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Agriculture : l’échec du modèle marocain

Agriculture : l’échec du modèle marocain

La sécheresse qui sévit au Maroc a dévoilé les carences du modèle agricole de ce pays entièrement tourné vers l’export, avec des cultures trop gourmandes en eau.

Depuis des années au Maroc, des voix alertent sur les dérives du Plan Maroc Vert (PMV). Depuis 2008, ce plan prône une agriculture tournée vers l’exportation et qui a conduit à l’assèchement des nappes d’eau du pays.

Face à la sécheresse actuelle, les pouvoirs publics marocains ont été obligés de revoir leur politique dans un pays où l’agriculture représente un poids lourd de l’économie, avec en moyenne 14 % du PIB, 40 % de la population.

Mais cette agriculture qui permet au Maroc d’exporter annuellement pour plus de cinq milliards d’euros de produits agricoles accapare 80 % des ressources en eau du pays.

En 2021, le Maroc a exporté pour 5,9 milliards d’euros de produits agricoles, c’est le deuxième secteur générateur de devises pour le pays après le phosphate et dérivés et devant l’automobile, selon les chiffres officiels.

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Le ministère de l’Agriculture marocain vient d’édicter que les cultures d’avocat, de pastèque et d’agrume n’étaient plus éligibles à différents types de subventions : « Creusement de puits, acquisition de matériel (notamment de pompage), aménagements de bassins de stockage ou de circuits de distribution d’eau, équipement de goutte à goutte… »

Pastèques et avocats gourmands en eau

Les nouvelles dispositions n’interdiront pas ces cultures, mais elles ne devraient plus faire l’objet de subventions de la part de l’Etat.

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Au Maroc, les cultures d’avocats atteignent 7.000 hectares, celles de pastèques plus de 80.000 ha et celles d’agrumes 82.000 ha. Or, elles consomment énormément d’eau : 6.000 m³ d’eau par hectare de pastèques, 9.000 à 12.000 m³ pour les avocats, voire 9.400 m³ pour les agrumes.

Dès avril, la pastèque de Zagora présente en France

L’accent mis sur ce type de culture par le PMV n’est pas sans conséquences. Explications à TSA de l’agroéconomiste Omar Bessaoud : « Le Maroc est fier d’annoncer qu’ils sont les premiers exportateurs de fruits rouges et de pastèques en Europe, qu’ils ont surpassé l’Epagne sur les exportations de tomates en Grande-Bretagne et sont un partenaire privilégié dans les exportations d’agrumes en Russie ! ».

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Prenant l’exemple de la pastèque, il poursuit : « La pastèque de Zagora est sur le marché français dès avril alors que la population (marocaine) manque d’eau. Le barrage de la région (Agadir) étant utilisé par les grands producteurs de pastèques et de melons. »

Échec du modèle agricole marocain

Les subventions et l’accès au marché européen ont accéléré la culture dans des zones sèches au Maroc. En avril 2022, Mohamed Sraïri, enseignant chercheur à l’Institut agronomique et vétérinaire de Rabat, dénonçait les dérives du PMV : « On s’est mis à cultiver les agrumes dans des régions où le niveau annuel de précipitations ne dépasse pas 200 millimètres, alors que ces arbres nécessitent un minimum de 1.000 millimètres. On a fait pousser des pastèques, composées à 95 % d’eau, dans des confins désertiques. On a planté des avocatiers, une culture tropicale, alors que notre climat est semi-aride ! »

Une mobilisation outrancière des eaux souterraines

En juillet 2022, un projet de plantation de 500 hectares d’avocats avec 51 % pour la société israélienne Mehadrin a été annoncé au Maroc.

Ces « fruits sont destinés principalement aux partenaires de Mehadrin en Europe, tandis que les fruits qui ne sont pas adaptés à l’exportation seront vendus au Maroc », précisait le site IsraelValley.

Début octobre, ce chercheur marocain confiait au quotidien Le Monde : « Le développement de ces cultures s’est fait dans les mêmes logiques de mobilisation outrancière des eaux souterraines parce que la pluie ne tombe pas assez et que l’irrigation à partir des barrages est insuffisante ou inexistante. »

Et il ajoutait : « Finalement, le consommateur européen peut acheter des pastèques marocaines dès la fin de mars, mais à quel coût environnemental ? »

Avec un coût social non négligeable : « Les petits agriculteurs, qui n’ont pas les moyens de creuser, sont contraints de vendre et de partir. »

Dégradation avancée des ressources naturelles

Spécialiste des questions foncières, Omar Bessaoud ajoute : « Le modèle de croissance agricole au Maroc, défendu bec et ongle par le Premier ministre Akhanouch, se heurte d’une part à une dégradation avancée des ressources naturelles. » Quant à la prédominance accordée à l’export, il précise : « Le Makhzen est le plus grand propriétaire foncier et l’un des plus gros exportateurs. Ceci explique cela! »

Et de conclure à propos du PMV marocain : « Les contradictions sont si fortes que le ministère de l’Agriculture n’ose pas publier les résultats d’un recensement général de l’agriculture achevé depuis 3 ans. »

Échec du plan d’économie de l’eau

Depuis 2000, les surfaces consacrées à l’irrigation par goutte à goutte ont triplé mais les économies attendues ne sont pas au rendez-vous.

A travers ces exportations, le Maroc exporte son eau. Partout ces dernières années, les agriculteurs et investisseurs qui en avaient les moyens ont investi dans des forages provoquant l’assèchement des puits des petits agriculteurs.

Avec le PMV, un Programme national d’économie d’eau en irrigation (PNEEI) a été mis en œuvre. Il prévoit le passage de 50.000 hectares de l’irrigation de surface à l’irrigation localisée.

Cependant, le manque d’eau persiste. En 2020, le Haut-commissariat au Plan indique que l’agriculture consommait encore 87 % des ressources en eau.

L’intérêt du goutte à goutte

Comment expliquer cet échec ? L’intérêt de l’irrigation localisée est d’améliorer la productivité.

Interrogé par des universitaires, Younes, un agriculteur à Ain Taoujdate, témoignait dès 2014 du rendement obtenu : « Imaginez ! Il est passé de 35 tonnes/ha à 60 t/ha pour l’oignon, certains peuvent atteindre même les 90 t/ha, l’augmentation du rendement nous a énormément motivé à installer le goutte à goutte ».

De son côté, dans la même région Mohamed confirmait : « Le goutte à goutte « mazyen (bon) », car il permet d’avoir le « tonnage ». Mais ce type d’irrigation permet l’extension des superficies irriguées. « C’est une bonne chose le goutte à goutte, je l’ai installé pour irriguer la totalité de ma parcelle », a-t-il ajouté. Chacun aura noté : « La totalité ».

Le goutte à goutte, un coûteux malentendu

Co-auteure d’une étude sur les ressources en eau au Maroc, Oumaima Tanouti note que la micro-irrigation explique l’objet de ce coûteux malentendu : « On observe souvent que les agriculteurs introduisent une rangée supplémentaire d’arbres entre les lignes de leurs vergers, irriguent des cultures intercalaires, voire arrachent leurs arbres pour planter de nouvelles variétés avec des densités bien plus élevées. »

Dans le Souss, la densité des plantations de clémentine est passée de 200 à 500, voire 800 arbres par hectare. « Ces ajustements permettent une bien meilleure productivité mais s’accompagnent évidemment d’une plus grande consommation d’eau à l’hectare », explique-t-elle. Résultat : malgré la micro-irrigation, la part de l’eau utilisée en agriculture est restée à 87 %.

Si les grandes villes sont partiellement épargnées par les coupures d’eau, ce n’est pas le cas à l’intérieur du pays où les manifestations se multiplient comme à Zagora où ses 34.000 habitants souffrent de ces coupures d’eau.

L’irrigation érigée en véritable doxa

Fin septembre à Casablanca, Nizar Baraka, ministre de l’Equipement et de l’Eau, a quant à lui indiqué que la révision des subventions faisait partie « des ajustements opérés dans la stratégie Génération Green (2020-2030), relatifs à la contrainte du manque d’eau ».

Mohamed Sraïri insiste sur les orientations de ces dernières années : « L’extension de la surface irriguée et l’intensification de l’irrigation ont ainsi été érigées en véritable doxa », avant de conclure que « cela inhibe toute réflexion vers d’autres logiques de développement ».

Pour de nombreux observateurs, au Maghreb, l’alternative passe par la « promotion de l’agroécologie et de l’agriculture familiale ».

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