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Alerte sur le front économique

Alerte sur le front économique

Le quatrième mandat a pris fin, le cinquième a été évité, mais les hommes du quatrième mandat continuent de gérer l’économie du pays, avec les mêmes méthodes. Analyse.

À l’ombre de l’armée, l’Algérie est officiellement dirigée par un pouvoir formel qui essaie péniblement d’exister. Sans conviction, et sans convaincre. Le président par intérim Abdelkader Bensalah, et le premier ministre en titre Noureddine Bedoui, font semblant de gérer le pays. Sans boussole, sans cap, chargé d’un intérim pour le premier, des affaires courantes pour le second, ils tentent de donner l’impression qu’il y a une vie institutionnelle.

Le premier reçoit le second pour parler de préparatifs d’une élection présidentielle qui n’aura pas lieu. M. Bedoui réunit des ministres pour affirmer un minimum de présence, mais l’impact de leur action sur le pays est nul. Plus que jamais, la formule selon laquelle l’Algérie a des ministres mais pas de gouvernement se vérifie sur le terrain.

Cloîtrés dans leurs bureaux, les ministres n’osent guère innover. Ce n’est pas dans leurs attributions de ministres chargés des affaires courantes. Mais leur principal handicap est ailleurs : ce sont des hommes et des femmes d’un autre temps, totalement inadaptés à l’Algérie de l’après 22 février et à la gestion moderne.

Improvisation

Le ministre du Commerce, Saïd Djellab, en a fait la démonstration à deux reprises. La première fois quand il a évoqué des « prix de référence » pour les produits de large consommation durant le Ramadhan, avant de constater que ses propos n’ont eu aucun impact sur le marché ; une seconde fois quand il a annoncé l’ouverture de l’importation de véhicules d’occasion pour les particuliers. Mélange de populisme, de mesures faites de bric et de broc, dont les conséquences seront aussi néfastes que la politique antérieure concernant le lancement du montage automobile en Algérie.

Un économiste résume l’indigence de ce projet. L’interdiction d’importer des véhicules d’occasion a été décidée dans le cadre d’une loi de finances. La levée de l’interdiction devrait être décidée en la même forme, ou par une ordonnance qui serait ensuite confirmée par le Parlement. Un gouvernement chargé des affaires courantes peut-il prendre cette décision ? Ou s’agit-il d’offrir aux Algériens une possibilité de passer outre les « constructeurs » déjà installés, et considérés comme des résidus économiques de l’ancien système ?

Dommage collatéral

À travers cette mesure, le gouvernement vise à faire supporter par le marché informel de la devise une partie des importations de véhicules, ce qui serait supposé alléger le déficit de la balance commerciale. Ce faisant, il opère une distinction entre l’argent informel et l’argent formel, alors que le résultat est le même : que l’argent provienne du square Port-Saïd ou de la banque, ce sont des devises détenues par des Algériens, personnes ou institutions financières, qui sont transférées.

Cette formule va aussi provoquer une forte pression sur le marché informel de la devise, qui risque d’être fortement perturbé. L’euro, côté actuellement à un peu plus de deux cents dinars au marché parallèle, va s’envoler, alors que l’objectif d’une politique économique rationnelle est de diminuer l’écart entre marché officiel et informel, pour arriver, à terme, à éliminer l’informel. Comment ? En prenant les mesures adéquates, sur des mois, probablement plusieurs années, pour amener le dinar à sa véritable valeur, mesure sans laquelle il sera impossible de normaliser l’économie du pays et de mettre fin aux trafics en tous genres, notamment les fameuses surfacturations.

Polémique

L’indigence de la pensée économique véhiculée par ce type de mesures montre le retard dont font preuve des responsables chargés de hautes fonctions dans la gestion du pays. Ils reproduisent une mesure des années 1980, la fameuse AIV, autorisation d’importation de véhicules, qui voyait des milliers d’Algériens déferler en France pour acquérir des véhicules à des prix prohibitifs, dans des conditions particulièrement pénibles, avec des surcoûts inimaginables.

Mais était-il possible d’attendre autre chose, au vu de la qualité du personnel en charge de l’économie du pays ? La polémique suscitée par l’ancien gouverneur de la Banque d’Algérie, Mohamed Loukal, devenu ministre des Finances dans le gouvernement Bedoui, montre que non. Au moment de quitter la Banque Centrale, M. Loukal a publié un texte dans lequel il se lave les mains de la politique de financement conventionnel, la planche à billets, lancée il y a deux ans sous le gouvernement de M. Ahmed Ouyahia. Critiquant cette démarche, M. Loukal a affirmé que le pays n’avait pas exploré toutes les possibilités offertes alors avant de recourir à cette mesure extrême. Il affirme qu’il l’avait dit à l’époque. Sa réflexion serait restée dans les cercles initiés du quatrième mandat.

Mais M. Loukal fait preuve d’une absence totale de sens politique, quand il impute la responsabilité du financement non conventionnel à deux économistes, Nour Meddahi et Raouf Boucekine, qu’il accuse de tous les maux. Il se dérobe totalement, occulte sa propre responsabilité, et charge deux spécialistes qui n’ont aucune fonction officielle.

Ce faisant, M. Loukal occulte l’essentiel. Il oublie que le financement non conventionnel a été annoncé par le premier ministre Ahmed Ouyahia, défendu par le ministre des Finances, Abderrahmane Raouia, et validé par un conseil des ministres présidé formellement par le chef de l’État, Abdelaziz Bouteflika.

Une décision de cette nature est d’abord politique. Ce sont les hommes en charge des affaires du pays qui l’assument. M. Loukal, ne sachant dans quel sens le vent va tourner, les épargne, pour charger deux spécialistes qui s’en sont tenus à leur rôle : ils ont été consultés, ils ont formulé une proposition, bonne ou mauvaise, peu importe, mais c’est aux politiques de trancher, de « faire les arbitrages », selon la formule consacrée.

De plus, M. Loukal n’hésite pas à déformer la proposition des deux économistes. Ceux-ci ont en effet suggéré une démarche, dont le financement conventionnel ne constituait qu’un volet. Il omet de le dire.

Alors qu’elle est engagée dans un processus de changement inédit, l’Algérie subit aussi de fortes perturbations économiques. Peut-elle s’engager dans un processus de transition avec des gestionnaires aussi inconsistants ?

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