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Abderrahmane Benkhalfa : « L’économie ne peut pas s’accommoder d’une parité double du dinar »

Abderrahmane Benkhalfa : « L’économie ne peut pas s’accommoder d’une parité double du dinar »

NEWPRESS
Abderrahmane Benkhalfa, ex-ministre des Finances

ENTRETIEN. Aberrahmane Benkhalfa, ancien ministre des Finances, évoque dans cet entretien, le dinar, l’informel et les licences d’importation.

Est-ce qu’avec ces limogeages et ces désignations, on s’éloigne de l’économie qui doit être une priorité dans ce contexte de crise. Que faut-il faire ?

Nous nous devons d’entamer une nouvelle phase qui doit donner la priorité au fonctionnement de l’économie et à la modernisation de ses rouages après avoir mené un processus de développement étendu. Le pays a capitalisé et accumulé sur plusieurs plans : infrastructures, développement socio-économique, prospérité sociale, santé, éducation, logement…

Comment cela se traduirait-il en pratique ?

L’investissement important accompli doublé d’une prospérité sociale relativement élevée nous permet de passer à une économie qui valorise ces acquis mais qui exige une autre forme de gouvernance et des instruments de régulation et de gestion économique rénovés. Certaines démarches novatrices sont entamées, d’autres ne le sont pas.

Les priorités nationales ne sont plus à mon sens dans la poursuite d’un investissement public à fonds perdu à partir de ressources budgétaires qui ne sont plus au niveau souhaité mais dans le changement du mode de fonctionnement et de financement de l’économie.

Comment changer ce mode de fonctionnement ?

Quatre lignes d’action sont nécessaires. La première est de réintroduire une forte efficience dans la gestion de la dépense publique. La deuxième est de donner la priorité à l’investissement économique en apportant le maximum de flexibilité aux règles régissant celui-ci y compris les IDE. La troisième est de réintroduire la valeur en révisant le système des subventions généralisées et le tarif des services publics. La quatrième est d’amarrer l’économie algérienne à l’économie mondiale et atténuer voire cesser toute spécificité des méthodes de gouvernance publique notamment celles applicables actuellement aux entreprises et banques publiques.

Vous connaissez le nouveau premier ministre Ahmed Ouyahia. Est-ce qu’il va agir dans ce sens ?

Je ne veux pas anticiper la ligne politique du programme du PM même si j’ai eu l’honneur de travailler longtemps avec lui et j’ai apprécié sa capacité d’adaptation et de prise en charge des conjonctures.  Personnellement, j’ai certaines convictions acquises durant ma carrière tout en regardant l’évolution du pays. Notre pays est l’un des rares à connaître un fossé significatif entre des fondamentaux macro-économiques solides et une micro-économie non dynamique, et ne permettant pas de valoriser et d’assurer un retour sur investissement acceptable. La phase à venir doit permettre d’ajuster cela, mais la micro-économie découle d’un secteur privé dynamique, d’une économie publique non administrée et de marchés efficients. Sur ces maillons, il reste encore beaucoup à faire.

Et l’endettement extérieur, est-ce qu’il peut constituer une solution à la crise ?

Nos acteurs de marché, soutenus par des politiques publiques volontaristes et une ouverture de l’économie, doivent réagir rapidement pour reconquérir les parts de marché libérés. Le recours à l’endettement externe n’est pas une option indispensable d’autant plus que les autorités ont pris une décision souveraine en la matière. Mais l’investissement externe et les partenariats capitalistiques, visant la production de valeurs ajoutées en Algérie avec des acteurs étrangers  y compris de la part des entités publiques, me semblent constituer la voie d’avenir. Sans vrais IDE porteurs de technologies, de management moderne, de capitaux, de networking et de marques reconnues, notre économie ne pourra pas évoluer. Elle ne peut pas compter uniquement sur les acteurs locaux

L’automobile est l’un des secteurs sur lequel l’État mise pour diversifier l’économie. Mais le gouvernement n’a pas de stratégie claire pour le développer. Pourquoi ?

Ah l’industrie automobile ! Je ne suis pas d’accord avec celles et ceux qui focalisent sur cette filière. Les années antérieures ont connu des investissements dans beaucoup d’autres secteurs : sidérurgie, industrie agroalimentaire, industrie des matériaux de construction…

Cependant, nous sommes arrivés à une phase qui doit satisfaire deux exigences.  La première est la stabilisation de la vision des pouvoirs publics en matière de stratégies industrielles et de promotions des filières. Sincèrement, les investisseurs locaux et étrangers ont besoin de construire leurs business models sur des options publiques stabilisées y compris dans le domaine automobile. La deuxième est qu’il convient de rendre les mécanismes de marchés opérants et fixer les facteurs qui impactent les business models y compris les règles de l’attractivité fiscale et d’aides publiques à l’entreprise car les entreprises ont besoin d’agir sur le moyen et long terme. Il faut, à mon avis, ne pas étendre exagérément les exemptions fiscales et les aides mais une fois décidées, ces niveaux doivent être maintenus pour au moins dix ans.

Globalement, comment peut-on créer une véritable industrie automobile ?

Notre pays doit susciter et faire émerger des automatismes de marché. C’est pourquoi, je parle de réintroduire la valeur dans les transactions et sur les marchés tout en traitant par des moyens économiques et par une inclusion fiscale et financière le secteur informel.

Ce sont ces automatismes qui stimuleront les chaînes de sous-traitance, les chaînes de valeur et l’intégration des PME. Quant aux marchés, le système des prix et les règles de concurrence ne sont pas à un niveau acceptable. Nous sommes devant un fonctionnement non efficient de l’économie de ce point de vue et aucune politique publique ne peut se substituer à ces mécanismes. On parle souvent de la PME, cela est vrai mais notre économie a besoin aussi des grandes entreprises et des entreprises mixtes dans lesquelles il y a un mixage de capitaux, de technologies et de styles managériaux algériens et étrangers.

J’ai la conviction que notre économie de par sa taille, son marché, son modèle de consommation, et le niveau du pouvoir d’achat de nos concitoyens qui fait le bonheur d’autres pays en période estivale notamment, ne peut pas changer son fonctionnement sans une forte synergie avec des partenaires étrangers qui viennent en partenaires d’affaires et pas en vendeurs de produits et de services

Faut-il revoir ou supprimer la règle 49/51 ?

 Je parlais de donner la priorité à l’investissement économique et d’agir pour éliminer  toutes les contraintes dans ce domaine en stabilisant pour longtemps les règles qui régissent ces flux. Deux éléments me semblent, en tant qu’analyste financier indépendant, primordiaux.

Le premier est la flexibilisation de la règle 51/49 qui ne devrait s’appliquer, à mon avis, qu’aux grands flux, aux investissements importants qui bénéficient d’appuis substantiels de l’État et aux activités jugées souverainement stratégiques. Les apports capitalistiques de niveau modeste et qui concernent des activités non stratégiques (services, agro-industries, industries de transformation, activités potentiellement exportatrices) devraient être laissés à la discrétion des partenaires en contrepartie de certaines règles à instituer quant à l’équilibre des flux rentrants et sortants en devises.

Le deuxième est la rénovation du Régime de changes actuel et de la réglementation des flux transfrontaliers de capitaux. Les procédures actuelles d’accueil des capitaux étrangers sur notre sol y compris ceux de notre diaspora ne sont pas simples, ni incitatives. Tout en maintenant une protection juridique de nos avoirs, nous avons besoin d’un véritable lifting de notre réglementation des changes en particulier à l’égard des flux rentrants. Les opérations de rapatriement des capitaux liés à l’exportation des biens et services devraient être encouragées par tous moyens.

Le dinar n’arrête pas de se déprécier et l’informel domine une bonne partie de l’économie nationale. Un changement de monnaie peut-il constituer une solution contre l’informel ?

L’économie ne peut pas s’accommoder d’une parité double du dinar telle qu’elle existe actuellement et qui s’amplifie. Mais la parité ou la valeur externe du dinar ne se décrète pas. La Banque d’Algérie fait de son mieux pour ajuster cette valeur au mieux des intérêts de l’économie en tenant compte de l’état de l’économie, de ses performances réelles et des fluctuations relatives des autres monnaies, notamment celles qui dominent dans nos échanges extérieurs (le dollar et l’euro). Toutefois cette parité où la valeur du dinar reflète dans les faits, la compétitivité et la force de notre économie. On ne peut avoir une monnaie stable et forte sans une économie dynamique et compétitive au sein de  laquelle, les valeurs des transactions reflètent les coûts et les marges reflètent une qualité et une productivité meilleures. Nous n’en sommes pas là. La monnaie est le miroir de l’économie, elle ne peut qu’être son reflet !

Y a-t-il des intérêts occultes qui bloquent la lutte contre l’informel ?

Le traitement du secteur informel ne repose pas seulement sur des mesures de lutte et n’est pas exclusif des mesures de contraction ou de maîtrise de l’importation. Parallèlement aux mesures de sauvegarde prises, le secteur informel doit faire l’objet d’un véritable plan d’inclusion aux plans fiscal, financier et administratif.  Il s’agit d’un traitement qui se situe au cœur des réformes structurelles, qui doit s’installer dans la durée et qui comporte une série de dispositions synchronisées faisant intervenir l’administration fiscale, les banques, l’administration du registre du commerce mais aussi les services de contrôle et de répression des fraudes.

L’action de freinage des importations par des instruments administratifs (licences) ne peut ni se substituer, ni remplacer un traitement structurel de secteur informel qui génère une économie duale peu performante et qui freine l’investissement et les affaires transparentes. Mais cette action de freinage peut constituer un maillon du processus d’intégration de l’économie devant nécessairement se poursuivre sur un double front : favoriser l’offre interne des produits et services et accélérer, par tous les instruments, l’inclusion du secteur informel sain.

Les licences sont-elles suffisantes pour réguler les importations ?

Le flux des importations est devenu surdimensionné par rapport aux capacités de paiement du pays. C’est une évidence. Il y a plusieurs instruments de freinage des importations, dont les licences, qui requièrent une gestion complexe. L’autre priorité, est de voir comment libérer l’investissement et la gouvernance économique afin que l’offre interne se substitue rapidement aux importations. Il s’agit, maintenant, pour les opérateurs locaux et les investisseurs étrangers de repenser leurs business modèles pour faire concrètement de la substitution à l’importation. C’est un processus complexe, c’est pourquoi j’insiste sur la flexibilisation des politiques publiques et le retour aux automatismes économiques. Quand on freine les importations, il faut se préoccuper sérieusement de l’offre interne qualitativement et en prix !

Le blocage des importations n’a pas eu d’impact sur la facture d’importation qui n’a baissé que de 1% en sept mois cette année. Comment se fait-il ?

Les chiffres que vous citez doivent être révisés. Indépendamment des autres conséquences, les résultats quantitatifs de maîtrise des flux d’importations sont significatifs. Il s’agit de mesures de sauvegarde et de sécurité financière impératives qui rétablissent l’équilibre indispensable entre les flux des importations et les capacités de règlement en devises. Mais ce ne sont pas des objectifs en soi ni des finalités propres.

Le déficit commercial de l’Algérie a fortement baissé en sept mois. Faut-il s’en réjouir ?

Une baisse du déficit commercial est en soi une performance à saluer, surtout lorsque celui-ci niveau insoutenable et menace les équilibres fondamentaux. Mais il faut avouer que lorsque ce recul découle d’une contraction volontariste des importations comme c’est le cas actuellement, une évaluation des impacts sur l’économie nationale doit être faite, pour repérer les éventuelles conséquences sur les inputs destinés à l’industrie nationale. Par ailleurs, il convient d’agir sur les capacités d’offre interne pour assurer une pérennité à cette tendance favorable. En règle générale, lorsqu’on procède à un ajustement des variables de marché (demande, offre, prix, taux d’intérêt etc…) par une démarche volontariste et par des instruments administratifs, il convient de considérer ce processus comme seulement un dispositif de sauvegarde et procéder aux ajustements structurels pour que les automatismes de marché relayent en quelques mois ou quelques années l’action publique corrective.

Vous aviez été ministre des Finances dans le gouvernement Sellal. Regrettez-vous de ne pas avoir eu suffisamment de temps pour mettre en application vos idées ?

Moi, je considère que les hautes fonctions dans le pays sont des missions, pas des métiers. Je travaille dans la sphère micro-économique : entreprises et banques  depuis 30 ans et je continue à le faire avec le même dévouement. J’ai eu l’honneur de faire partie du Gouvernement de mon pays, cela a été un enrichissement pour moi mais là je retourne à mon métier de consultant et de conférencier qui agit pour valoriser les avancées avec un grand optimisme mais en appelant à la vigilance pour le futur. D’ailleurs la prospérité de notre économie ne repose pas seulement sur l’action des pouvoirs publics et des autorités. L’économie ne pourra se relever qu’avec une synergie voire, une alliance entre pouvoirs publics, acteurs de marché et élites.

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