« Quelle naïveté de la présidence du gouvernement ! ». L’exclamation est du journaliste espagnol Ignacio Cembrero, spécialiste des relations de son pays avec les États du Maghreb.
Dans un long article publié dans le site Orient XXI, le journaliste d’El Confidencial a expliqué comment le gouvernement de Madrid, dirigé par le socialiste Pedro Sanchez, a tout fait perdre à l’Espagne par son revirement historique sur la question du Sahara occidental.
Le 18 mars 2022, le Palais royal marocain a rendu publique une lettre de Sanchez au roi Mohamed VI, dans laquelle le premier nommé apportait son appui au plan d’autonomie marocain pour le Sahara occidental occupé.
Le deal passé avec Rabat s’apparente en fait à un marché de dupes. Non seulement Madrid s’est aliéné un partenaire important de la trempe de l’Algérie, mais aussi le Maroc n’a tenu presque aucun des engagements qui avaient convaincu Pedro Sanchez d’effectuer son revirement.
Au bout des courses, Pedro Sanchez devra très probablement quitter le pouvoir à l’issue des législatives du 23 juillet prochain, où une défaite cuisante lui est promise par les sondages.
« Le gouvernement espagnol ne s’attendait pas à une réaction algérienne aussi virulente ; tout comme il espérait que le Maroc tiendrait ses engagements », écrit Cembrero.
Les réactions de l’Algérie, tout le monde les connaît : vacance du poste d’ambassadeur d’Algérie à Madrid depuis 15 mois, suspension du traité d’amitié signé en 2022 et blocage du commerce extérieur avec l’Espagne.
Cette dernière mesure a particulièrement fait mal à des entreprises espagnoles et a valu de nombreuses critiques en interne à Pedro Sanchez.
Depuis juin 2022, les exportations espagnoles vers l’Algérie ont chuté de plus de 90 %.
En chiffres, cela donne plus de 1,5 milliard d’euros de ventes perdues pour les entreprises espagnoles avec l’Algérie.
Madrid a surtout sabordé sa relation avec l’un des ses principaux fournisseurs d’énergie, de surcroît dans une conjoncture de très forte tension mondiale sur le gaz.
Le Maroc n’a pas tenu tous ses engagements envers l’Espagne
De son côté, le Maroc n’a pas honoré tous ses engagements dans le deal, hormis dans une certaine mesure, ceux concernant la lutte contre la migration clandestine.
Le revirement espagnol avait fait suite à une longue crise avec le Maroc pendant laquelle celui-ci a exercé ouvertement un chantage aux flux migratoires et fait de la surenchère sur le statut des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla.
Madrid a fini par céder le 18 mars 2022 en apportant son appui au plan d’autonomie marocain.
Les deux parties s’étaient entendues sur une quinzaine de points, mais 15 mois après, « il n’y a eu aucune avancée » sur la plupart d’entre eux, constate Ignacio Cembrero.
Le seule partie du contrat honorée par le Maroc est celle relative au contrôle des flux de migrants avec une chute des arrivées en Espagne de 51 % pendant les trois premiers mois de 2023 par rapport à la même période de 2022. La baisse est plus marquée du côté des Îles Canaries (-63 %).
Vues d’un autre angle, ces statistiques prouvent que le Maroc a bel et bien utilisé la question migratoire comme levier de pression sur l’Espagne.
Pour le reste, l’Espagne attend toujours. Cembrero cite d’abord la promesse de rouvrir les postes douaniers des enclaves de Ceuta et Melilla, qui n’est pas encore concrétisée.
L’ouverture de ces postes signifierait pour le Maroc une reconnaissance de la souveraineté espagnole sur les deux enclaves, explique l’auteur de l’article.
Sur le statut des enclaves, de très hauts responsables marocains ont continué à revendiquer publiquement leur « marocanité », comme le président du Sénat Enaam Mayara ou encore le ministre de l’Intérieur Abdelouafi Laftit.
Le 17 mai dernier, le ministre des Affaires étrangères marocain Nasser Bourita a même protesté officiellement auprès de la délégation de l’Union européenne à Rabat après des propos de la vice-présidente de la Commission européenne en charge de l’immigration, qualifiant d’espagnoles les villes de Ceuta et Melilla.
Malgré tout cela, les socialistes espagnols ont ferraillé pour protéger le Maroc, comme lorsque leurs députés se sont opposés à l’adoption d’une résolution du Parlement européen sur les droits de l’Homme au Maroc en janvier dernier.
L’indulgence du gouvernement espagnol est allée jusqu’à fermer l’œil sur l’espionnage du téléphone de Pedro Sanchez lui-même par les services marocains via le logiciel Pegasus, au moment où un tel acte a plongé les relations entre la France et le Maroc dans une grave brouille.
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