Contrairement aux volailles, les moutons peuvent se satisfaire de fourrages grossiers. De façon étonnante, en Algérie, l’importation d’aliments concentrés se développe au détriment de la production locale de fourrage. Bien que celle-ci augmente à la faveur des efforts réalisés par les pouvoirs publics, l’offre ne suit pas
Ces jours-ci, sur les réseaux sociaux, les services agricoles de la wilaya de M’sila relaient une annonce de l’antenne locale de l’Office national des aliments du bétail (Onab).
Celle-ci informe les éleveurs de la disponibilité de « fourrages concentrés à base d’orge, de son et de soja au prix de 3.900 DA le quintal ». Et les invite à se rendre à son siège situé dans la zone industrielle. Suit également un numéro de téléphone.
Algérie : recours excessif à l’importation des d’aliments concentrés
Cette mesure s’inscrit dans le programme de l’Onab visant à réduire la spéculation en offrant des aliments concentrés à prix administré. Des aliments produits à partir de matières premières importées.
Le 20 septembre dernier, l’agence Reuters a annoncé la commande par l’Algérie via l’Onabde 60.000 tonnes de maïs et de 30.000 tonnes d’orge qui se sont ajoutés à l’appel d’offres de l’Office algérien des céréales (OAIC) de 120.000 tonnes d’orge.
En avril dernier, lors d’un entretien avec l’agence APS, le directeur général de l’Onab avait rappelé le rôle de cet organisme public.
« Outre sa mission d’importer de la matière première en couvrant 50% des besoins du marché local, l’Onab dispose de 21 usines de production de l’aliment de bétail réparties à travers le territoire national », a-t-il dit.
Il avait ajouté que « l’Onab, en tant que groupe public, ne cherche pas à avoir le monopole sur les importations du maïs et du soja mais œuvre plutôt à la régulation et au réajustement du marché national en ces produits stratégiques car il y va de la sécurité alimentaire du pays ».
Aux côtés de l’Onab, interviennent également près de 22 opérateurs privés qui ont également recours aux importations.
Les initiatives des pouvoirs publics se multiplient. L’Onab met en place des contrats dits triangulaires, faisant intervenir les éleveurs et l’entreprise algérienne des viandes rouges (Alviar).
Lors d’un déplacement dans la wilaya de Naâma en août dernier, le ministre de l’Agriculture et du développement rural, Abdelhafid henni, a annoncé un nouveau schéma de distribution de l’orge à prix administré auquel annuellement 7 milliards de DA sont alloués.
Malheureusement, l’augmentation du cheptel ovin est allée de pair avec la diminution des ressources pastorales. La steppe algérienne autrefois riche en touffes d’alfa ne présente plus qu’en certains endroits une végétation rabougrie due au surpâturage.
Une situation à laquelle le Haut-commissariat au développement de la steppe (HCDS) tente de faire face avec la mise en repos des parcours puis leur location sous l’appellation de « mahmiyates ».
Une mesure louable reconnue et suivie aujourd’hui par les éleveurs. Cependant, l’insuffisance des parcours naturels nécessite « le recours systématique à la complémentation par des aliments concentrés [qui] est devenu une pratique courante pour tous les éleveurs de la steppe » notait dès le début des années 2000 une étude universitaire.
Celle-ci avertissait : « Néanmoins, la complémentation par des aliments concentrés présente des risques liés à la dépendance aux marchés des aliments du bétail, dont les prix fluctuent en fonction des conditions climatiques et géopolitiques. »
Une situation vécue aujourd’hui par l’Onab dont le directeur général rappelait en avril dernier la volatilité des cours des matières premières agricoles sur le marché mondial notamment après la crise lié au Covid-19.
« Les prix sont passés du simple au double à partir de 2021, notamment le prix du soja qui a grimpé à 670 dollars la tonne alors qu’il n’excédait pas les 345 dollars/tonne avant la crise sanitaire », a-t-il dit.
L’Algérie peut développer la culture des fourrages pour nourrir ses moutons
En février 2020, le président de la République Abdelmadjid Tebboune avait montré du doigt l’Onab pour sa propension à favoriser les importations aux dépens de la production locale.
Certes, l’office est engagé dans un programme de développement de la culture du maïs, mais plusieurs observateurs notent l’absence de valorisation des co-produits issus des industries alimentaires et le développement de cultures de substitution, même partielle, au coûteux couple maïs-soja.
C’est le cas de l’expert agricole, Laâla Boukhalfa, qui en juillet dernier préconisait dans les colonnes du quotidien El Moudjahid, l’utilisation de matières premières locales telles que « l’orge, le triticale, les noyaux d’olive et la luzerne séchée, pour remplacer le maïs et le soja.»
Les alternatives, même partielles, sont nombreuses : féverole, grignons d’olive, mélasse des raffineries de sucre roux brésilien, rebuts de dattes et palmes broyées de palmiers dattiers et urée comme complément azoté.
Les chercheurs Tunisiens sont particulièrement en pointe dans l’étude des alternatives aux importations. Ils notent : « La valorisation des sous-produits agricoles et agro-alimentaires (paille, grignons, pulpes…) et/ou l’utilisation des blocs alimentaires pourraient représenter un outil nutritionnel prometteur surtout lorsque les animaux pâturent sur des parcours pauvres. »
Ce qui est le cas des zones céréalières marginales et de la steppe en Algérie. Cependant, comme en Algérie, ils soulignent : « Une insuffisance de coordination et de synergie entre les différents acteurs du secteur participe à l’inhibition de la mise en œuvre d’approches transversales nécessaires à la prestation de politiques intégrées durables. »
De leur côté, les éleveurs algériens rivalisent d’imagination pour tenter de nourrir leur troupeau. En 2020, maniant enquêtes de terrain et analyse statistique, des chercheurs de l’université de Ouargla et de Montpellier se sont penchés sur les modalités d’alimentation des troupeaux au sud de la région de M’Sila.
Aux ressources procurées par les parcours steppiques et selon les déplacements saisonniers des troupeaux, les éleveurs utilisent divers aliments : foin, paille, chaumes des parcelles après récolte, céréales sinistrées, ou jachères.
Des alternatives indispensables à la dégradation des parcours steppiques qui est telle qu’ils n’apportent plus à l’hectare que l’équivalent de 50 kilogrammes d’orge.
Substitution aux importations : l’exemple tunisien
Cependant depuis le lancement du Plan national de développement agricole (PNDA) au début des années 2000, une nouvelle dynamique a vu jour : la production de fourrages verts chez les éleveurs.
Traditionnellement, dans les régions marginales à faible pluviométrie, les éleveurs sèment de façon sommaire une espèce rustique de céréale cultivée en sec : l’orge.
Celle-ci peut être exploitée de différentes façons : pâturée en hiver, récoltée sous forme de grains puis après récolte pâturée sous forme de chaumes. Depuis l’année 2000, une partie des surfaces en orge est irriguée et la culture d’avoine et luzerne progressent.
Ceux disposant d’irrigation et de moyens matériels développent depuis peu la culture du maïs irrigué et l’ensilage sous forme de balles ronde comme par exemple à Nâama
Face à la faiblesse des parcours steppiques et aux périodes d’indisponibilité des aliments concentrés, les éleveurs ont développé de nouvelles stratégies d’affouragement pour leur cheptel. Cependant, comme le note les auteurs de l’étude : « Ces tendances alimentaires apparaissent comme des solutions curatives incomplètes, car elles manquent de maîtrise technique. »
Cette absence de maîtrise se pose dans le cas de la culture d’orge en sec, une culture qui occupe la plus grande partie des surfaces fourragères. La culture pâtit le plus souvent d’un semis à la volée avec passage d’un outil à disque (cover-crop) pour les enfouir. Dans le meilleur des cas, un premier passage d’outil vient affiner le sol.
Dans les années 2010, le Haut-commissariat au développement de la steppe a entrepris des essais de semis direct d’orge sans labour à l’aide d’un matériel d’origine syrienne.
Malgré l’accueil positif des agriculteurs locaux pour ce mode de culture non irrigué et particulièrement efficace dans des zones ne recevant que 300 mm de pluie, ce programme n’a pas été poursuivi.
Pour les éleveurs, le défi est de valoriser au mieux les pluies de la période qui va de septembre à mai. Sans une puissante aide technique pour utiliser les meilleurs outils, espèces fourragères à développement rapide et engrais les efforts des éleveurs restent dérisoires.
Parmi tous les paramètres étudiés, l’étude de l’université d’Ouargla montre que du point de vue statistique, les variables aliments concentrés et fourrages verts sont négativement corrélées. Comme le notent les auteurs : « Autrement dit, l’utilisation des fourrages verts se traduit par un moindre usage des aliments concentrés et vice-versa. »
Utiliser moins d’aliments concentrés tels l’orge en grains et l’aliment de l’Onab à base de matières premières importées est donc possible.
Il passe par le développement de techniques adaptées aux zones marginales. Selon un ex-directeur, l’Oaic compte 500 ingénieurs agronomes. Récemment le ministère de l’agriculture a annoncé le futur recrutement de 200 ingénieurs par les services agricoles.
Cependant, dans les marchés aux bestiaux, lieux de rassemblement hebdomadaire des éleveurs, on ne note aucune présence de personnel des services agricoles ni du développement d’association d’éleveurs. Récemment, à propos de céréales, Abdelhafid Henni, a évoqué la mise sur pied de caravanes de vulgarisation.