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Algérie : le grand ménage du foncier agricole est lancé, quels enjeux ?

L’Algérie a lancé une vaste opération d’assainissement du foncier agricole. L’objectif est de régler les cas litigieux qui subsistent, mais les défis sont énormes.

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Algérie : le grand ménage du foncier agricole est lancé, quels enjeux ?
Foncier agricole / Par Ken Shono / Unsplash
Aicha Merabet
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Des opérations d’assainissement du foncier agricole sont en cours en Algérie. Il subsiste en effet des cas litigieux après les attributions de concessions agricoles de ces dernières années dans plusieurs wilayas. « L’accès au foncier public est aujourd’hui l’objet d’enjeux économiques importants », note le spécialiste Ali Daoudi. Aussi, l’opération en cours est loin d’être anodine.

Dès la mi-juin, la directrice générale de l’Investissement et du Foncier au ministère de l’Agriculture et du Développement rural, Souad Assous, a confié à l’agence APS que des comités de wilayas étaient en cours d’installation.

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Cette opération fait suite à une circulaire sur la régularisation du foncier agricole et s’inscrit dans l’application des instructions du président Abdelmadjid Tebboune, visant à assainir la question du foncier agricole avant fin 2025.

Signe de la volonté d’avancer des pouvoirs publics, la Chambre nationale des notaires est membre de la Commission nationale afin de garantir la sécurité juridique des parties concernées.

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Selon le secrétaire général du ministère, Hamid Bensaïd, cette circulaire permet des outils « opérationnels et clairs », ce qui devrait améliorer la coordination entre administrations, l’accélération des procédures et la récupération des terres inexploitées.

À Sétif, le 27 juillet, la commission de wilaya a publié un communiqué enjoignant tous les concernés à contacter la commission sous un délai de 8 jours.

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Le communiqué donne comme exemple les cas pouvant être soumis à la commission : « absence de contrats définitifs, retards dans les transferts de droits de jouissance, abus dans les cessions de terres, litiges successoraux et écarts entre les superficies documentées et la réalité ».

Foncier agricole : des critères d’attribution en zone steppique

Ces opérations d’assainissement du foncier agricole ne sont pas nouvelles. En 2023, le quotidien El Moudjahid faisait état à Ghardaïa de plus de 10.000 hectares retirés à leurs bénéficiaires sur les 23.802 hectares des terres agricoles attribuées. En cause, leur non-exploitation. Ces dernières années, dans les zones steppiques, les débats ont été vifs quant aux critères d’attribution.

Alors que les autorités locales privilégient l’allocation des terres publiques éligibles à la mise en valeur à de jeunes chômeurs et aux natifs des régions concernées, les cadres du ministère de l’Agriculture mettent davantage en avant la réussite de la mise en valeur. « Il est plus juste d’attribuer la terre à ceux qui peuvent effectivement la mettre en valeur », relève Ali Daoudi, coauteur d’une étude réalisée en 2021.

Autre témoignage relevé auprès d’un agent local de l’administration : « Personnellement, je suis contre les critères d’attribution retenus par la commission technique, je préfère accorder la terre à une personne capable financièrement et apte à travailler la terre, et non à une personne qui va l’accaparer 40 ans sans rien faire ». Un autre cadre renchérit : « Je considère que la terre doit être attribuée à des gens capables financièrement. Attribuer un périmètre aménagé par l’État, à coups de milliards, à 50 chômeurs qui n’ont pas même de quoi payer les frais de leurs déplacements vers leur parcelle, ce n’est pas rationnel ».

Pour accéder au foncier agricole en Algérie, les critères d’attribution sont doubles : être citoyen algérien et porteur d’un projet agricole réalisable de mise en valeur. Mais progressivement est venue s’ajouter la nécessité de disposer des moyens de cette mise en valeur.

Le choix des bénéficiaires est d’autant plus délicat que dans les régions steppiques au niveau des parcelles à attribuer sont souvent présents des usagers.

Si les uns sont sensibles aux droits hérités sur la terre, les autres le sont à l’efficacité de la mise en valeur. Il est vrai que la priorité donnée à des ayant-droit locaux du fait des usages coutumiers mène parfois à des situations inattendues. Un agent cite le cas où ceux-ci ont laissé en friche les terrains qui ont finalement fait l’objet de transactions financières : « 80 % des parcelles ont été vendues », rapporte la même source.

Foncier parfois dilapidé des EAC et EAI

Plus au nord, des études montrent que la qualité d’attributaire n’empêche pas certains de louer illégalement tout ou partie de la concession agricole dont ils ont la jouissance durant 40 années. C’est parfois le cas de parcelles appartenant à des EAC ou EAI qui font l’objet de tractations illégales alors que ces exploitations sont issues de la restructuration des grands domaines de l’État.

Dans la Mitidja, des études font état d’investisseurs disposant de 350 serres installées dans une EAC, ou à Mascara, de 15 hectares d’abord louées puis finalement achetées à une EAC.

Dans la région de Guelma, le cas de la location de terre a été finement étudié par l’ENSA d’El Harrach. Ces locations sont le fait de propriétaires privés mais également d’EAC et d’EAI ; elles permettent la production de tomates de conserve. Une activité qui requiert d’importants moyens financiers.

Dans la majorité des cas, ces locations sont liées à l’insuffisance des moyens financiers dont disposent les propriétaires et les attributaires. Par ailleurs, chaque saison, les planteurs de tomates sont à la recherche de terres nouvelles n’ayant pas porté de culture de tomate par crainte de parasitisme du sol.

Dans le cas des attributaires, ces locations sont parfaitement illégales, elles correspondent à la captation d’une rente foncière que paye en bout de chaîne le consommateur.

Foncier possédé ou loué ?

Dans les régions steppiques, « l’engouement pour la terre est réel », note Ali Daoudi. Il est en fait généralisé à travers tout le pays. Et des voix qui appellent à l’application du principe de « la terre à celui qui la travaille » dissimulent mal le souhait de « la terre à celui qui y investit ».

Différentes revendications transparaissent à travers les déclarations de responsables professionnels agricoles et de participants à des émissions de télévision. Sous couvert d’efficacité, certains revendiquent moins d’entraves à l’accumulation du foncier agricole tandis que d’autres revendiquent plus d’équité à travers le vocable : « on y a tous droit ».

Autre question qui transparaît à travers ces débats : la propriété de la terre est-elle indispensable à l’agriculteur ?  L’exemple des producteurs de tomates de Guelma montre qu’ils s’intéressent avant tout à la location de terres indemnes de maladies et possédant un accès à l’eau. Un schéma appliqué également par les entrepreneurs agricoles itinérants produisant pomme de terre et oignons à Rechaïga (Tiaret). Et quand les nappes d’eau locales faiblissent, ils partent s’installer dans une wilaya environnante.

Quand bien même des locataires souhaiteraient acheter du foncier, face à l’investissement financier que cela représente, on peut se demander le prix final que devrait supporter le consommateur.

Foncier et équité

Les commissions de wilaya devront donc trancher sur des cas épineux ayant entaché la distribution de concessions agricoles. Et cela sans oublier le cas des constructions illicites sur les terres de concessions agricoles.

La politique foncière en cours en Algérie depuis 1983 a libéré l’accès à la terre ainsi qu’à l’eau du domaine public, et à ce titre, a donné un regain de dynamisme à la production agricole. L’optique d’attribution a laissé place à celle d’une optimisation économique. Reste l’équité de l’allocation des terres publiques.

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