Depuis une vingtaine d’années, l’irrigation a permis l’apparition en Algérie de nouvelles régions agricoles. Des fronts pionniers qui ont permis une plus grande offre en produits agricoles.

En cette période de début de ramadan, celui apparu depuis 4 ans dans les Nememcha (Khenchela) est particulièrement riche en potentialité. D’une région désertique, cette région est devenue en l’espace de quatre ans, un véritable océan de verdure.

« Nous produisons tout ici : le blé, l’orge, la tomate, les aubergines, les fèves, les petit-pois », a expliqué un agriculteur. Un autre a abondé dans le même sens : « Nous cultivons tout ici, et les commerçants viennent de toutes les wilayas ».

Le sud de la wilaya bénéficie de températures clémentes et mérite à ce titre le nom local de « Sahra Nememcha ». Un climat favorable aux cultures. Déjà dans la région, dans les parcelles d’orge irriguées, les premiers épis ont fait leur apparition.

Une vue aérienne de la zone mise en valeur a de quoi étonner. Ici, pas de champs circulaires de 30 à 50 hectares comme à Adrar ou d’un seul hectare comme à Oued Souf.

Ce sont des lignes droites qui dominent. Un damier constitué de parcelles rectangulaires que font apparaître les vues aériennes prises par les caméras de la Télévision algérienne. Un patchwork constitué du vert des parcelles irriguées et de la couleur ocre des quelques terres non cultivées. À cela s’ajoutent les pylônes des lignes électriques et un réseau de pistes entre les parcelles.

Des parcelles de quelques hectares au plus, semées de céréales mais surtout de cultures maraîchères dont en cette saison fèves et carottes. À cela s’ajoute un nombre relativement réduit de serres par rapport à ce qui peut être observable à El Ghrous (Biskra) où la mise en valeur est plus ancienne.

Cette géométrie particulière est liée au travail de la commission de wilaya chargée de l’attribution de concessions agricoles aux jeunes chômeurs de la région ainsi qu’aux forages collectifs.

Forts d’une disponibilité suffisante en eau et d’un sol fertile, les attributaires se sont tournés vers des modes d’irrigation modestes : kits d’irrigation par aspersion mais également irrigation localisée par goutte à goutte.

Ce type d’irrigation, particulièrement économe en eau, est encouragé dans le cas des forages collectifs. Dans la mesure où chaque attributaire dispose d’un tour d’eau régulier, seule l’irrigation localisée permet d’économiser l’eau et donc d’investir dans un nombre maximum de serres.

Les vues aériennes des périmètres de mise en valeur des Nememchas montrent parfois des concentrations élevées de serres tunnels, jusqu’à 70. Une concentration qui s’explique par l’existence d’un forage collectif mais également de probables partenariats avec des investisseurs.

À proximité des serres, des alignements de couleur ocre indiquent l’emplacement d’anciennes serres tunnel déplacées au motif de rotation des cultures. Une pratique nécessaire tous les trois ans sous peine de se retrouver avec une trop forte concentration de parasites du sol.

Sur d’autres concessions de l’immense périmètre de mise en valeur, ces serres tunnels sont en nombre très restreint témoignant des faibles moyens dont disposent encore des attributaires.

Apparaissent également quelques serres multichapelles. Ce type d’installation peut concerner des surfaces d’un demi à un hectare.

Sur le site en question, on en dénombre jusqu’à trois serres groupées les unes près des autres, ce qui dénote un investissement conséquent. Ce modèle de serre est progressivement produit en Algérie.

Pour un hectare son prix « peut aller jusqu’à 100 millions de dinars en importation », confiait en 2019 à la Chaîne 3 le directeur de l’entreprise Anabib. Avantage des serres multichapelles : des rendements multipliés par 5 voire 6.

Nemamcha, nouveau front pôle agricole en Algérie

Sur le marché algérien, les transactions vont bon train. D’un pick-up sont déchargées des caisses remplies de fèves. Une fois passées sur une balance, elles sont rapidement chargées sur le camion d’un acheteur.

Et des acheteurs, il y en vient de toutes les wilayas, confirme un investisseur interrogé dans sa serre multi-chapelle. Entre des allées de plants d’aubergines et de tomates, il confie : « Grâce à Dieu nous pouvons approvisionner le marché durant ce mois de ramadan, la production est abondante ».

Dans une rangée où la récolte a déjà été effectuée, des cageots remplis d’aubergines sont posés au sol tous les dix mètres.

Pour Saïd Teman, directeur des services agricoles de Khenchela, ce mois de ramadan qui commence ce lundi 11 mars en Algérie, « correspond à une période où la disponibilité en légumes de plein champ ou sous serre est particulièrement élevée. Et la vente directe aux consommateurs devrait permettre des prix abordables ».

Cette mise en valeur à taille humaine de cultures maraîchères favorise l’emploi.

Selon Lamori Hocine, directeur de l’Agence nationale d’appui et de développement de l’entrepreneuriat (Anade) de Khenchela cité par le quotidien El Moudjahid « en 2021, 121 jeunes porteurs de projets ont monté des micro-entreprises agricoles dans les trois communes de Ouled Rechache, El Mahmel et Babar ».

L’Anade a apporté un soutien financier pour l’acquisition de matériel agricole. En 2022, ce sont « plus de 18.000 hectares de terres agricoles dans la zone saharienne qui ont été attribués à 1.800 jeunes ».

Soit une moyenne de 10 hectares par attributaire avec remise d’un acte de concession, ce qui explique l’aspect de damier du périmètre de mise en valeur.

Progressivement le sud de la wilaya de Khenchela connaît d’importantes mutations. Auparavant dévolu aux agro-pasteurs et aux techniques ancestrales d’irrigation par épandage des crues d’oueds, le développement des forages a permis une offre plus importante en eau à partir des réserves souterraines. Auparavant qualifiées de terres improductives, celles-ci se révèlent aujourd’hui fertiles.

Dans le sud de la wilaya de Khenchela l’entreprise Cosider exploite depuis 2019 au niveau du périmètre Kerkit-Sfiha dans la commune de Babar 16.000 hectares notamment consacrées aux céréales.

À cet effet, ce sont des pivots d’irrigation qui sont utilisés. Dès 2019, le géant public du BTP a mis en service 36 forages, 7 bassins d’une capacité unitaire de 20.000 m3 équipés de moyens de pompage assurant un débit de 150 litres/seconde.

Quelques agriculteurs bénéficient également de pivot d’irrigation et réclamaient ces dernières années le raccordement de leur exploitation au réseau électrique.

Un raccordement mené tambour battant par les services de wilaya. Début janvier, l’agence APS indiquait que « le programme complémentaire de développement retenu pour la wilaya de Khenchela par le président de la République Abdelmadjid Tebboune prévoit le raccordement de 900 puits artésiens au réseau d’électricité agricole ». Un programme dont le taux d’avancement se situait à cette date entre 80 et 100 %.

Comme le note l’agro-économiste Omar Bessaoud dans une récente rétrospective de l’agriculture depuis 1962 : « De nouveaux acteurs sociaux issus des villes ou des campagnes prospèrent et disputent aujourd’hui terres, eau, argent et capital social à la paysannerie et aux pasteurs ».

Une évolution qui amène ce spécialiste à suggérer que l’État assume son rôle régalien : « L’installation de ce nouvel ordre social dans les campagnes pose l’exigence d’une intervention forte de l’État afin de corriger les tendances à la concentration foncière, et de réduire les formes de pauvreté et de précarité qui font suite à la perte de contrôle sur les terres par une fraction de la paysannerie, voire même sa sortie du secteur agricole ».