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Affaire Maurice Audin et torture durant la guerre d’Algérie : le témoignage d’un ancien appelé de l’armée française

Affaire Maurice Audin et torture durant la guerre d’Algérie : le témoignage d’un ancien appelé de l’armée française

Sébastien Jumel et Cédric Villani, deux députés français, mais aussi la famille et l’association Maurice Audin, vont exiger ce mercredi à l’Assemblée nationale la reconnaissance officielle de l’assassinat de Maurice Audin par l’armée française.

 « L’affaire Audin » est celle de ce mathématicien français, membre du Parti communiste algérien, mort en juin 1957 « après avoir été torturé par des militaires français », écrit dans son édition du jour L’Humanité.

L’État français, à qui ces députés demandent aujourd’hui d’assumer la responsabilité de ce crime, s’est longtemps dédouané, la « version officielle » de cette affaire expliquant que le militant communiste avait disparu après une évasion en juin 1957.

Mais Maurice Audin a réellement été assassiné « avec la couverture pleine et entière du pouvoir politique », écrit le journal, rapportant la confession avant sa mort, en 2013, du général Paul Aussaresses. Ce militaire parachutiste avait avoué « sans regrets ni remords » avoir torturé pendant la guerre d’Algérie, dans un entretien accordé au Monde, en 2000.

« Des sauvages »

La relance de cette affaire, qui place l’État français sur le banc des accusés, a été faite à la faveur d’un témoignage d’un ancien appelé. Jacques Jubier[1] pense avoir « enterré » la dépouille de Maurice Audin, du temps où il servait en Algérie, indique le quotidien.

À l’époque, le jeune caporal a 21 ans quand il débarque par bateau en Algérie. L’armée française lui dit qu’il doit assurer « des opérations de pacification », écrit le journal. Mais très vite, le jeune caporal découvre la guerre et les exactions.

« Il y avait des volontaires pour la torture. Certains ne se faisaient pas prier. Moi, j’ai refusé. Mon capitaine n’a pas insisté », assure-t-il au quotidien. Avant de poursuivre : « Un trou était creusé dans le sol du camp, où les prisonniers étaient détenus entre deux séances de torture. Ils ne repartaient jamais vivants. (…) On était conditionnés, mais nous ne réagissions pas tous de la même manière. J’ai vu des choses horribles que je n’ai jamais oubliées : la gégène (NDLR : technique de torture par électrode), mais bien pire encore. »

Un souvenir qui hante particulièrement le vieil homme, aujourd’hui âgé de 82 ans, est celui de cet adolescent Kabyle, lâchement abattu. « Un petit Kabyle de 14-15 ans n’avait pas été jeté dans la fosse avec les autres Algériens. Les soldats français pensaient que ce gamin allait les aider à faire parler les autres. Mais il était devenu trop encombrant. Un jour, on part en patrouille et le capitaine l’emmène avec nous. Il s’arrête au milieu de la route et lui dit qu’il peut partir. Le petit refuse d’abord, comme s’il sentait quelque chose… et puis, il s’est enfui en courant. Ils lui ont tiré dessus avec un fusil-mitrailleur. Il a pris des rafales, est tombé à terre. Il n’était pas mort. (…) Le capitaine a dit aux gars : achevez-le ! Et là, j’ai vu des sauvages, ils s’y sont mis à plusieurs… (…) Ils lui ont éclaté la cervelle. »

« Comme les Algériens ne sortaient jamais vivant du camp, il fallait, pour l’armée, se débarrasser des corps. On m’a donc demandé de les charger dans un GMC (véhicule militaire), bâché, et on devait les abandonner devant les fermes. (…) Certains osaient même fouiller les corps pour trouver trois pièces. Là-bas, les gars devenaient comme des animaux », détaille encore l’ancien soldat.

Il raconte ensuite au journal comment il a été enrôlé par un parachutiste – qui s’est avéré être Gérard Garcet, choisi par le général Aussaresses pour recruter les parachutistes chargés des « basses besognes » – pour accomplir « une mission secret-défense ».

À ce moment, le jeune militaire officiait dans la ville de Fondouk (à l’est d’Alger), devenue aujourd’hui Khemis El Khechna. Ils prennent la direction d’une cabane « fermée à clé », où deux cadavres sont enroulés dans des draps. Ils doivent s’en débarrasser.

« On les a passés à la lampe à souder. On a insisté sur les pieds et les mains pour éviter qu’on puisse les identifier. (…) C’est une grosse prise. Il ne faut jamais que leurs corps soient retrouvés », lui souffle le parachutiste, selon les propos rapportés par L’Humanité.

« C’est des gens importants ? », lui demande alors Jacques Jubier. « Oui, c’est le frère de Ben Bella et l’autre, une saloperie de communiste. » Si le journal indique qu’il est impossible qu’il s’agisse de l’un des membres de la famille d’Ahmed Ben Bella (mais peut-être un proche ou un cadre du FLN), Jacques Jubier est certain que l’autre corps était celui de Maurice Audin, toujours selon des propos relayés par le quotidien. D’après son témoignage, l’homme a été chargé d’enterrer les deux cadavres dans une ferme avant de subir des menaces de la part du parachutiste s’il parlait de cette affaire.

Si le témoignage de cet ancien appelé a été transmis à la famille Audin, toujours en quête de vérité, il y aurait peu de chance « pour qu’il s’agisse bien de Maurice Audin », écrit le journal.

« Comme dans toutes les disparitions, l’absence du corps de la victime empêche d’y mettre un point final », indique au quotidien l’historienne Sylvie Thénault.

Josette Audin, la femme de Maurice, demandait en 2007 à Nicolas Sarkozy, alors président de la République, de ne pas laisser la France se déshonorer « en cautionnant la dissimulation honteuse de cette mort », rappelle le journal.

Cédric Villani, le député qui souhaite que la France assume son passé colonial en Algérie, a affirmé qu’Emmanuel Macron lui avait fait part « de son intime conviction que, effectivement, Maurice Audin a été assassiné par l’armée française. » Lors d’un voyage en Algérie, en février 2017, Macron, qui était alors candidat à la présidentielle, avait qualifié la colonisation française de « crime contre l’humanité.» Un terme qui avait déclenché la polémique en France.

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