie – France : voici le « préalable à tout climat de confiance ».
Tiret rouge · Nicolas Sarkozy est le « chef de file du lobby pro-marocain en France ».
Tiret rouge · « Le Maroc a une diplomatie à dossier unique ».
Tiret rouge · Le Mali adopte la méthode de la « tension permanente » du Maroc avec l’Algérie.
Tiret rouge · « L’Algérie doit « renouer avec sa vocation, sa profondeur stratégique et les défis de l’Afrique ».
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Temps de lecture 6 minutes de lecture

Abdelaziz Rahabi, ancien ministre et ex-ambassadeur d’Algérie à Madrid, décrypte dans cet entretien exclusif à TSA les implications régionales de l’agression israélienne contre le Qatar, le rôle des États-Unis, les leçons à tirer pour le monde arabe…

Il analyse les bouleversements en cours dans le monde arabe, revient sur les conditions de sortie de crise entre l’Algérie et la France, répond à Nicolas Sarkozy…

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Diplomate, Abdelaziz Rahabi trace les perspectives d’une Algérie plus active sur la scène africaine, et revient sur les raisons des tentatives du Mali de maintenir une tension permanente avec l’Algérie.

Israël a bombardé le Qatar. C’est une première contre un pays du Golfe. Quelles sont les leçons à tirer pour les pays arabes ?

C’est une agression caractérisée contre un État souverain qui n’est pas en guerre contre Israël, un terrorisme d’État qui ne s’arrêtera pas tant que les États-Unis lui assurent l’armement, un soutien diplomatique et inconditionnel et sans limites et l’impunité dans les institutions internationales.

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Israël tire sa force principalement des États-Unis, d’une partie de l’Europe et de la faiblesse du monde arabe. Le génocide programmé à Gaza a accéléré la prise de conscience de la société civile occidentale, qui a découvert la nature belliqueuse et arrogante d’Israël. C’est l’évolution qualitative la plus importante depuis 1948.

Le Qatar abrite la plus importante base américaine au Moyen-Orient, mais il n’a pas bénéficié de la protection américaine. Pourquoi « la police d’assurance américaine » n’a pas fonctionné ?

Tout ce qui est bon pour Israël est bon pour l’Amérique qui était informée de l’attaque et qui à l’évidence n’a pas émis d’objection.

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Dans cette région du monde arabe, les États-Unis présentent Israël non seulement comme le représentant des intérêts et des valeurs de l’Occident, mais également comme le garant de la sécurité du Golfe contre « la menace » iranienne.

Beaucoup de dogmes seront révisés et cette agression contre le Qatar replace l’urgence du règlement de la question palestinienne au centre de la stabilité de la région.

Les Saoudiens en sont conscients et placent la reconnaissance des droits des Palestiniens au centre de toute initiative diplomatique. Ce que l’Algérie réclame depuis les années quatre-vingt.

Israël a bombardé le Liban, la Syrie, l’Iran et le Qatar. Il est soupçonné d’avoir attaqué un bateau de la flottille pour Gaza au large de Tunis. Quels messages faut-il retenir ?

Depuis les années 1970, Israël a bombardé 7 pays arabes sans avoir été condamné en raison du veto américain au Conseil de sécurité. Ce dernier est détourné de sa mission de promotion de la paix et est devenu un outil de légitimation des guerres.

Sa réforme, souvent réclamée par le Sud, est une illusion et un agenda onusien de pure forme destiné à faire patienter les puissances émergentes.

Ceux qui ont le droit de veto ne sont pas disposés à le partager. Le Conseil de sécurité est la représentation des rapports de force en 1945 et ne peut prétendre incarner la réalité internationale actuelle.

Les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale ont déterminé les critères et ne sont pas disposés à les discuter. Sur quelle base peut-on prétendre au statut de membre permanent, aujourd’hui : population, PIB, superficie, économie, puissance militaire, parité des sièges entre les continents…

L’une des principales raisons du processus de multipolarisation que nous vivons maintenant est que ses principaux animateurs (Chine, Russie, Inde, Brésil, Afrique du Sud…) n’acceptent plus le statu quo conçu en l’absence des deux tiers de la planète.

En France, le président Emmanuel Macron a désigné un nouveau Premier ministre en la personne de Sébastien Lecornu. Une sortie de crise avec l’Algérie est-elle encore possible d’ici les présidentielles françaises de 2027 ?

L’instabilité institutionnelle en France rend difficile l’identification des interlocuteurs pour trouver ensemble une fenêtre d’opportunité.

Il y a beaucoup de signaux contradictoires de Paris qui rendent difficile une lecture objective et lucide à Alger.

Comme la crise tourne essentiellement autour des questions de circulation et d’établissement des personnes, il est difficile d’envisager des concessions de part et d’autre, car pour la classe politique française, la question de l’immigration est déterminante pour l’électorat et pour nous la sécurité et la dignité de notre communauté est une exigence centrale.

Un nouveau gouvernement français sans Bruno Retailleau facilitera-t-il la reprise des contacts entre la France et l’Algérie ?

Il est regrettable de voir notre pays représenté comme une question d’agenda interne en France. À ce titre, les acteurs politiques mesurent à quel point le seul fait d’évoquer négativement l’Algérie est un gage de promotion politique et qui appelle une surenchère chaque fois plus grande.

Une réconciliation algéro-française est-elle encore possible ? Quelles sont les conditions ?

L’escalade dans le discours et dans les mesures prises contre les intérêts diplomatiques de l’Algérie doit cesser comme préalable à tout climat de confiance.

Dans la tradition diplomatique algérienne, nous privilégions le règlement des questions qui sont à l’origine de la crise. C’est cela qui assure la durabilité des solutions. Cela ne semble pas être la voie du Président Macron qui privilégié les contacts au plus haut niveau.

Certaines mesures comme le refus d’accès des représentants de notre ambassade et nos consulats en France aux avions et bateaux ou la suspension des autorisations d’exercice des représentants consulaires sont de mesures qui rappellent la Guerre froide.

Elles sont sans effet si ce n’est celui de rendre la gestion consulaire de nos ressortissants plus contraignante.

Nous sommes réduits à une crise consulaire qui peut paraître subsidiaire par rapport aux questions stratégiques, mais pas chez nous où il y a une tradition établie sur la question de la dignité de nos ressortissants qui peut compromettre ou différer des projets de visite ou de perspectives de gros marchés pour la France en Algérie.

L’ancien président français Nicolas Sarkozy a appelé à une sorte de troc choquant entre les laissez-passer consulaires pour les OQTF et les visas délivrés aux Algériens. Cette sortie politico-diplomatique ne vous surprend-t-elle pas ?

Les déclarations de Nicolas Sarkozy conditionnant la délivrance des visas aux Algériens au nombre d’OQTF admis relèvent d’un chantage qui n’honore pas leur auteur qui est à l’origine quand il était ministre de l’Intérieur de l’une des grosses mystifications dans les relations diplomatiques ente l’Algérie et la France : la supposée demande algérienne de repentance qui lui a servi comme marche pied pour l’Elysée. Il sait ce que l’Algérie rapporte électoralement en France.

Il s’agit d’un ancien président, d’un acteur influent au sein de la droite et du chef de file du lobby pro-marocain en France.

Ce qui préoccupe le plus ce n’est pas tant son lobbying, mais sa présentation de l’Algérie comme un pays hostile à l’Occident et responsable de l’échec de l’intégration régionale après son initiative de l’Union pour la Méditerranée destinée avant tout à intégrer Israël dans ce processus qui devait aussi servir de cadre de substitution aux ambitions turques d’adhésion à l’Union européenne.

Tout comme il a beaucoup insisté auprès de l’ancien président de la République Abdelaziz Bouteflika sur l’intégration maghrébine.

En fait, sur cette question, beaucoup de dirigeants français de droite comme Nicolas Sarkozy rêvent non seulement d’être influent au Maroc, mais également en Algérie, en Tunisie et en Libye.

Cela leur donne un poids à Bruxelles où ils se présentaient jusqu’aux années 1990 comme les porte-paroles de l’Afrique du Nord.

Face à l’Allemagne et sa réelle et historique influence en Europe centrale et l’Espagne en Amérique latine, la France avait besoin d’être perçue et traitée comme une puissance influente dans notre région.

Le Mali a déposé une plainte contre l’Algérie au niveau de la Cour internationale de Justice (CIJ) à cause de l’affaire du drone abattu par les Forces de la défense du territoire de l’ANP. Il a choisi la voie de l’escalade au lieu d’opter pour l’apaisement avec son voisin du Nord. La junte militaire au pouvoir à Bamako est-elle manipulée par des forces hostiles à l’Algérie ?

Le Mali n’a pas les moyens de sa politique, cela suppose qu’il s’appuie sur des garanties ou des soutiens non-régionaux qui participent à une opération d’affaiblissement de l’Algérie.

Il alimente une tension permanente avec l’Algérie en s’inspirant de la démarche du Maroc, et cherche sans doute à retarder la normalisation avec le Niger et le Burkina Faso avec lesquels nous n’avons pas de contentieux.

Si l’on peut comprendre que ces deux derniers pays membres de l’AES (Alliance des États du Sahel) affichent un esprit de solidarité avec Bamako, on comprend moins que Niamey et Ouagadougou retirent leurs ambassadeurs à Alger sur le simple fait que Bamako a rappelé le sien.

L’AES innove en ce sens que la politique étrangère commune est un processus historique long qui ne précède pas l’intégration économique par exemple, mais en est l’aboutissement.

Le Mali a entraîné ses partenaires dans l’escalade – sous prétexte de solidarité – au lieu de s’en servir comme passerelle avec l’Algérie.

Le dernier communiqué de Bamako sur le recours à la Cour internationale de Justice (CIJ) six mois après l’intrusion sur notre territoire et la destruction par l’ANP du drone malien opéré par une puissance étrangère est une tentative d’internationalisation d’un problème bilatéral qui relève de la routine dans les relations entre États voisins aussi bien en temps de paix qu’en temps de guerre comme c’est le cas du Mali avec le Nord et d’autres groupes armés aux frontières maliennes avec la Mauritanie et le Sénégal.

En recourant à la CIJ qui est habilitée à déterminer la « responsabilité d’un État lors d’une activité militaire », Bamako doit tenir compte du fait que l’Algérie doit accepter que ce différend soit soumis à la CIJ pour que celle-ci rende son Arrêt.

Il n’y a rien de moins sûr, car Bamako a mis en place les conditions du silence d’Alger en qualifiant l’Algérie « d’État parrain et exportateur du terrorisme au Sahel ».

Comment trouvez-vous le silence officiel d’Alger ?

Il y a une volonté de Bamako de maintenir la tension dans les relations alors qu’Alger a envoyé des signaux d’apaisement même s’ils ont été reçus de façon inégale entre Bamako, Niamey et Ouagadougou.

Il est à craindre que l’Algérie ne tourne définitivement le dos aux dirigeants actuels et n’adopte une attitude plus intransigeante vis-à-vis du pouvoir malien qui entretient une dynamique de rupture.

Dans cet esprit, l’absence de réaction d’Alger ne surprend pas. On veut peut-être éviter la répétition de l’expérience avec le Maroc, dont la diplomatie a un dossier unique, à savoir le Sahara occidental, qui a cherché à enserrer, le 10e grand pays du monde, aux frontières multiples dans un tête-à-tête qui réduit la dimension continentale et l’agenda de notre pays.

La Syrie de l’après-Assad est tiraillée entre ses problèmes internes et les convoitises israéliennes dans ses régions du Sud. Ce pays peut-il s’en sortir ?

C’est incontestablement le pays qui présente le plus d’atouts dans la région. Une élite, une classe moyenne, une autosuffisance alimentaire et une histoire millénaire.

Sa faiblesse, c’est de ne pas assumer sa diversité ethnique et linguistique pour en faire une force et sur cette question qu’Israël agit pour affaiblir la Syrie.

L’Algérie a organisé l’IATF 2025 du 4 au 10 septembre. Quel a été l’impact de cette foire au plan diplomatique pour l’Algérie ?

L’Algérie doit renouer avec sa vocation, sa profondeur stratégique et les défis de l’Afrique. Sous le président Houari Boumédiène, c’était le soutien aux Mouvements de libération pour accélérer l’émancipation du continent. Sous le président Chadli Bendjedid, c’était la formation et la coopération intergouvernementale.

Le président Abdelaziz Bouteflika s’est distingué par l’annulation de la dette au lieu de sa conversion qui aurait pu nous garantir une présence et des intérêts chez les pays bénéficiaires.

Aujourd’hui, je pense que nous capitalisons toutes ces expériences pour passer à une phase portée par moins d’idéologie et plus d’économie qui par le jeu de l’interdépendance est devenue un facteur d’intégration.

Nous avons besoin de développer en plus des banques, un audiovisuel plus performant en direction de notre continent et de favoriser la création de centres de recherche et de think tank consacrés au continent africain que nos élites universitaires connaissent peu.

La coopération économique ne se nourrit pas uniquement d’une dynamique endogène, mais a besoin de tout un environnement comme vient de le confirmer l’IATF 2025.

TSA +