Le récent salon international de la datte d’Alger a été l’occasion d’exposer au public l’extraordinaire variété des dattes existantes en Algérie. À ce jour, des centaines de cultivars ont été répertoriés.
Des cultivars intéressants pour la qualité des dattes produites mais également pour leur résistance au sel ou aux parasites. Une richesse génétique qui se perd à cause de la prédominance de la variété Deglet Nour.
Les chercheurs de l’Institut national de la recherche agronomique d’Algérie (INRAA) annoncent avoir dénombré plus de 1.000 variétés de dattes.
Selon Abdelkader Alam de la station de Sidi Mahdi (Touggourt), il a été recensé 175 cultivars dans la région d’Oued Righ (Touggourt-Djamaa-El Meghaïer), 72 à Oued Souf, 114 dans la région de Ghardaïa (Ghardaïa-Beriane-El Guerrara-Ménea), et 405 autres le Touat, Gourara et Tidikelt.
Pour Abdelkader Laaboudi de la station d’Adrar, « en plus de ces variétés, un nombre important de palmiers demeure sans nom, des dattiers dont l’apparition provient d’un croisement aléatoire».
Appelées Khalt, ces cultivars sont des pieds francs issus de graines qui, selon ce chercheur, « représentent une source appréciable pour de nouvelles sélections de cultivars pour leur datte et pour leur résistance au bayoud. »
Le bayoud, une infestation des palmiers par un champignon microscopique qui s’attaque aux palmeraies algériennes.
Cette diversité variétale permet de satisfaire tout type de consommateurs. En Algérie, la variété Deglet Nour reste la plus cultivée et la plus largement exportée.
Les dattes de type Ghars autrefois conservées dans des outres en peau de chèvre ont de nombreuses utilisations notamment dans la pâtisserie traditionnelle. Dans certaines oasis, les aînés racontent que durant les années 1940, s’ils ont pu tenir malgré la disette, c’est bien grâce à ce type de dattes. Pour l’agronome Georges Toutain : « La datte est I’anti-famine des années agricoles mauvaises ».
À l’opposé des dattes moles, les dattes sèches telles les variétés Aadam Tilmessou, Baouarif, Aadam Leklila, Temlalet, Temqour, Aadam Sti ou Ouksir Titassou, présentent une bonne tenue à la conservation et font l’objet d’intenses échanges avec les pays du Sahel.
Dattes algériennes : une extraordinaire diversité génétique
Dès 2007, co-auteur d’une étude, Said Acourene alertait sur le risque d’érosion génétique. Les spécialistes de l’INRAA ont patiemment recensé la diversité des palmeraies en Algérie.
L’existence d’un tel patrimoine génétique est à rechercher dans la biologie du palmier et des traditions agricoles des oasis. L’existence de palmiers femelles et de palmiers mâles favorise les croisements et ce d’autant plus qu’avec 36 chromosomes, les combinaisons génétiques sont alors démultipliées.
Autre particularité, les jeunes palmiers produisent de nombreux rejets à la base du pied principal. De tout temps dans les oasis, les agriculteurs ont utilisé ces rejets en les prélevant sur les palmiers qu’ils jugeaient les plus intéressants.
Comme l’indiquent Saïd Acourene et ses collègues, les agriculteurs ont joué le rôle de sélectionneurs : « la création de cultivars remonteraient très loin dans le temps, lorsque l’isolement des oasis empêchait les échanges de variétés. Les meilleurs palmiers qui apparaissaient dans chacune des oasis ont été ensuite sélectionnés et multipliés. »
Comme dans le cas de la clémentine au sein des agrumes, les agriculteurs ont donc sélectionné un grand nombre de clones avec des caractères différents.
Cette sélection s’est également déroulée dans la plupart des pays producteurs de dattes. Il existe ainsi plus de 500 cultivars en Irak, 400 en Iran, 300 en Libye, 200 au Maroc et près de 250 en Tunisie.
Des générations d’agriculteurs Palestiniens sont à l’origine de la variété Medjool sélectionnée dans la région d’Ariha. L’altitude y est de 270 mètres sous le niveau de la mer aussi existe un plus fort taux d’oxygène qui donne sa saveur et sa couleur unique au fruit.
La Deglet Nour à l’origine de l’érosion génétique
Mais cette diversité constitue également un véritable casse-tête pour les responsables de la banque nationale de gènes. La cause ? Une richesse génétique locale qui se présente sous deux formes selon l’INRAA : des millions de palmiers dattiers hybrides provenant de semis de graines et d’autres résultants du patient travail des agriculteurs à travers la plantation de rejets.
Un type de sélection végétative certes mais qui présente un inconvénient. Lorsqu’on sème un noyau issu de ces clones aux caractéristiques exceptionnelles, on obtient un plant différent du plant mère.
Aussi, dans ses collections, comme l’ont toujours fait les agriculteurs, l’INRAA replante des représentants des clones les plus caractéristiques tandis qu’en laboratoire des chercheurs se tournent vers la culture in vitro.
La loi relative à l’accession à la propriété foncière agricole (APFA) et le Plan national de développement agricole (PNDA) se sont traduits par un regain de plantation de palmiers d’autant plus que les aides à l’exportation constituent un puissant encouragement aux investisseurs dans ce domaine.
Cependant, les nouvelles plantations ne concernent que huit à douze types de cultivars. Pour Said Acourene, cette spécialisation à outrance dictée par des impératifs commerciaux serait à l’origine d’une « énorme perte de gènes ».
C’est le cas à Oued Righ et Oued Souf où déjà il y a une quinzaine d’années, 40 à 90% des cultivars de terroir sont menacés de disparition, dont Deglet-Khlif, Wabilli, Megresse, DegletLahrir, Degla-Elassala, Deglet-Zag, BaaratEl-Jahch, Ba’hmada, Moukh-Laadham, Tmouzit, Dguel-Bahlal, Sbaa-Badraa, Oumma-Aicha, Dguel-Bouh-Bouh, DguelHida à Oued-Righ, et dont Tamarjort, Fezzani, Taferzait, Missouhi, El-Gosbi, Chettaya, Gattara, Bezzoul-El-Khadem à Oued-Souf. Le plus souvent, dans les anciennes palmeraies ne restent plus que des sujets âgés qui ne donnent plus de rejets.
En comparant de précédents inventaires avec de plus récents Said Acourene alerte : « plus de 9 cultivars recensés à Oued Righ et plus de 7 cultivars recensés à Oued-Souf ont disparu. »
Les anciens cultivars arrachés
Il explique que souvent des cultivars « sont arrachés par les agriculteurs au profit de Deglet-Nour, Ghars et Degla-Beida. » Le commerce des dattes est aujourd’hui devenu un enjeu économique. En 2021, les exportations algériennes de dattes ont atteint 75 millions dollars.
La Deglet Nour est la variété la plus utilisée et elle agit comme un véritable rouleau compresseur par rapport aux autres variétés de dattes algériennes.
À la mi-novembre, à l’occasion du Salon international des dattes d’Alger, Abdelhafid Henni, alors ministre de l’Agriculture et du Développement rural – il a été limogé mardi 28 novembre – a annoncé la plantation d’un million de palmiers supplémentaires en Algérie.
Outre les dattes connues par les consommateurs, le ministre a indiqué que les « autres variétés seront vulgarisées, étant donné que 1.000 variétés sont recensées en Algérie, et ce en vue de diversifier l’offre au niveau du marché local et étranger », a dit M. Henni, selon l’agence APS.
L’enjeu est de taille car au-delà de la forme, du goût ou de la précocité, de nombreux cultivars présentent une caractéristique fondamentale : la résistance aux attaques de parasites. C’est le cas de la variété Takerboucht résistante au bayoud.
Pour tenter d’enrayer l’érosion génétique en cours, les services agricoles tentent d’identifier génétiquement les différents types de cultivars et de les introduire dans la collection des stations de recherche. À raison d’un millier de cultivars, la tâche est immense. Il en va du devenir de la filière des dattes en Algérie.