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Affaire Chikhi et scandale de Ras El Ma : l’expression d’une profonde crise morale

Affaire Chikhi et scandale de Ras El Ma : l’expression d’une profonde crise morale

Comme pour meubler l’été des Algériens, deux gros scandales ont éclaté presque simultanément ces dernières semaines : la découverte d’une quantité invraisemblable de cocaïne au port d’Oran et la diffusion de vidéos obscènes du maire d’une commune de l’Algérie profonde.

Le premier, l’affaire Chikhi, ou Kamel El Bouchi, n’a pas révélé qu’un trafic de drogues dures à grande échelle. Elle a surtout mis au jour des pratiques malsaines, œuvre d’affairistes véreux mais aussi et surtout de responsables haut-placés et grassement payés avec l’argent du contribuable pour appliquer la loi et empêcher justement de telles déviances.

Les enquêteurs qui ont perquisitionné les bureaux du principal suspect et épluché les images des caméras de surveillance ont dû tomber des nues en voyant tous ces honorables hauts fonctionnaires et élus du peuple courber l’échine devant un importateur de viande qui leur donne ses consignes comme il le ferait avec ses hommes de main.

Et encore, on ne sait jusque-là qu’un bout de cette scabreuse histoire, grâce à des fuites provoquées sciemment ou pas. Les fuites à venir, ou les révélations du parquet s’il se décide enfin à parler, risquent de nous apprendre plein d’autres choses désagréables.

Le ministre de la Justice, Tayeb Louh, a parlé de quatre enquêtes distinctes qui seraient en cours, ce qui suppose que les responsables pris la main dans le sac ne seraient en rien impliqués dans le trafic de cocaïne, mais quand bien même ce ne serait pas le cas, les faits dont ils se seraient rendus coupables sont déjà d’une extrême gravité et ne font que renforcer le scepticisme ambiant.

L’opinion publique savait, certes, que tout ne tournait pas rond dans la gestion des affaires de l’État, mais nourrissait quelque espoir que des lignes rouges infranchissables pouvaient encore exister, qu’on puisse au moins attacher du prix aux formes et apparences ou que la peur du scandale pouvait réprimer les tentations.

La corruption a gangréné le pays, c’est presque une lapalissade que de le dire. De hauts responsables l’ont reconnu solennellement plus d’une fois, mais là, il semble bien que le mal est plus profond et qu’il n’épargne aucune frange de la société.

Au gré des révélations, les contours du schéma de l’affaire Chikhi commencent à se dessiner, et le topo ressemble à peu près à ceci, en attendant que l’enquête judiciaire le confirme ou le dément : un réseau s’adonne à un trafic international de drogues dures et blanchit ses dividendes dans l’immobilier de luxe dans la capitale avec la complicité de fonctionnaires, de magistrats et d’élus et la bénédiction de tout ce que l’État compte comme agents et institutions, puisque personne ne s’est inquiété de l’origine des fonds qui faisaient s’ériger tours et villas.

D’autres têtes risquent de tomber dans les prochains jours et d’autres illusions de s’évaporer. Que découvrira-t-on encore sur le degré de déliquescence des valeurs dans l’Algérie d’aujourd’hui ?

Car c’est bien de cela qu’il s’agit : une crise morale qui affecte la société, n’épargnant presque aucune frange ni aucun secteur. La course effrénée vers le gain facile fait des ravages depuis la libéralisation de l’économie et surtout depuis la hausse de la commande publique subséquemment à celle des prix des hydrocarbures. Un virage que l’Algérie, contrairement à d’autres pays qui ont connu la même mutation, comme la Chine et la Russie, a jusque-là très mal négocié.

De la corruption et pots-de-vin, aux assassinats d’enfants œuvre parfois de réseaux de trafic d’organes, en passant par les enlèvements suivis de demandes de rançon, on aura tout vu.

Il y a aussi la spéculation sur les produits de large consommation, la triche sur la qualité et tous les comportements répréhensibles constatés à longueur d’année dans les marchés, particulièrement au cours du mois de ramadan et à la veille des fêtes religieuses.

Des bouchers ont même vendu de la viande d’âne. Les trottoirs et les plages sont squattés par des jeunes désœuvrés souvent instrumentalisés et protégés par des parties plus influentes, les passe-droits dans les concours de recrutement dans la Fonction publique ou la distribution des logements sociaux sont légion.

Lors de la dernière session du bac, les autorités ont dû isoler tout le pays pendant près d’une semaine en coupant l’accès à Internet pour éviter la triche, une décision qui ne fait que traduire l’aveu que dans l’Algérie d’aujourd’hui, même les lycéens ont fini par se faire à l’idée que rien ne s’obtient par le travail, mais par la triche, la ruse et la roublardise.

Quand au scandale du maire de Ras El Ma, qui ne se contentait pas d’abuser de la vulnérabilité de ses administrées mais osait filmer ses ébats pour satisfaire on ne sait quelle perversion, ce n’est qu’une facette de la déliquescence généralisée.

La société a presque perdu toutes ses valeurs par la faute d’un État censé l’encadrer mais qui, hélas, ne donne pas toujours le bon exemple à travers ses agents, comme l’ont confirmé les affaires de l’édile pervers et du boucher devenu archi-milliardaire. Plus que jamais, il y a péril en la demeure.

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