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Crise France – Algérie : Yazid Sabeg esquisse un plan en cinq piliers

Yazid Sabeg parle d’un choc civique après l’adoption d’une résolution dénonçant l’accord de 1968, et fait des propositions de sortie de crise entre l’Algérie et la France.

Crise France – Algérie : Yazid Sabeg esquisse un plan en cinq piliers
Dans cette contribution en forme d’entretien, Yazid Sabeg propose une feuille de route de sortie de crise entre l’Algérie et la France. | Source : DR
Yazid Sabeg
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Dans cette contribution en forme d’entretien, Yazid Sabeg, ancien commissaire à la diversité et à l’égalité des chances sous Nicolas Sarkozy, analyse l’adoption jeudi 30 octobre par le Parlement français d’un projet de résolution qui vise à dénoncer l’accord de 1968 ainsi que les conséquences de vote pour les ressortissants algériens et les Franco-Algériens, et propose une feuille de route de sortie de crise entre l’Algérie et la France.

À l’issue de ce vote du Parlement sur l’accord de 1968, que dites-vous aux Algériennes, Algériens et Franco-Algériens qui se sentent atteints, humiliés, mis en soupçon par ce vote ?

C’est un choc civique, il faut d’abord parler aux- à juste raison- inquiets. Je veux commencer par eux, et par la vérité nue.

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Droitement : rien n’a changé en droit. Une résolution parlementaire n’abroge pas un accord international ; elle ne commande donc aucune décision administrative.

Mais symboliquement, ce vote blesse. Il pointe des familles loyales, des étudiants brillants, des travailleurs discrets, des Français ordinaires comme s’ils étaient un problème d’ordre public. Ce n’est pas de la politique, c’est une mise à l’index.

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Or on ne gouverne pas par l’angoisse : on protège, et on répare immédiatement lorsque c’est nécessaire.

La promesse du chef de l’État et l’exigence à formuler à l’État c’est :  zéro zèle au guichet et il y en a clairement de plus en plus, zéro discrimination dans les files, zéro impunité pour les délits de haine.

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J’appelle les Algériens et les Franco-Algériens à garder la tête haute : la Nation n’est pas la clameur d’un après-midi ; elle est ce que nous faisons chaque jour ensemble.

Ce vote “dénonçant” l’accord de 1968 : qu’est-ce que cela vaut, vraiment ?

Institutionnellement, rien ; politiquement et symboliquement beaucoup trop. C’est un vote qui n’oblige rien mais qui abîme.

La majorité qui a voté ce texte le sait bien. Ce n’est pas la première fois qu’elle s’y essaye. Une telle résolution n’est qu’un vœu : elle n’entraîne ni abrogation, ni dénonciation, ni effet juridique.

Mais le signal expédié à la société est lourd : l’hémicycle s’est mué en tribune de ressentiment, et la France s’est laissée parler par la partie la plus sombre de sa politique.

Le symbole ne fait pas la loi ; il fabrique des peurs. Certains diront même que ce n’est pas la République qui a parlé ; mais sa caricature.

Pourquoi insistez-vous sur la responsabilité de l’extrême-droite et de ceux qui l’ont laissée faire ?

Parce que tout est là. L’extrême-droite est l’école de la haine. Elle a ses parrains et ses applaudissements. Elle a ses auteurs, mais elle a surtout ses facilitateurs dont les résidus de la SFIO et des membres de la majorité présidentielle et de quelques-uns qui se prétendent Gaullistes à Paris mais sont identitaires dans leur circonscription.

Ils devront, j’en suis sûr, répondre de cette honte publique. Le texte qu’ils ont approuvé procède d’une négation obstinée de l’histoire coloniale, d’une falsification des réalités administratives et d’une rhétorique ontologique de leurs échecs de désignation d’ennemi intérieur.

Qu’un vice-président RN préside la séance et vote, qu’on exulte à une voix d’écart, que des références ignobles resurgissent (“parti de l’étranger”), voilà le décor.

Mais l’ignominie n’aurait pas triomphé sans la défaillance de ces centristes de la majorité – qui se sont cyniquement abstenus – et de prétendus gaullistes ravis de servir de marchepied.

En quoi ce vote insulte-t-il l’Histoire ?

Parce qu’il trafique le passé pour justifier l’hostilité au présent et qu’on ne guérit pas une mémoire blessée en ouvrant d’autres cicatrices.

C’est un affront fait à l’histoire et au général De Gaulle dont on piétine la mémoire alors que nous devrions l’honorer. 132 ans de domination, la guerre de 1954-62, 135.000 algériens qui libérèrent la France et l’Europe. Évian pour la liberté de circulation et puis l’accord de 1968 conçu pour apaiser, organiser la circulation, sécuriser les situations humaines et économiques tissées des deux côtés.

On sait d’où viennent ces gesticulations : du refus de regarder en face l’histoire et ses tragédies, et du besoin de rejouer la séparation, éternellement. L’Histoire, la vraie, commande en revanche dignité et précision, non la revanche.

Que dit réellement l’accord de 1968, après ses avenants ?

Il n’a jamais été un passe-droit ; c’est précisément là que se loge la falsification. Dans sa version initiale et ses révisions de 1985, 1994 et 2001, l’accord de 1968 fixe un cadre de régulation -titres de séjour, certificats de résidence, situations familiales, conditions d’emploi – et rien n’y est automatique : chaque droit est instruit, contrôlé, et de plus en plus souvent disputé.

C’est ça la réalité. Cet accord est un instrument technique façonné pour gérer une réalité humaine profonde, pas une porte dérobée ; au guichet, il ressemble plus à une épreuve qu’à une faveur.

Le droit n’est jamais un totem, sinon il n’est réduit qu’à l’échelle de prétexte, c’est une mécanique pragmatique :  on l’ajuste lorsque la réalité ou la réciprocité l’exige, on ne le brise pas pour flatter une foule ni pour rejouer, à mauvais escient, la dramaturgie coloniale.

Comment cet accord s’inscrit-il dans l’histoire des frontières françaises et que révèle la séquence présente ?

En 1968, de Gaulle organise les frontières ; depuis, le mouvement est au durcissement, surtout pour les Algériens : 1974, fermeture de l’immigration de travail par Giscard D’Estaing; 1986, visa obligatoire et queues interminables – qui n’ont jamais vraiment cessé depuis ; 1993, restrictions supplémentaires pour les étudiants étrangers qui frappent particulièrement les Algériens ; durant la décennie noire, des amis ont peiné à venir en France – jamais les frontières n’ont été « ouvertes ».

Parler de traitement de faveur relève donc de la fable, et le débat actuel n’est qu’un coup politique sans issue, qui insulte l’histoire, attise la défiance et empêche la diplomatie de régler sérieusement les dossiers concrets : délais opposables, réadmissions dignes, passerelles post-études, circulation normale entre les deux pays.

Et il y en a bien d’autres aussi critiques qui attendent des solutions.

Pire, cette gesticulation symbolique entrave même les efforts pour libérer Boualem Sansal et le journaliste Christophe Gleize; or la seule voie responsable est celle d’un apaisement opérationnel, de décisions datées, de guichets qui fonctionnent et du respect dû à des vies que l’on ne devrait jamais instrumentaliser

Qui paie le prix, très concrètement ?

Ce sont d’abord des victimes invisibles : les files qui démarrent à l’aube, les refus et les atermoiements, des vies en suspens.

Ce sont des femmes qu’on renvoie à des textes qui ne les protègent pas assez, des étudiants bridés par des plafonds d’heures absurdes, des familles prises dans des délais et des procédures kafkaïens, des salariés qu’un changement d’employeur replonge dans l’incertitude, des préfectures qui appliquent inégalement la règle.

Derrière chaque slogan, il y a des mois perdus, des états dépressifs, des carrières cassées. Et, déjà, se forment les files de peur : “Est-ce qu’on va nous faire payer ce vote ?” La politique a-t-elle le droit d’ajouter de la douleur à la vie ordinaire ?

On brandit un coût budgétaire pour justifier la rupture…

Les chiffres sont généralement faux, il en va ainsi des fameux 2 milliards d’euros. Un État adulte ne gouverne pas à coups de totems statistiques.

On mélange coûts bruts et contributions nettes (travail, cotisations, consommation, entrepreneuriat).

On oublie la création de valeur matérielle et immatérielle, et l’intérêt stratégique d’une mobilité régulée.

On ne peut que souhaiter un audit indépendant qui tarde, complet qui serve de base objective de négociation et non de brûlot politique, un audit qui soit opposable aux additions militantes et aux fakes émise par des officines qui ne sont que des calculs de buvette – malheureusement non démentis par la parole publique qui tolère ces parasites idéologiques bien commodes – et peuvent séduire tel ou tel organe de presse ou média, il ne fonde jamais une doctrine mais comme on le voit aujourd’hui la subversion politique.

Que répondez-vous aux parlementaires qui ont permis l’adoption de cette motion, par vote ou par abstention ?

L’extrême-droite et une partie conséquente de la droite républicaine n’en ont hélas pas fini avec la Guerre d’Algérie.

Ces centristes flottants et de faux gaullistes ont déserté l’héritage du Général de Gaulle tout entier dans le Traité d’Evian.

Ils sont suivistes et convaincus de l’intérêt tactique et idéologique de s’adresser aux « électeurs de droite« , ils ont choisi la commodité contre l’honneur.

S’abstenir, ici, c’est approuver par procuration. Le “gaullisme” ne consiste pas à emboîter le pas aux identitaires quand le vent se lève ; il consiste à tenir la ligne républicaine quand elle coûte.

Les citoyens doivent pour le moins exiger des Parlementaires une règle interne de présence et de vote sur tout texte touchant aux engagements internationaux.

Encore une fois, la République n’a pas besoin de figurants elle a besoin de responsables.

Alger, vous dites, devrait maintenant apaiser aussi par des actes, pas par des communiqués vengeurs à des provocations humiliantes : que doit faire le gouvernement algérien pour rassurer son opinion et la nôtre ?

Rassurer, c’est produire des résultats visibles. Il faut d’abord remettre les consulats en régime de preuve : convocations horodatées, information en ligne des files et des créneaux, traitement prioritaire des situations familiales, étudiantes et humanitaires, et publication mensuelle d’indicateurs vérifiables — délais moyens et médians, taux de refus motivés, stock des dossiers au-delà de trente jours.

Fixons une trajectoire publique : réduire les délais d’au moins 30 % en soixante jours, 50 % en quatre-vingt-dix, avec un médiateur opérationnel saisissable par l’usager lorsque l’horloge administrative déraille. La confiance se reconquiert par la prévisibilité, pas par la déclamation.

Comment rendre la réadmission prévisible et digne, sans se renier ni humilier ?

C’est simple : en rendant la fermeté traçable. Les listes doivent être contradictoires et consignées, le calendrier mensuel connu d’avance, chaque transfert journalisé, chaque incident consigné, avec un droit d’appel effectif et des garanties intangibles : pas de refoulement nocturne, pas de mineurs, pas d’atteinte aux personnes.

Un audit conjoint trimestriel, publié, vient attester des engagements tenus ; à défaut, la clause de revoyure s’active et l’on corrige sans délai.

Ainsi, la règle cesse d’être soupçonnée d’arbitraire et redevient un cadre acceptable pour les administrations comme pour les familles.

Quel geste symbolique et structurant peut tourner la page et rouvrir la circulation des esprits et des personnes ?

Un acte de grandeur serait indéniablement de gracier et libérer Boualem Sansal et le journaliste.

Rétablir un fonctionnement normal des conditions de circulation pour les ressortissants des deux pays, en clair les visas.

Ensuite obtenir de la France des actes positifs faciles : donner de l’oxygène aux trajectoires des jeunes par un visa « talent junior » de 24 mois, adossé à des binômes universités-entreprises et à un guichet unique pour diplômes, stages, premier emploi.

Parallèlement mettre en session continue un comité technique mixte Justice-Intérieur chargé de désenchevêtrer les irritants – état civil, entraide judiciaire, cas complexes, OQTF- et publier chaque trimestre un tableau de bord commun.

On n’apaisera durablement que par ce faisceau de preuves : des guichets qui débloquent, des portes qui s’ouvrent, des vies qui avancent. Après ça on peut discuter du dur – et il y en a – sans vexations, tensions ou humiliations.

Vous proposez une méthode “non frictionnelle”. Concrètement ?

C’est simple, rationnel et dépassionné. Cinq piliers : silence opérationnel (on travaille, on ne sur-communique pas), formats courts (groupes compétents et mandatés), données partagées (tableaux de bord communs), décisions datées, communication sobre (résultats, pas slogans).

Trois indicateurs à six mois : –30 % sur les délais visas/titres ; baisse nette des contentieux ; doublement des mobilités académiques/scientifiques.

Si ces chiffres ne bougent pas, c’est que la méthode est mauvaise alors il faut certainement la corriger d’un commun accord.

Sans méthode, dates, ni métriques, l’apaisement et la confiance resteront des vœux pieux.

Votre message, en conclusion, aux dirigeants des deux rives et aux citoyens ?

Ce qui vient de se produire au Parlement français n’est ni la cause ni la conséquence de la dégradation des relations franco-algériennes.

Celles-ci se dégradent continûment et ont été manifestement très altérées par de récents désaccords diplomatiques.

La crise récente qui a en apparence été déclenchée par le ministre de l’Intérieur (Bruno Retailleau) ressortit n’a été en fait qu’une des péripéties de cette conjoncture défavorable qui est nourrie par de vrais désaccords et certainement de lourdes incompréhensions.

C’est le vrai sujet. Le changement gouvernemental est un événement qui a donc son importance mais il est selon moi indéniable que les dirigeants des deux pays ont depuis un certain temps déjà suffisamment de raisons pour déterminer un « Cap » praticable dans leur intérêt immédiat qui est d’éviter leur isolement respectif.

Il est indispensable donc qu’ils sortent de la fâcherie égotique et du « bras de fer » dans lequel on a voulu les installer.

Ils doivent retrouver de la sérénité et la tenue d’État. Paris doit rétablir la liberté de circulation, recadrer, négocier. Alger doit à son tour apaiser, opérationnaliser, libérer Sansal et Gleize.

Les citoyens ne doivent pas laisser quiconque confisquer leur histoire ni voler leur dignité.

L’Algérie et la France contrairement à la dramaturgie que cherchent à installer de nombreux milieux hostiles ne sont pas deux peuples étrangers.

Ils ont deux histoires enchevêtrées par des liens affectifs parfois douloureux, le travail, les mariages, les deuils, les victoires, les livres.

Le Traité d’Evian est la fondation des relations entre les deux États. L’accord de 1968 n’est qu’une mise à jour d’opportunité à l’initiative de la France et pas un trophée à brandir ni un chiffon à déchirer.

C’est le Traité d’Evian fondateur qu’il faut mettre à jour – et pas seulement son volet migratoire qu’il faut mettre à jour avec lucidité, objectivité, sang-froid, justice et respect.

Le courage politique, c’est une horloge : des dates, des actes, des comptes rendus transparents et plus d’excuses.


Yazid Sabeg est ancien commissaire à la diversité et à l’égalité des chances


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