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Alger à équidistance de Doha et de Riyad

Alger à équidistance de Doha et de Riyad

Capture d'écran / Youtube
Le président Abdelaziz Bouteflika a reçu le président du Conseil de la Choura saoudien, Abdallah Bin Mohammad Bin Ibrahim Al Cheikh le mercredi 20 décembre à Alger.

Six mois après l’éclatement, en juin dernier, de la crise du Golfe, l’Algérie continue d’adopter une position de neutralité, restant à équidistance des deux principaux acteurs du conflit, l’Arabie saoudite et le Qatar.

Deux visites à Alger

L’Algérie, qui a appuyé la médiation de Koweït, a également insisté sur la question du respect du principe de la souveraineté des États. Le 20 décembre, Cheikh Mohammed Bin Abdulrahman Bin Jassim Al Thani, ministre des Affaires étrangères du Qatar, était à Alger, plus deux mois après le déplacement de son homologue algérien Abdelkader Messahel à Doha.

À Alger, le chef de la diplomatie qatarie a évoqué « le renforcement de la coopération économique » et a annoncé l’ouverture prochaine du complexe sidérurgique de Bellara (Jijel), un projet en partenariat entre l’Algérie et le Qatar (un investissement de 2 milliards de dollars).

« Nous voulons également renforcer la coopération avec l’Algérie dans le domaine du tourisme et de l’agriculture. Nous voulons que le partenariat soit plus dense entre les hommes d’affaires des deux pays. Les hommes d’affaires algériens sont les bienvenus pour investir au Qatar », a déclaré Mohammed Bin Abdulrahman Bin Jassim Al Thani.

L’Algérie et le Qatar « ensemble » en Afrique ?

Le ministre qatari n’a pas écarté la possibilité d’un travail en commun entre l’Algérie et le Qatar en Afrique. « Compte tenu de la grande expérience de l’Algérie dans ce continent », a-t-il noté sans donner plus de détails.

À la même date, le président du Conseil de la Choura saoudien, Abdallah Bin Mohammad Bin Ibrahim Al Cheikh, était également en visite à Alger. Coïncidence ? Le responsable saoudien, qui a été reçu par le président Bouteflika, a, lui aussi, parlé de la nécessité de renforcer la coopération avec l’Algérie dans divers domaines.

« Le président Bouteflika m’a chargé de transmettre ses salutations au Serviteur des deux Lieux Saints (de l’islam) ainsi qu’à son altesse le prince héritier. Il s’est dit rassuré de la situation dans la région, particulièrement dans le Royaume saoudien », a déclaré Abdallah Bin Mohammad Bin Ibrahim Al Cheikh.

Appui au dialogue

L’affaire du tifo au stade d’Ain Mlila montrant le visage roi saoudien partageant celui du président américain sur fond d’une image d’El Qods a failli se développer en une crise diplomatique. Des excuses officielles ont été présentées à Alger au président du Conseil de la Choura saoudien alors que le Premier ministre Ahmed Ouyahia a déclaré que les lois algériennes « imposent le respect de notre président et des autres chefs d’États ». Le ministre de la Justice et Garde des Sceaux, Tayeb Louh a pris le relais pour dire qu’il s’agit « d’un acte individuel et isolé » et qu’une enquête a été ouverte. Incident clos.

L’Algérie a adopté une position indépendante par rapport à la crise entre le Qatar et ses voisins saoudiens et émiratis, souligne cette semaine le site de politique internationale Al Monitor. Le site a appuyé son analyse sur les déclarations des responsables algériens sur le conflit ouvert entre le Qatar d’un côté, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Bahreïn et l’Égypte de l’autre.

Alger a, dès le départ, plaidé pour le dialogue « comme seul moyen à régler les différends et à transcender les divergences » et a souhaité que « les règles de bon voisinage et de non-ingérences dans les affaires internes des États » soient respectées.

Lettre de clarification au roi saoudien

Alger, qui suit ses relations avec Riyad comme on surveille le lait sur le feu, ne veut pas de « complications » de ses rapports avec le Royaume saoudien sans abandonner le caractère stratégique des liens avec Téhéran.

Les responsables saoudiens, qui visitent Alger, évitent autant que faire se peut d’évoquer directement l’Iran. Alger veut aussi avoir des rapports densifiés avec le Qatar, plus offensif sur le plan économique que l’Arabie saoudite, surtout dans le domaine de la production et de l’exportation du gaz naturel. Le GNL qatari pourrait aussi devenir un concurrent sérieux du gaz algérien en Europe et Alger pourrait être amené à négocier avec Doha sur ce point.

Par ailleurs, l’affaiblissement de la mainmise du wahhabisme sur le Royaume saoudien, grâce à un prince héritier entreprenant, intéresse l’Algérie qui, par le passé, avait pointé du doigt cette doctrine rigoriste comme « matrice » ayant nourri l’intégrisme religieux et armé des années 1990.

Tayeb Louh a été chargé, le 21 novembre, de remettre une lettre du président Abdelaziz Bouteflika au roi d’Arabie saoudite, Salmane Bin Abdelaziz Al Saoud (habituellement, Tayeb Belaïz, ex-ministre de la Justice et de l’Intérieur et conseiller du président de la République, était chargé de ce genre de missions, parfois non rendues publiques).

Le contenu de cette lettre n’a pas été dévoilé même si l’on peut comprendre que l’Algérie entend clarifier ses positions, quelque peu mal comprises à Riyad, notamment sur le Yémen, le Hezbollah libanais, le dossier syrien, la situation en Libye, le Liban et la forme que doit prendre la lutte contre le terrorisme au Moyen-Orient et en Afrique.

Alger refuse de s’impliquer dans l’Alliance antiterroriste de Riyad

Al Monitor rappelle que Riyad n’a pas réellement réussi à attirer le Maghreb, l’Algérie en tête, dans sa « campagne anti-Qatar ». L’Algérie a clairement refusé d’adhérer à la Coalition antiterroriste lancée avec fracas le 26 novembre 2017 par l’Arabie saoudite et réunissant une quarantaine de pays. L’Iran, l’Irak et la Syrie n’ont pas voulu faire partie de cette Coalition dont les objectifs opérationnels et politiques à moyen terme paraissent encore flous.

Alger ne veut pas engager ses troupes militaires en extérieur contre des cibles qui restent à définir et n’accepte pas l’idée que cette Coalition soit utilisée comme un moyen de contrer les politiques de l’Iran et de ses alliées dans la région arabe et en Afrique.

L’Algérie a également refusé d’adhérer au G5 Sahel, une alliance militaire des cinq pays du Sahel voulue par Paris et financée en partie par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Le déploiement des forces armées en dehors des frontières sans un cadre légal est une ligne rouge qu’Alger ne veut pas dépasser. L’Algérie continue de défendre l’approche afro-africaine en matière de lutte contre le terrorisme et les crimes transfrontaliers sans « intervention » étrangère quelle que soit l’origine.

Sur la Libye, Alger plus proche de Doha que de Riyad

Enfin, sur la Libye, la position de l’Algérie est plus proche du Qatar que celle de l’Arabie saoudite ou des Émirats arabes unis. Riyad et Abu Dhabi soutiennent le Maréchal Haftar, autoproclamé chef de l’Armée nationale libyenne, qui commence à nourrir des ambitions politiques se présentant comme l’unique alternative au « salut » de la Libye.

Alger et Doha soutiennent le gouvernement, reconnu par la communauté internationale, de Faiz Al Saradj. Le ministre des Affaires étrangères du Qatar a déclaré à Alger que son pays appuie les initiatives de l’Algérie avec la Tunisie et l’Égypte en vue de trouver « une solution politique » à la crise libyenne à partir d’un dialogue inclusif qui garantit « l’unité du peuple libyen » et « l’intégrité territoriale » de la Libye. Alger et Doha considèrent l’Accord politique de Skhirat (décembre 2015) comme base de référence à toute réconciliation inter-libyenne.

Le Caire, Riyad et Abu Dhabi voient, par contre, en Hafter, qui a tenté d’avoir l’appui des Russes, la meilleure barrière contre l’émergence de mouvements islamistes pouvant stabiliser la région. En visite, la semaine écoulée à Alger, Faiz Al Sarraj a déclaré que Tripoli (où se trouve le siège du gouvernement) et Alger partagent le même point de vue sur la situation en Libye.

« L’Algérie a toujours soutenu la stabilité en Libye à partir de l’Accord politique (de Skhirat). Il y a des possibilités de partenariat. Cela sera étudié au début de l’année prochaine lors de la réunion de la Commission mixte », a annoncé Faiz Al Sarraj qui a visité l’Algérie au moins quatre fois depuis sa désignation à la tête du Conseil présidentiel.

« Le meilleur ami de l’Iran au Maghreb »

Al Monitor a donné des explications sur la posture diplomatique actuelle de l’Algérie sur plusieurs dossiers. « Comme l’un des pays leaders en matière de production et d’exportation du gaz naturel, l’Algérie, à l’image de la Libye d’El Kadhafi, a possédé des moyens suffisants pouvant lui garantir l’indépendance et la prévenir d’une aide financière des États du Conseil de coopération du Golfe (CCG) », est-il écrit.

Selon Giorgio Cafiero, spécialiste des pays du Golfe et auteur de l’analyse sur l’Algérie, il y a beaucoup d’exemples prouvant le refus d’Alger de s’inscrire dans l’Agenda de Riyad et d’Abu Dhabi et expliquant sa réponse à la crise entre le Qatar et ses voisins arabes.

« L’Algérie est connue comme « le meilleur ami » de l’Iran au Maghreb et l’Algérie ne s’est jamais opposé au régime de Bashar al-Assad durant la crise syrienne. Le pays nord-africain a refusé de désigner le Hezbollah ou le Hamas comme des organisations terroristes. L’Algérie est restée en dehors de la Coalition arabe au Yémen et de la Coalition militaire contre le terrorisme regroupant 41 pays musulmans », a-t-il noté.

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