Après le sud, c’est au nord de l’Algérie de moissonner. L’année a été marquée par la sécheresse et chacun s’attend à une récolte inférieure à celle de 2022.
Ce jeudi 15 juin à Tiaret, Ali Bouguerra, le wali, a lancé officiellement les moissons. À cette occasion, il a tenu un langage de vérité aux responsables agricoles locaux, révélant les dessous de la baisse des rendements céréaliers à Tiaret, qui est l’un des bassins céréaliers les plus importants d’Algérie.
La cérémonie de lancement des moissons à Tiaret s’est déroulée au niveau de l’exploitation d’Abdi Larbi, dans la commune d’Oued Lili. Une exploitation individuelle de 25 hectares issue de la restructuration des fermes d’État.
L’attributaire exploite également 80 autres hectares et emploie 14 ouvriers agricoles dont quatre permanents. La cellule communication de la wilaya a suivi le cortège des officiels et a filmé les échanges entre les membres de la délégation.
En bordure d’un champ où attendent tracteurs et engins de récolte, des panneaux où figurent des tableaux de chiffres ont été installés. Un responsable des services agricoles trace le bilan de l’année. Près de 300.000 hectares ont été semés et de premières estimations de récolte et de rendement ont été établies.
Concernant l’importance des surfaces semées en orge, le wali de Tiaret fait remarquer que malgré leur production d’orge, les éleveurs sont les premiers à réclamer toujours plus de dotations en orge à prix réglementé.
Un agriculteur intervient : « Monsieur le Wali, il faut tenir compte de la sécheresse. Sans cela, les éleveurs ne réclameraient pas d’orge ».
« C’est vrai, répond le wali, mais ajoute-t-il, il faut respecter l’itinéraire technique et développer l’irrigation d’appoint ». Il indique que « si on ne peut rien faire contre le manque de pluie, il faut cependant tenir compte du facteur humain ».
L’énumération des chiffres de la campagne céréalière se poursuit avec l’annonce de 80 % de surfaces sinistrées notamment dans le sud de la wilaya. En bon communiquant, le wali rappelle la commission qu’il a installé une veille dont la mission est de recenser les superficies touchées par la sécheresse en vue de mesures d’indemnisations.
La récolte à venir est estimée à 580.000 quintaux, ce qui amène la remarque du premier responsable de la wilaya : « Cela représente à peine le quart de la récolte de l’année passée ». Pour le représentant des services agricoles l’explication est à rechercher dans le manque de pluie en mars et avril.
Un manque de pluie qui ramène la moyenne des rendements à 9 quintaux par hectare contre 17 l’année précédente.
Le wali s’étonne qu’au niveau des parcelles ayant reçu un complément d’irrigation les rendements ne soient que de 23 quintaux en moyenne.
Certes, il y a eu des pointes à 40 et 50 quintaux mais cette moyenne de 23 quintaux ne reste pas inaperçue. « C’est à cause du gel printanier, sinon on aurait atteint les 50 quintaux », lui est-t-il répondu. Dubitatif, le wali se demande si ce n’est un cas de sous-déclaration « de crainte du mauvais œil » lance-t-il sous le ton de la plaisanterie.
De son côté l’Institut technique des grandes cultures (ITGC) a toujours recommandé d’utiliser des variétés adaptées à chaque région et de respecter les dates de semis afin d’éviter les périodes durant lesquelles le blé est sensible au gel.
L’agriculteur s’adresse au wali pour témoigner de la sévérité de la sécheresse qu’ont connue les exploitations : « Cette année avec la sécheresse tout est à l’arrêt notamment les commerçants qui nous fournissent les pièces détachées, le fil de fer pour les bottes de paille, les lubrifiants et les carburants. D’habitude, ils nous font crédit et on paye à la récolte ».
Le wali rappelle l’effort fournit par ses services en matière de promotion de l’irrigation avec la délivrance de 1.600 autorisations de forage. Mais le responsable du secteur de l’hydraulique indique que ce programme connaît un taux de réalisation de seulement 50 % du fait de l’indisponibilité d’engins de forage.
Efficacité de l’irrigation
Désignant du doigt le panneau et les colonnes de chiffres, Ali Bouguerra fait remarquer que les 8.000 hectares de surfaces irriguées ont produit près de 200.000 quintaux qui sont à comparer avec la production des 58.000 hectares non sinistrés conduits en secs : 300.000 quintaux en moyenne.
Aussi insiste-t-il sur l’importance de soutenir les projets d’irrigation et rappelle les subventions et facilités de toutes sortes offertes par les pouvoirs publics. En bon connaisseur du terrain, il cite les performances d’agriculteurs irrigants situés à Mahdia, Aïn Tzarit et Sebaïne.
Face au panneau des statistiques, c’est au tour du président d’APW de s’étonner des piètres rendements affichés concernant les parcelles irriguées : « Je pense que les résultats sont plus élevés que cela ».
Le wali recentre le débat : « Quelles sont les causes objectives qui n’ont pas permis d’atteindre les objectifs du début de campagne ? ».
Il interroge : « Il y a le climat mais qu’en est-il de l’agriculteur ? » Le représentant des services agricoles évoque le non suivi de l’itinéraire technique. Le wali reprend la parole : « Il faut en finir avec la façon de faire actuelle qui consiste à semer et à ne revenir sur la parcelle que pour la récolte ».
À ses côtés Abdi Larbi, l’agriculteur acquiesce et insiste sur la nécessaire préparation du sol, les apports d’engrais et le désherbage. Il ajoute : « Celui qui ne prend pas soin de ses parcelles ne peut prétendre à une bonne récolte ».
Ravi, le wali reprend ces propos et note le fatalisme de nombreux agriculteurs.
Le blé d’Adrar au secours de Tiaret
L’exposé des données relatives à la wilaya se poursuit : « Nous avons une capacité de stockage de 2 millions de quintaux avec 48 points de collecte. Nous avons reçu des semences en provenance d’Adrar ».
Admiratif, Ali Bouguerra s’exclame : « Cette année, c’est la wilaya d’Adrar qui envoie sa production à Tiaret, une wilaya à vocation céréalière ». Son interlocuteur précise : « Monsieur le wali, il ne s’agit que de semences ».
Le wali s’enquiert de l’état des installations de la Coopératives de céréales et des légumes secs (CCLS) de Mechra Sfaa qui dispose du matériel nécessaire à l’usinage des semences certifiées.
Rassuré, il demande à ce que toutes les mesures soient prises contre les risques d’incendie qui pourraient survenir lors de la récolte : « Prévoyez des pare-feu et une coordination avec les services de la sécurité civile ».
Puis dans la foulée, il se tourne vers le responsable de la CCLS et demande que dès la fin de la récolte soit mise sur pied une commission chargée de la préparation de la prochaine campagne labours-semis indiquant « même si les labours se font en octobre, novembre, il faut s’y préparer à l’avance ».
L’exposé arrive à sa fin. À nouveau, le wali revient à la charge et exprime ses doutes et son insatisfaction : « Certains parlent du facteur climatique mais le facteur humain est aussi à prendre en compte. Il joue un très grand rôle dans l’ agriculture ».
Il n’est pas le seul à exprimer ce point de vue. Lors d’un récent passage sur les ondes de la Télévision algérienne, l’agro-économiste Ali Daoudi de l’École nationale supérieure d’agronomie d’Alger a demandé que, face aux changements climatiques actuels, soient revisitées les pratiques agricoles en vigueur en Algérie.
On tend un fanion afin que symboliquement le wali donne le signal aux engins de récolte de s’élancer pour entamer les moissons, mais celui-ci s’avance vers les chauffeurs et prend le temps de leur serrer la main et de leur adresser quelques mots d’encouragement. Un ouvrier s’excuse : « J’ai les mains pleines de cambouis » mais Ali Bouguerra n’en à cure et lui serre chaleureusement la main.
Enfin, le signal est donné et dans un bruit de moteur et de grincements les engins s’élancent pour récolter 500.000 quintaux de céréales, soit le quart de la récolte de l’année passée.