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À Bejaia, une marée humaine contre « la main invisible »

À Bejaia, une marée humaine contre « la main invisible »

Une véritable marée humaine a déferlé, mardi 11 décembre, sur les rues de Bejaia en protestation contre le blocage des projets industriels de Cevital dans plusieurs wilayas du pays.

À l’appel de la Coordination nationale de soutien aux travailleurs de Cevital et aux investissements ainsi que de plusieurs organisations de la société civile, une immense foule a manifesté sa colère et son refus du blocage du premier groupe industriel algérien.

Un million de manifestants ?

Le nombre de manifestants ayant pris part à cette « marche de l’espoir » est difficile à déterminer, tant le cortège était étendu et les carrés de manifestants espacés. Les organisateurs ont, au fil de la journée, donné plusieurs chiffres différents Si au début, ils annonçaient « plusieurs dizaines de milliers » ou « 30 000 manifestants », ils ont vite revu leur estimation à la hausse, sans doute portée par l’enthousiasme des foules et l’arrivée de retardataires qui ont rejoint le cortège alors qu’il était déjà en marche.

« Nous sommes 500 000 ! », a lancé un organisateur du haut du camion dédié à l’équipement de sonorisation. « Nous sommes un million ! », dira plus tard le même organisateur.

Quoi qu’il en soit, la marche de ce mardi 11 décembre à Bejaia a été exceptionnelle, elle a rassemblé un nombre indéniablement très important de manifestants venus principalement de la wilaya de Bejaia mais également d’autres wilayas, notamment de celles où Cevital a des projets bloqués ou en difficulté, comme Sétif, Blida, Boumerdes et Tizi-Ouzou. Mais l’estimation la plus raisonnable de leur nombre se situe, selon ce que TSA a constaté sur place, dans une fourchette allant de plusieurs dizaines de milliers à quelques centaines de milliers. Une affluence historique, mais au-dessous des chiffres avancés par les organisateurs.

Les élites rassemblées autour de Cevital

La manifestation de soutien à Cevital a été un franc succès par le nombre de personnes qu’elle a rassemblé, mais également par la démonstration d’unité et de rassemblement de la société civile, élites et des différentes sensibilités politiques autour du rejet du blocage de Cevital.

Plusieurs députés de Béjaia et d’autres wilayas étaient présents et ont été mis en avant lors de la marche. La plupart d’entre eux appartiennent au RCD, le parti politique qui a montré le plus de soutien aux projets d’Issad Rebrab. Athmane Mazouz, député RCD, était aux premiers rangs de la marche, aux côtés de Nora  Ouali et Lila Hadj Arab, députées du même parti.

Mazouz, connu pour ses discours critiques envers le pouvoir à l’APN, a galvanisé la foule lors de sa prise de parole devant le siège de la wilaya. « Nous devons être mobilisés, nous devons nous unir pour leur dire que s’il y a une main invisible, elle a face à elle des milliers de personnes visibles. Aujourd’hui, la main invisible dont on parle, elle a un nom, elle a un visage, c’est le pouvoir en place! », a-t-il notamment déclaré devant une foule immense.

Khaled Tazaghart, député qui appartenait au Front Al Moustakbal et actuellement porte-parole du Forum Socialiste, a également agité les manifestants par son intervention. »Aujourd’hui, c’est la marche de l’espoir avec un seul message, une lettre pour dire à la présidence de la République et aux décideurs que des millions d’Algériens revendiquent le déblocage de tous les  projets et qu’ils le veuillent ou non. Rebrab est devenu aujourd’hui un héro national parce qu’il a ramené l’espoir à la jeunesse », a-t-il lancé aux manifestants.

Une grande frange de la société civile était représentée dans le cortège. Les élus locaux de Bejaia et d’ailleurs, les syndicalistes, les associations culturelles et sportives, les étudiants, surtout les membres d’organisations estudiantines, ont été nombreux à en faire partie.

La présence parmi les manifestants des directions des trois principaux clubs de football kabyles, la JSK, le MOB et la JSMB, ainsi que de leurs supporters, a été chaleureusement saluée par les organisateurs et les manifestants. La venue de Cherif Mellal, le très populaire président de la JSK a été particulièrement remarquée et saluée.

En réunissant autour d’elle les élites culturelles, sportives et politiques de la région, la Coordination de soutien aux travailleurs de Cevital démontre que le blocage des projets industriels est un problème national dont les conséquences nuisent à toutes les classes de la société.

« Y en a marre de ce blocage ! »

La principale revendication des manifestants était le déblocage des projets de Cevital. Lors du meeting qu’ont tenu les organisateurs face au siège de la wilaya, au terme de la marche, Mourad Bouzidi a fait un rappel des projets bloqués ou en difficulté à cause des entraves rencontrées par le groupe. Il a parlé de l’usine EvCon, destinée à fabriquer des membranes pour la fabrication d’eau ultra-pure, une « première », selon lui, car, a-t-il expliqué, « c’est la première fois depuis l’indépendance qu’une entreprise algérienne exploite une technologie inédite ».

L’usine Oxxo de Tizi-Ouzou, le projet de grand complexe touristique à Tichy, l’usine d’électroménager Brandt de Sétif sont également en difficulté à cause des blocages, a expliqué le président de la coordination. Un blocage dénoncé unanimement par les habitants de Bejaia et des autres wilayas concernées.

Les manifestants ont scandé des slogans contre ces blocages tels que « y en a marre de ce blocage » et « débloquez les projets, débloquez Cevital ». Des slogans qui font écho aux discours des députés et syndicalistes.

« Nous avons beaucoup d’investisseurs qui sont bloqués dans notre wilaya, Monsieur Ouyahia, lorsque vous avez exposé votre plan d’action en 2017, vous avez dit qu’il n’y a plus d’argent, que la rente pétrolière n’est pas suffisante et que nous allions vers la planche à billets mais que vous alliez encourager les investissements, vous n’avez pas tenu parole M. le Premier ministre », a tancé la députée RCD de Bejaia, Noura Ouali. Ahmed Ouyahia a été, pendant la manifestation, la cible de nombreux slogans hostiles.

D’autres revendications sociales ont été lancées par les manifestants. Des emplois et des logements étaient les thèmes centraux de leurs slogans. « Nous voulons des logements, pas des casernes », ont-ils scandé lorsque le cortège est arrivé au niveau du siège du secteur militaire de Bejaia. « Nous voulons des logements, pas des prisons », ont-il également crié en passant devant la maison d’arrêt située dans le quartier de Lekhmis.

Dans le carré où étaient rassemblés les élus et personnalités politiques et sportives, une revendication était récurrente : « Chaâb yourid techghil echabab » (le peuple veut des emplois pour les jeunes ».

En somme, c’est un ras-le-bol général que les marcheurs ont exprimé ce mardi, un ras-le-bol vis-à-vis de la situation socio-économique de la population, aggravée par le blocage des investissements dans la région, mais également vis-à-vis de la situation politique du pays.

« Y en a marre de ce système », « pouvoir assassin », « oulach smah oulach’ (nous ne pardonnerons pas » ou encore « kedhabine, serraqine ou iqoulou wataniyine » (voleurs, menteurs et ils se disent patriotes), sont quelques uns des nombreux slogans à portée politique scandés par les manifestants.

Le mot « liberté » est lui aussi revenu souvent dans les slogans lancés par les manifestants, notamment lorsqu’il s’agissait de réclamer la libération du blogueur Merzoug Touati habitant de la région. Les manifestants et même les organisateurs et élus ont tenu à faire le lien entre la marche de ce mardi et celle d’hier, lundi, organisée pour réclamer la libération immédiate du jeune blogueur.

Les « gilets jaunes » ont veillé à l’ordre, les CRS absents

Les initiateurs de la manifestation ont réussi à faire de leur action une réussite sur tous les plans. Ils ont pu mobiliser un nombre inédit de marcheurs tout en évitant tout débordement.

Tout au long du parcours de la marche, et malgré le nombre impressionnant de manifestants, aucun rideau de commerce n’a été baissé et aucun incident n’a été constaté. Ce qui a sans doute satisfait les organisateurs. Ceux-ci ayant, dès le début de la journée, insisté sur la nécessité de faire de la marche « un exemple de pacifisme, de militantisme et de civilisation ».

Un pari réussi grâce, notamment, aux « gilets jaunes », nom qu’ont reçu les membres du staff d’encadrement de la marche, tous vêtus de gilets de sécurité fluorescents. « Les gilets jaunes de Bejaia, pas ceux de la France », a précisé, moqueur, un des organisateurs.

Les jeunes organisateurs ont pu organiser les carrés, faire scander les slogans, orienter les flux de manifestants et maintenir le calme et l’ordre dans leurs rangs. Une prouesse d’organisation lorsqu’on sait comment il est facile de faire dérailler une marche.

Les forces de sécurité se sont quant à elles faites très discrètes. Aucun dispositif sécuritaire particulier n’a été constaté dans la ville de Bougie, en dehors de quelques petits déploiement d’agents de la circulation chargés de dérouter le trafic routier sur le tracé de la marche.

Les CRS ont été complètement absents, un indice qui permet de dire que la marche a été tolérée par les autorités, contrairement à la marche des libertés de la semaine dernière empêchée par la police.

La « marche de l’espoir » a été une impressionnante démonstration de force des soutiens d’Issad Rebrab et des opposants aux blocages d’investissements à Bejaia et ailleurs. Une démonstration qui risque de se reproduire si les blocages persistent, selon Mourad Bouzidi. « Nous allons marcher chaque mois et nous allons à chaque fois monter en puissance », a-t-il lancé à l’attention des autorités au terme de la manifestation.


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