Économie

Céréales : après la sécheresse, l’espoir renaît en Algérie

Après une campagne de semis marquée par une tension sur la disponibilité en semences certifiées, les premiers blés lèvent enfin et sont en herbe dans les champs en Algérie.

Après la sécheresse de 2023, la filière céréales algérienne revient de loin. Sans l’aide de l’Etat, bon nombre d’agriculteurs n’auraient pas pu financer un nouveau cycle de culture.

Que ce soit en Algérie, au Maroc ou en Tunisie, les importations de céréales sont en forte croissance. La Tunisie devrait importer pratiquement tous ses besoins suite à la dernière sécheresse. Lors de son passage à Tunis fin décembre, le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov a déclaré que la Russie était « prête » à fournir davantage de céréales à la Tunisie.

Cette année, selon le département américain de l’agriculture (USDA) les importations marocaines de blé tendre devraient atteindre sep millions de tonnes contre en moyenne quatre millions de tonnes les autres années.

Selon l’agence Reuters, en novembre dernier l’Office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC), a acheté entre 550.000 et 580.000 tonnes de blé dans le cadre d’un appel d’offres international.

Cet achat intervient après ceux de début d’année pour 1,5 million de tonnes, de mai entre 500 000 et 600 000 tonnes, de juin pour près de 400 000 tonnes et d’août entre 600 000 et 800 000 tonnes.

Par ailleurs, le ministère de l’Agriculture algérien a mis en œuvre un programme national qui vise au renforcement des capacités nationales de stockage. Début décembre lors d’un conseil des ministres, le président de la république, Abdelmadjid Tebboune a ordonné de « transférer immédiatement les projets des silos de stockage des céréales aux walis de la République ».

A l’occasion, il a été demandé  un : « suivi rigoureux de la saison agricole actuelle, en chargeant les walis de mener des campagnes d’inspection quotidiennes des surfaces emblavées afin de faciliter les tâches des agriculteurs ».

En ce début janvier, partout en Algérie, les fragiles pousses issues des derniers semis côtoient celles plus vigoureuses des semis de novembre. Ces dernières auront donc bénéficié d’une période plus longue pour développer leurs racines, seul moyen pour affronter les redoutables épisodes de manque d’eau du mois de juin à venir.

Parmi les parcelles de blé qui lèvent, les situations sont très variables. A côté des parcelles aux rangs de blé impeccablement espacés d’une quinzaine de centimètres figurent celles aux écartements incertains, signe de réglages défaillants des semoirs.

Parfois comme dans la wilaya d’Ouled Djellal dans le sud-est algérien, les grains ont germé mais sans qu’aucun rang ne soit visible. Et pour cause, comme le montre la chaîne Echourouk TV dans un reportage consacré au lancement officiel de la campagne labours semailles en présence du wali et des autorités de wilaya, le semis a été réalisé de façon inapproprié à la volée à l’aide d’un vulgaire épandeur rotatif d’engrais. Parfois, c’est le froid qui retarde la levée comme à Tiaret dans le cas des semis tardifs.

De son côté, à la mi-décembre, l’Institut Tunisien des Grandes Cultures (INGC) publiait les photos d’une parcelle d’orge aux rangs impeccables montrant des plants vigoureux. Une parcelle située à Bordj Aifia (El Kef), implantée par semis direct sans aucun labour. Une technique qu’encourage l’INGC.

A Constantine et Sétif, dans l’est de l’Algérie, des agriculteurs font de même et s’équipent du semoir pour semis direct brésilien Semeato ou de son équivalent Boudour produit à Sidi Bel Abbès.

C’est le cas également à Bouira où à la mi-décembre Aziz Ould témoignait sur les réseaux sociaux de l’intérêt de ce mode de semis qu’il pratique avec succès depuis plusieurs années en collaboration avec l’équipe du professeur Arezki Mekliche de l’Ecole nationale supérieure d’agronomie d’El Harrach (ENSA).

La campagne céréalière est-elle sauvée en Algérie ?

Est-ce pour autant que la campagne céréalière est assurée en Algérie ? Il faudra que le blé résiste aux coups de sec, ces inévitables périodes de quelques semaines sans pluie qui surviennent au printemps mais maintenant également en plein hiver comme lors de la dernière campagne.

Dans le grand sud algérien, la question de la pluie ne se pose pas puisque le blé est irrigué en continu grâce au fonctionnement de pompes et de rampes pivots.

Les subventions publiques ont permis à une foule d’investisseurs de se lancer dans ce type de production coûteux en énergie. Parmi eux, des néophytes qui ne connaissent rien à la culture du blé et recherchent désespérément des conseils car sous pivot la rentabilité de la culture n’est possible qu’au-delà de rendements supérieurs à 50 quintaux.

La demande en conseil est telle que les services agricoles réfléchissent à la formation des nouveaux investisseurs par ceux plus expérimentés. En juillet 2020, lors d’un conseil des ministres, le président de la république a demandé que soit créé un institut supérieur spécialisé en agronomie saharienne implanté au sud.

L’objectif des services agricoles est d’arriver à la culture d’un million d’hectares dans le sud de l’Algérie. Aux côtés du secteur privé, des entreprises publiques s’engagent dans l’aventure. C’est le cas de Cosider dans la région de Nemencha (Khenchela) ou de Global Agri Food (filiale Madar-Holding) qui dispose de 2.000 hectares et 25 pivots à Gassi Touil (Ouargla).

Au nord, sauf exception, le blé n’est pas irrigué du fait du coût excessif de l’opération et de l’insuffisance en eau. Les agriculteurs ne peuvent compter que sur des variétés résistantes à la sécheresse et sur la modernisation des pratiques de dry-farming.

L’Institut Technique des Grandes Cultures (ITGC) a introduit de nouvelles variétés telles Boussalem ou Oued Bared appréciées des agriculteurs. Des entreprises privées investissent ce créneau, c’est le cas d’Axium SPA à Constantine qui, en coordination avec les services agricoles, multiplie au niveau de son réseau d’agriculteurs de nouvelles variétés de blé tel Carioca.

Des techniques simples peuvent s’avérer intéressantes. C’est le cas du roulage après semis que vante l’infatigable Nabil Athmania de l’ITGC. Sur les réseaux sociaux, il présente deux parcelles de blé dont l’une est bien plus développée.

Et pour cause, elle a fait l’objet du passage d’un rouleau après semis, ce qui a permis aux semences de s’imprégner de l’humidité du sol et de germer plus rapidement. Problème, les semoirs produits sous licence espagnole Sola par l’entreprise publique CMA de Sidi Bel-Abbès ne sont pas équipés d’un système équivalent sous forme de roues plombeuses.

Désherbage et concurrence pour l’eau

Autre stratégie actuellement développée : le désherbage chimique des cultures. Au niveau des parcelles les plus avancées, des taches vertes sont visibles entre les rangs de blé. Il s’agit de mauvaises herbes qui ont germé en même temps que le blé et qui exercent une redoutable concurrence pour l’eau. Un problème exacerbé par le retour fréquent sur les mêmes parcelles des céréales alors que l’alternance de légumes secs, fourrages ou colza est préférable.

Les chiffres officiels disponibles font état de seulement 20 à 25% de parcelles désherbées à l’aide d’herbicides en Algérie.

Bien que coûteux au niveau des revendeurs privés, les herbicides sont largement disponibles. De nombreuses firmes étrangères ont investi le marché algérien. C’est le cas de la firme américaine Cortevat dont les produits sont distribués en Algérie par l’entreprise Srid d’Aïn Benian (Alger).

Comme d’autres distributeurs, Srid a dernièrement organisé plusieurs regroupements régionaux et invité les agriculteurs à venir découvrir sa nouvelle gamme d’herbicides tel le Tarzec, un produit à large spectre d’action.

Dans le sud du pays, à Mostaganem, Constantine ou Annaba, le schéma est chaque fois identique. Les agriculteurs et techniciens locaux sont accueillis dans le salon d’un hôtel par un café et un buffet garni avant une matinée de présentation des nouveaux produits de la firme et de conseils d’emploi. La matinée se termine par un repas pris en commun offert aux participants.

De tels regroupements permettent à la frange des agriculteurs les plus avancés de se perfectionner. La prolifération des mauvaises herbes peut réduire le rendement de 50% pour la filière céréales. L’enjeu est d’arriver à amener plus d’agriculteurs à désherber leurs parcelles.

Cependant, l’utilisation d’herbicides requiert l’emploi d’un pulvérisateur tiré par un tracteur ainsi qu’une connaissance des différentes matières actives à utiliser. Bien que des pulvérisateurs soient produits localement par l’entreprise publique PMAT, beaucoup d’agriculteurs se contentent de pratiques traditionnelles telle la jachère travaillée.

Certes, celle-ci permet d’éliminer une partie des mauvaises herbes mais au prix de la mise au repos des champs une année sur deux. Une période de jachère qui permet également d’élever des moutons et ainsi équilibrer le revenu de l’exploitation, mais qui ne favorise pas l’augmentation de production nationale de céréales.

 Reste le désherbage mécanique à l’aide de nouveaux types de bineuses apparues en Europe à la faveur des mesures de réduction de l’emploi des pesticides. Bien que peu sophistiqués, ces engins utilisables sur blé et maïs restent encore ignorés en Algérie par les services agricoles et les agriculteurs.

Engrais azotés, un emploi délicat

Afin d’assurer la réussite de la campagne agricole, les pouvoirs publics poursuivent cette année encore le soutien du prix des engrais et leur quasi gratuité dans le cas des agriculteurs affectés par la sécheresse de 2023.

Le niveau de rendement et la qualité des blés durs passent effectivement par l’emploi rationnel d’engrais azotés. Actuellement, les agriculteurs se contentent tous d’épandre la même dose. Or, la solubilité extrême de ce type d’engrais et l’azote produit naturellement par minéralisation du sol rend indispensable des analyses de sols quasi annuelles à réaliser avant les apports liés à la reprise de végétation en sortie d’hiver.

Face à l’énormité de la tâche, à l’étranger des chambres d’agricultures mutualisent les résultats d’analyses obtenus par type de sol et de précédent cultural et les diffusent ce qui permet de fournir des tendances aux agriculteurs n’ayant pas réalisé d’analyses.

L’enjeu est de taille, car sous-estimer les besoins en engrais azoté, c’est perdre du potentiel de rendement tandis que les majorer, c’est exposer la culture à un dessèchement prématuré des grains par échaudage.

C’est grâce à ce type de démarche que des agriculteurs de Sétif constitués en réseau avec le concours de la minoterie Smid Tell et d’universitaires sont arrivés à améliorer le rendement local des blés durs ainsi que leur qualité.

Le taux de mitadinage a été réduit à sa plus simple expression et celui des protéines a atteint jusqu’à 17 % ce qui fait d’eux des blés dits de force. Une stratégie de réseau d’appui aux agriculteurs utilisée en son temps par le groupe céréalier Amor Benamor.

Actuellement la majorité des minoteries algériennes tournent le dos aux agriculteurs et comptent uniquement sur les cargos qui accostent au port d’Alger pour leur approvisionnement.

Après la sécheresse mémorable de 2023, le soutien des pouvoirs publics a permis à bon nombre d’agriculteurs de semer à nouveau leurs parcelles. Avec le réchauffement climatique, le risque de sécheresse reste élevé en Algérie.

En agriculture pluviale, au niveau de différentes wilayas les techniques d’adaptation au stress hydrique mises en place par les agriculteurs progressent. Elles restent cependant insuffisamment vulgarisées face à la vitesse du dérèglement climatique actuel.

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