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Abdeslam Benana, DG du CHU Mustapha, dit tout sur la grève des résidents

Abdeslam Benana, DG du CHU Mustapha, dit tout sur la grève des résidents

TSA

Les médecins résidents, en grève depuis six mois, n’assurent plus les gardes dans les hôpitaux depuis le 29 avril. Dans cet entretien, le directeur général du Centre hospitalo-universitaire Mustapha-Bacha d’Alger, Abdeslam Benana, parle de l’impact de cette décision sur le fonctionnement de l’établissement et des mesures prises pour assurer la continuité des soins dans les différents services. Il évoque aussi les revendications soulevées et les réponses apportées par les autorités.

Le collectif des médecins résidents a appelé au boycott des gardes depuis le 29 avril. Dans quelle proportion ce mot d’ordre est-il suivi au niveau du CHU Mustapha ?

Depuis le 29 avril, les médecins résidents ont en effet décidé de ne plus assurer les gardes. Ce que je peux dire, c’est que même si le mouvement a été suivi dans une certaine mesure, il ne l’est pas à 100%. Le taux de suivi du mot d’ordre oscille d’une journée à une autre entre 25 et 50%. Il y a des résidents qui assurent la garde, je dirai pleinement, parfois même il y a des volontaires qui viennent soutenir leurs collègues qui travaillent, et cela, il faut le préciser, dans un contexte spécial qui se traduit essentiellement par des menaces, des insultes, des injures, de la part des étudiants qui ont suivi le mouvement de grève. C’est inadmissible. De quel droit on se permet de s’en prendre à celui qui a un point de vue différent par rapport aux autres ?

Y a-t-il un impact de cette décision sur le fonctionnement de l’établissement ?

Dans un hôpital, la vitrine c’est le service des urgences. C’est lui qui reçoit le flux de malades le plus important. Donc, dès que les gardes ont été abandonnées par les médecins résidents, une surcharge de travail s’est manifestée au niveau des urgences.

Pour ce qui est des services d’hospitalisation, je dirai que l’impact est moindre, parce que là, la garde consiste exclusivement à apporter une surveillance pour les malades hospitalisés. En dehors de cela, il n’y a pas d’activités vraiment urgentes. Donc, le tout est supporté par les urgences médico-chirurgicales.  Mais là aussi, je dirai que l’impact n’est pas vraiment important.

Le vrai malade dont le cas relève réellement des urgences médico-chirurgicales est pris en charge grâce à la mobilisation du corps soignant. Je suis fier de mon équipe. C’est sur ce plan-là qu’on doit juger l’impact de l’action. Au sein de l’hôpital, il y a une équipe de médecins qui ont une conscience professionnelle, qui croient encore à l’éthique, qui croient encore à la déontologie et qui n’acceptent pas qu’un malade qui arrive en situation de détresse reste sans prise en charge parce qu’une ressource humaine ne veut pas travailler.

Tant qu’il y a ces femmes et ces hommes, il y a de l’espoir. En tout cas, nous allons résister et nous irons jusqu’au bout.

Vous avez donc pris des dispositions pour gérer cette situation exceptionnelle…

Au niveau des urgences, nous avons mis en place un dispositif de substitution pour pallier ces insuffisances. D’habitude, le résident est un élément qui fait partie d’un groupe qui est l’équipe de garde, à sa tête le professeur chef de service, un maître-assistant ou un assistant de santé publique, ensuite le résident et l’interne. Quand les résidents se sont retirés de la garde, il y a eu des perturbations. Nous avons essayé de combler ce vide par des médecins généralistes que nous avons mobilisés, et non pas réquisitionnés. C’est une ressource humaine qui appartient à l’hôpital que nous avons juste affectée vers d’autres services.  C’est un procédé normal, quelqu’un qui travaille dans un service, dès qu’on estime que sa présence est plus utile dans un autre, on lui change de poste, tout en lui expliquant les raisons de la décision et dans quel intérêt. Ainsi, la ressource humaine est mobilisée et elle va faire le travail qu’on espère réaliser.

Il y a une différence avec la réquisition qui, elle, reste une mesure exceptionnelle avec des conséquences lourdes en cas de non-exécution, pouvant aller jusqu’aux poursuites pénales. Néanmoins, le caractère obligatoire est présent dans les deux cas. On est dans le service public, dès qu’on y met les pieds, on est soumis à un certain nombre d’obligations. On n’a pas le droit de fermer les portes d’un service public, ça relève de l’impossible.

Quelle est la part des résidents par rapport à l’ensemble du corps médical du CHU ?

Un CHU, en plus des missions traditionnelles qui sont assignées à un hôpital, a pour vocation la formation médicale graduée et post-graduée. Jusqu’à un passé récent, le nombre de postes était limité, chaque service avait au maximum quatre ou cinq résidents. Mais aujourd’hui, on a accéléré la formation, donc le nombre des résidents a été multiplié par quatre ou par cinq, toutes spécialités confondues.

Au CHU Mustapha, le nombre de résidents en médecine, pharmacie et chirurgie dentaire avoisine les 1 200 sur un effectif global de 5 000 employés tous corps confondus. Cela atteste qu’il y a une politique en Algérie qui veut que le nombre de médecins spécialistes arrive à un seuil raisonnable qui prendra en charge les besoins des citoyens, notamment ceux des zones déshéritées, pour qu’il n’y ait pas de disparités.

Donc, le CHU assure leur formation et en même temps, ils sont astreints, tel que le stipule leur statut, à des missions de soins au sein de l’hôpital. En contrepartie de cela, ils sont rémunérés au même titre que les autres travailleurs. Ils ont une part très importante dans le total du personnel soignant, c’est-à-dire des médecins et des paramédicaux. Je dirai que le résident vit une situation bicéphale ; il y a l’aspect universitaire, sa relation vis-à-vis de l’enseignement supérieur est une relation d’étudiant, mais au niveau de l’hôpital, dès qu’il arrive il signe un procès-verbal, il a un acte de nomination, il a un régime de sécurité sociale, il commence à cotiser pour la retraite, il touche la prime de rendement etc., donc c’est un fonctionnaire.

Les résidents constituent donc le gros du personnel soignant mais leur boycott n’a pas d’impact significatif sur le fonctionnement des services. N’y a-t-il pas là comme un paradoxe ?

Déjà, ce ne sont pas tous les résidents qui ont cessé d’assurer les gardes. Et puis, il faut dire que le CHU pour le résident, c’est d’abord un terrain de stage. Le plus souvent, les professeurs chefs de service, lorsqu’ils établissent leur liste de garde, au lieu de mettre un ou deux résidents, ils en mettent jusqu’à cinq. C’est pour qu’il y ait un partage de la charge de travail et pour permettre à un maximum d’étudiants d’apprendre. S’il n’y avait pas un plafond fixé par la réglementation, peut-être qu’on aurait mis dix. C’est plus d’ordre pédagogique qu’autre chose. Parce que si on applique les normes, c’est deux résidents par garde au maximum pour certaines spécialités, sinon un résident suffit.

Jusqu’à preuve du contraire, quand on ouvre les portes des urgences, en définitive, on rend service aux résidents. Vu sous cet angle, c’est le malade qui rend service au résident.

Quand bien même la tâche est lourde, depuis la nuit des temps, entre l’élève et le maître, il y a un contrat moral. L’élève est soumis à un cahier des charges, à une culture où il est obligé parfois de faire des sacrifices, de vivre des situations exceptionnelles et cela dans un seul objectif, celui d’apprendre et de maîtriser son apprentissage. Dommage que l’on soit arrivé à voir des médecins résidents railler leurs professeurs sur les réseaux sociaux.

Que pensez-vous des revendications soulevées par le Camra ?

Au départ, le mouvement tournait autour de deux revendications : le service national et l’abrogation du service civil. Par la suite, quand le collectif des médecins résidents a été invité à des séances de négociations avec la tutelle, on a vu une plateforme de 67 pages. Parmi ces revendications, un logement de fonction équipé, le regroupement familial, les salaires, les œuvres sociales, la révision du statut et 14 primes. Quand tout cela a été calculé, il s’est avéré qu’ils réclamaient un salaire mensuel de 54 millions de centimes (540 000 dinars, ndlr). Ce qui était raisonnable, il a été pris en charge par le ministère de la Santé.

Des modifications ont été apportées au service civil, sa durée a été revue à la baisse, les choses ont été changées. Pas mal de revendications ont été prises en charge. Si je reviens à l’essentiel, qui est le service civil, chaque année on doit négocier avec le ministère des Finances pour les postes budgétaires, et s’il n’y avait pas ce caractère obligatoire du service civil, on n’aurait pas obtenu le nombre de postes budgétaires qu’on souhaite. On aurait donc formé des médecins pour le chômage. Et si on supprime le caractère obligatoire du service civil, qui va garantir que demain, le résident, quand il est diplômé, va rejoindre la zone où il y a un besoin ?

Aussi, je me demande pourquoi cette question du service civil et du service national a été soulevée subitement. En novembre 2017, nous avons délivré en une semaine 200 attestations de travail pour les médecins résidents. Je pense qu’il faut creuser de ce côté-ci…

Beaucoup a été dit sur la nouvelle loi sur la Santé et la part du privé…

Avec la nouvelle loi sur la santé, j’espère qu’on va aller vers une nouvelle organisation qui nous permettra d’être aptes à réponde aux besoins de nos citoyens. Dans toutes les sociétés, un système de santé fonctionne toujours avec les deux secteurs. Il faut qu’il y ait une complémentarité entre le privé et le public. Il faut débattre des principes fondamentaux que cette loi doit consacrer conformément aux dispositions contenues dans la constitution et aux principes énoncés par notre politique sociale. Si on assure l’équité dans l’accessibilité aux soins, c’est la garantie d’un système de santé ouvert à tout le monde.

Ensuite, il nous appartient de mettre en œuvre les stratégies qu’il faut pour prendre en charge d’une manière efficace et efficiente les besoins de la population. Si les secteurs public et privé arrivent à prendre en charge les besoins de la population selon des modalités uniformes et normalisées, je pense qu’il n’y a aucun problème. Mais dans tous les cas, et quel que soit l’apport du secteur privé, le secteur public restera toujours prédominant parce que c’est une mission qui est assignée à l’État, donc ce dernier déploie tous les moyens qu’il faut, dans le bon sens, pour que cette mission soit pérenne.

Aussi, quel que soit l’apport du privé, il ne pourra jamais prendre en charge les coûts de la formation médicale et paramédicale, de la recherche et les soins de haut niveau qui nécessitent des coûts exorbitants. Cela dit, il est tout à fait normal que le privé participe à la prise en charge de la santé, dans un cadre normalisé.

Dans les années 90, le privé assurait des missions de base, et dans les années 2000, il a dépassé ce cap. À un moment donné, et devant le manque de compétences de haut niveau, il était question de ramener des compétences étrangères, mais l’expérience n’a pas réussi dans les établissements publics qui ont des modalités de gestion lourdes, et l’idée a alors été récupérée par le privé qui s’est conventionné avec la sécurité sociale. Au lieu de transférer le malade vers l’étranger, c’est une ressource humaine étrangère qui vient le prendre en charge dans les cliniques privées, tout en contribuant au perfectionnement de nos personnels. Donc, il faut plutôt se réjouir d’une telle complémentarité puisqu’au final, c’est le citoyen qui est pris en charge à un moindre coût.

Les malades sont parfois contraints d’aller chez le privé car les équipements sont souvent en panne dans les hôpitaux. C’est le cas au CHU Mustapha ?

Pour la disponibilité du consommable et des équipements, tout dépend des établissements et des praticiens. Au CHU Mustapha, nous avons deux scanners, un au niveau des urgences et un autre au niveau de la radio centrale. Parfois on arrive jusqu’à 80 examens par jour. C’est un matériel qui est appelé à tomber en panne, d’autant plus qu’il a plus de huit ans et surtout, il est utilisé aussi pour la formation, ce qui n’est pas le cas dans le privé. Mais malgré les délais nécessaires pour la réparation, notre établissement n’est jamais resté sans scanner, car il y en a toujours un qui fonctionne. En tout cas, il y a un scanner en cours d’acquisition pour les urgences, il sera installé au plus tard fin juin et on va en acquérir un autre pour l’imagerie centrale, ce sera un scanner de haut niveau qui répondra aux besoins exprimés par les services de cardiologie, de neurochirurgie, etc.  Il devrait être installé vers septembre ou octobre prochains. Les autres services sont également bien équipés. L’année passée par exemple, deux chambres de cathétérisme ont été acquises pour le service de cardiologie. Ce sont des équipements de dernière génération et c’est la même chose pour les équipements ultra-son, les laboratoires. Nous croyons à une chose qui est très importante, un hôpital ne vaut que par son plateau technique.

Pour le consommables et les médicaments, nous sommes soumis à un système de distribution que ce soit avec la Pharmacie centrale des hôpitaux ou des opérateurs privés qui importent, mais je dirai qu’hormis quelques dispositifs médicaux destinés pour des cas rares, l’essentiel est disponible.

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