Le prix du poulet en Algérie ne cesse de battre des records. A Alger, les prix dépassent actuellement les 600 DA le kilo, un record. Quant à l’escalope elle atteint 1.200 dinars algériens le kilo. Du jamais vu. Il y a un mois, le poulet complet était cédé à 400 dinars le kilo.
Un phénomène conjoncturel selon le porte-parole du ministère de l’Agriculture, Messaoud Ben Driri qui assure que les prix devraient baisser. Pour hâter un retour à la normale, les pouvoirs publics misent sur des importations ponctuelles.
Ce retour des importations ne plaît pas aux organisations professionnelles agricoles qui voient là une redoutable concurrence.
Pour Tahar Kerami, un des responsables de l’Union nationale des paysans algériens (Unpa), qui s’exprimait récemment sur Ennahar TV, « ces sommes en euros destinées aux importations et leur équivalent en dinars représentent une masse d’argent considérable qui aurait pu contribuer à réduire les charges des éleveurs » algériens.
S’il dit comprendre l’urgence d’une baisse des prix à la consommation, il estime que de telles importations risquent de conduire des éleveurs à la faillite et impacter l’ensemble de la filière dont les abattoirs.
Mauvaise passe pour la filière avicole algérienne
Actuellement, la filière avicole algérienne traverse une mauvaise passe et chancelle littéralement. Bien que constituée d’un solide environnement, les éleveurs algériens ont dû affronter de multiples chocs : covid 19, grippe aviaire mais surtout hausse du prix du maïs et du soja qui ont flambé suite à la crise ukrainienne.
A cela s’ajoute un été particulièrement chaud qui a refroidi l’enthousiasme des petits éleveurs. Ce sont eux qui avec des effectifs moyens de 3.000 poulets assurent le plus gros de la production de volaille en Algérie.
Le plus souvent, leurs installations sont rudimentaires et ne sont pas équipées pour faire face aux fortes chaleurs. Comment en effet faire baisser la température sous une serre tunnel aménagée en poulailler avec comme seul moyen un assemblage de roseaux mis sur le toit ? Certains y installent des extracteurs d’air mais la facture d’électricité constitue une charge supplémentaire.
Ces derniers mois, des éleveurs ont déclaré avoir vendu des bandes de poulets à perte et que dorénavant ils n’étaient pas prêts de continuer leur activité. La visite de leurs poulaillers révèle l’absence d’animaux.
Que faire ?
Que faire alors ? Pour les pouvoirs, publics la question est cruciale. Jusqu’aujourd’hui la viande de poulet a constitué une source de protéines accessible aux ménages à faible revenu. Des protéines qui depuis les années 1970 ont permis une amélioration sensible de la ration alimentaire des consommateurs algériens.
Faut-il recourir à l’importation, même ponctuelle, des poulets ukrainiens qui depuis 2022 inondent l’Europe suite à la levée des droits de douanes ? Des poulets principalement produits par le milliardaire ukrainien Yuriy Kosiuk à la tête de poulaillers d’une capacité totale d’un million de têtes, d’un empire agro-industriel intégré et de 360.000 hectares de bonne terre.
En Algérie, dans cette crise du poulet, car il s’agit bien d’une crise, la filière avicole affronte de graves handicaps.
L’expert agricole Laâla Boukhalfa, longtemps responsable d’un important complexe avicole public dans la wilaya de Batna, évoque souvent l’ancienne époque où les offices régionaux de l’aviculture approvisionnaient les éleveurs selon des calendriers préétablis.
Aujourd’hui, alors que l’investissement en aviculture est libre, il arrive que des couvoirs jettent des poussins suite à une baisse de la demande ou que le prix de ces mêmes poussins atteint 200 DA l’unité. Cela a été le cas après la grippe aviaire qui a décimé des élevages de poules reproductrices (parentaux et grands-parentaux).
Hausse du prix du poulet en Algérie : l’impasse du modèle maïs-soja
Le fait de devoir importer presque la totalité du maïs et du soja destiné à l’alimentation des volailles rend la filière dépendante de la volatilité des prix sur le marché international.
Le climat semi-désertique et aride de l’Algérie laisse peu d’espoir de produire massivement ce type de matière première. La chaleur pose également un problème dans la mesure où dès le mois de mai et jusqu’à septembre, la température peut devenir intenable dans les poulaillers.
A cela s’ajoutent les épidémies et les maladies qui peuvent emporter l’ensemble d’une bande de poulets ou réduire leur croissance. Certes, celles-ci ne sont pas une fatalité.
Il existe des vaccins et en ce moment les vétérinaires ne chôment pas en Algérie. Ils sont engagés dans une campagne de vaccination à grande échelle. Mais le niveau d’exigence en matière sanitaire dans les élevages est bien au-dessus du quotidien des petits élevages. Par manque de formation aux gestes de base, il arrive que les aviculteurs soient les premiers à contaminer leurs animaux.
Trop de petits éleveurs considèrent encore que l’élevage avicole se résume à distribuer un aliment de démarrage, un aliment de croissance puis un autre de finition tout en assurant un chauffage d’appoint en hiver.
Les résultats de la plupart des éleveurs sont en dessous du seuil de rentabilité couramment admis à l’étranger.
Pour une souche de poule à croissance rapide, l’indice de consommation doit se situer à 1,8-1,9. Le gain quotidien de poids des animaux doit être de 50 gr. Et au bout de 39 à 42 jours, les animaux doivent avoir un poids de 1,8 à 1,9 kg. Pour que l’activité soit rentable, l’éleveur doit élever jusqu’à 6 bandes de poulets dans l’année.
Faibles performances des élevages
Une récente étude du Laboratoire économie et développement de l’université de Bejaia concernant les performances des élevages de la wilaya révèle des indices de consommation élevés de 2,9 à 3,1 indiquant que 2,9 kg à 3,1 kg d’aliment sont nécessaires pour produire un seul kilo de poulet vif là où 1,8 devrait suffire.
Hors épidémie, la mortalité atteint 8 à 10% de l’effectif des élevages. Quant au nombre de bandes élevées durant l’année, elles ne sont que de 4. Selon la même source, « la majorité des aviculteurs évitent de s’aventurer dans cette activité pendant les périodes de forte chaleur. »
La conclusion de l’étude est sans appel, le piètre résultat des élevages « est dû essentiellement au gaspillage d’aliments, à la faible maîtrise des techniques d’élevage modernes, à l’état du matériel utilisé, à la qualité d’aliment utilisée et à la durée des élevages relativement longue par rapport aux standards internationaux. »
En 2020, une étude de l’École nationale supérieure vétérinaire menée dans la wilaya de Boumerdes relève un indice de consommation de 2,85 et diagnostique une « vitesse de croissance en fin de cycle perturbée à cause de la détérioration de l’état de santé des animaux. »
Quant au taux de mortalité observé, il est de 6,8 %. Là aussi, la conclusion est sans appel : « Les résultats obtenus montrent que la clé de la réussite de tout élevage repose sur l’instauration correcte des normes et leur maintien tout au long de la période d’élevage, à travers une bonne conduite de ce dernier. »
Si les pertes liées au faible niveau sanitaire des éleveurs pouvaient jusque-là être couvertes par les gains enregistrés, par ailleurs, la brusque élévation du prix de l’aliment crée une situation intenable.
Les charges en aliments représentent plus de 70 % des coûts de production du poulet et ne permettent plus l’amateurisme. Pour les petits élevages peu au fait des risques sanitaires liés aux parasites en tout genre dont les terribles coccidioses, atteindre un équilibre financier devient pratiquement impossible.
Il faudrait pour cela s’approcher d’un taux de mortalité proche de zéro. Les souches de poulets actuellement importées sont ultra-performantes et ont été sélectionnées sur la base de leur vitesse de croissance.
Combien de fois des éleveurs s’adressent à des vétérinaires pour réduire le taux de mortalité de leur élevage et repartent avec un traitement qui s’avère inefficace du fait du non-respect des normes sanitaires ?
Filière avicole algérienne : l’avenir des petits élevages compris
Pour la filière avicole algérienne, les défis sont multiples : trouver des cultures de substitution pouvant réduire, même partiellement, la facture des importations de maïs et de soja, chercher le moyen d’améliorer l’ambiance dans les bâtiments d’élevage et surtout former les éleveurs aux normes sanitaires des élevages et à la notion de biosécurité. Entre entreprises d’amont et d’aval, la question est de savoir à qui revient le rôle d’appui technique des éleveurs.
Reste également à s’assurer d’une répartition égale de la valeur ajoutée entre les différents membres de la filière : couvoirs, fabricants d’aliments, éleveurs et abattoirs.
Alimenter le marché local en viande blanche requiert une diversité d’intervenants. Après une phase de croissance exponentielle, la filière avicole semble devoir s’interroger sur plus de professionnalisme.
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