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Après un mois de contestation : le pouvoir n’a (presque) plus d’arguments

Après un mois de contestation : le pouvoir n’a (presque) plus d’arguments

Lorsqu’elle a été annoncée officiellement début février, la candidature de Bouteflika pour un cinquième mandat fut présentée par ses soutiens, les partis de l’Alliance en tête, comme une nécessité absolue.

La formule était vite trouvée : le président a beaucoup fait pour le pays, il doit maintenant continuer son œuvre et préserver la stabilité que beaucoup de pays nous envient. Continuité et stabilité ont constitué pendant quelques semaines les deux mots clés de la littérature du régime.

Jusqu’à la veille de la deuxième grande marche de contestation, celle du 1er mars, le pouvoir était resté droit dans ses bottes et ses représentants tentaient encore de convaincre les Algériens que la meilleure chose à faire et de laisser Bouteflika les gouverner encore pendant cinq années supplémentaires.

Les arguments en faveur de Bouteflika

À entendre Ahmed Ouyahia, Amar Ghoul, Mouad Bouchareb, Amara Benyounès, Abdelmadjid Sidi-Saïd et les autres, le choix encore une fois de Bouteflika était indiscutable. C’est que les arguments ne leur manquaient pas. Du moins croyaient-ils.

Le 28 février, soit une semaine après la première démonstration de force de la rue, Ahmed Ouyahia était devant l’APN où il répondait aux remarques des députés sur sa déclaration de politique générale qu’il avait faite deux jours auparavant.

Le Premier ministre avait outrepassé l’objet de sa présence à l’hémicycle en ne se contentant pas de dresser le bilan de sa gestion depuis sa nomination en août 2017. Il est remonté jusqu’en 1999 pour mieux faire ressortir le contraste entre l’Algérie anté-Bouteflika et celle qu’elle est devenue grâce aux « réalisations » socio-économiques du programme du président, données chiffrées à l’appui.

L’autre partie de son discours, Ouyahia l’avait consacrée à la paix retrouvée et à la stabilité que les Algériens risquaient de perdre s’ils contestaient leur président, selon lui. « En Syrie aussi, ça avait commencé avec des roses », avait-il mis en garde. En filigrane, c’est le risque du retour en force des islamistes radicaux, voire du terrorisme, qui est brandi. Un spectre qui a servi à justifier beaucoup d’incuries du pouvoir ces trente dernières années.

Ce jour-là, Ahmed Ouyahia, en porte-voix du pouvoir, ne faisait que répéter un sentiment largement partagé en haut lieu, à savoir que les Algériens étaient « heureux » de la candidature de Bouteflika. Ne l’avaient-ils d’ailleurs pas « supplié » pendant presque une année de poursuivre son œuvre, comme le prétendent les partisans du pouvoir ?

Des arguments qui s’effritent

Mais au fil des vendredis et leur lot de marches plus imposantes les unes que les autres, tous ces arguments se sont mis à s’effriter jusqu’à ce que le pouvoir reste sans voix. Pour la situation socio-économique, les experts n’avaient pas attendu le début de la contestation pour dresser unanimement un constat d’échec et prévoir même une grande crise pour les deux ou trois prochaines années si le mode de gestion actuel n’est pas revu.

Les citoyens aussi n’avaient pas attendu le 22 février pour exprimer leur insatisfaction et réclamer un vrai travail et non des emplois aidés, un raccordement aux différents réseaux, un meilleur pouvoir d’achat… Leur sortie par millions n’a fait que confirmer qu’ils n’étaient heureux de rien et qu’ils vivaient dans l’angoisse de lendemains incertains.

Tel un effet dominos, un autre argument, ou un autre mythe, tombe : celui de la popularité de Bouteflika. Après un mois de contestation et cinq vendredis de marches imposantes, plus personne n’ose créditer le chef de l’État d’un quelconque soutien populaire. Même ses plus zélés soutiens admettent que Bouteflika est indésirable et se retrouvent à quémander de l’indulgence envers l’homme et à lui chercher une sortie honorable avec comme arguments, non pas son œuvre et son passé, mais son âge et son état de santé.

Le pacifisme des jeunes qui manifestent et le haut degré de conscience qu’ils ont exprimé à travers les slogans scandés et les pancartes brandies ont aussi emporté l’un des derniers spectres sur lequel le système misait pour perdurer, celui du retour de l’islamisme, voire du terrorisme.

À Alger ou ailleurs, pas un seul slogan renvoyant à cette idéologie n’a été entendu en un mois de contestation, encore moins ceux du début des années 1990. Les islamistes ont sans doute participé aux marches, mais ils l’ont fait comme tout le monde, et simples citoyens, en acceptant les autres. Même les leaders de cette mouvance ne se sont pas fait entendre plus que les autres.

Pendant les marches, le monde a plutôt découvert une jeunesse joyeuse, aspirant à la vie, de la mixité, des couples, des jeunes filles qui dansent, des jeunes hommes qui chantent, qui font la fête. Des images qui commencent à faire de l’effet là où le pouvoir algérien le souhaitait le moins, soit chez les dirigeants des grandes puissances, longtemps convaincus du mythe de rempart que constituent les régimes autoritaires de la rive sud de la Méditerranée et de tout le Moyen-Orient. De garant de la stabilité, le régime algérien est en passe d’être perçu comme un facteur d’instabilité.

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