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De l’oignon à plus de 300 DA le kilo en Algérie : à qui la faute ?

De l’oignon à plus de 300 DA le kilo en Algérie : à qui la faute ?

À peine sortis du cauchemar de la viande rouge à 2.500 DA/kg les consommateurs algériens se voient plongés dans celui de l’oignon à 320 DA le kilo. C’est le prix qu’il a atteint ce mardi à Alger.

Il y a moins d’un mois, ce bulbe se vendait à 140 dinars le kilo à Alger.

Quand ce n’est pas la viande, la pomme de terre, la semoule ou l’huile qui est en tension en Algérie, c’est l’oignon comme en ce mois de ramadan 2023. À chaque fois un incendie que tentent de contenir les pouvoirs publics. Dans le cas de l’oignon, à qui la faute ?

Là où le bât blesse, c’est que les crises concernant l’oignon sont récurrentes. Au début des années 1970, le quotidien régional de l’est algérien An Nasr avait eu l’occasion de faire sa Une sur un individu qualifié de « Roi de l’oignon » ainsi désigné pour avoir stocké de grandes quantités du précieux bulbe.

Hausse des prix de l’oignon : « On vous avait prévenu »

Les agriculteurs sont-ils coupables ? L’année passée, ils ont produit de l’oignon à ne plus savoir quoi en faire.

Que ce soit à Rechaïga (Tiaret), Saïda, Mascara ou El-Oued la récolte d’oignon était si importante qu’il n’y avait pas preneur. Le marché était saturé.

Déjà, lors d’un précédent cycle de surproduction, désespéré de ne pas trouver de chambre froide pour sa récolte, un agriculteur avait prévenu : « Si on laisse tomber le prix du kilo d’oignon à 10 DA, cela annonce pour l’année prochaine un oignon à 100 DA ».

En 2021, des producteurs d’oignon d’El-Oued réunis en assemblée générale au sein de la Chambre d’agriculture locale avaient demandé l’ouverture des opérations de stockage en mobilisant le dispositif du Système de régulation des produits de large consommation (Syrpalac). À cette fin, ils avaient mandaté leur représentant afin qu’il alerte le ministère de tutelle.

Mais, comme le font actuellement bon nombre d’agriculteurs en Algérie, faut-il s’arrêter à l’acte de produire et se désintéresser de la commercialisation pour après se lamenter du manque d’acheteurs ?

Face aux moyens de tri et de stockage que demande la conservation des oignons, seul un investissement sous forme d’un groupement économique à plusieurs exploitants permet d’investir.

Mais, « comment voulez-vous que les agriculteurs adoptent des techniques modernes demandant des investissements sur le moyen terme quand leur bail de location (de la terre) n’excède pas trois ans dans le meilleur des cas », interroge un technicien de terrain de la wilaya de Tarf ?

Doublement des capacités de stockage

Quelle part de responsabilité pour les services agricoles ? Auraient-ils pu anticiper la question du risque de surproduction et de l’insuffisance des moyens de stockage de l’oignon ?

Dans le cas de la wilaya d’El-Oued où les possibilités de stockage de l’oignon en plein air sont plus limitées en raison des fortes chaleurs, aurait-il été possible de proposer aux agriculteurs de s’orienter vers d’autres cultures ?

Il est bien loin le temps où, en l’absence de chambres froides, les producteurs de pomme de terre de Mascara stockaient leur récolte de pomme de terre à l’ombre des arbres.

Une situation qui, lors d’une récolte record, avait amené le président Houari Boumédiène à intervenir lui-même. Lors d’une réunion avec les walis et les membres du gouvernement, du haut de la tribune du Palais des Nations, il avait demandé à chaque wali quel tonnage de tubercules pouvaient-ils promettre de ramener dans leur wilaya. Et comme dans une vente aux enchères, les walis s’étaient engagés à tour de rôle.

Crise de l’oignon : chambre d’agriculture, coupables ?

Quelle part de responsabilité revient aux Chambres d’agriculture dans la crise de l’oignon qui sévit actuellement en Algérie ? Progressivement, les Chambres et les Conseils de filière apparaissent comme les interlocuteurs des services agricoles. Ils portent la voix des agriculteurs et dans de nombreux cas n’hésitent pas à faire usage de leur rôle de porte-parole.

Au-delà de leur rôle de courroie de transmission entre agriculteurs et administration, ces organisations professionnelles agricoles ont pour mission la vulgarisation des techniques agricoles les plus performantes. Ainsi, cet hiver, les Chambres d’agriculture d’El-Oued et de Ghardaïa ont organisé des voyages d’études entre ces 2 wilayas respectives.

Concernant cette crise, ont-elles failli quant à leur rôle de formation des agriculteurs ? Il revient dans leurs missions d’étudier les moyens d’amélioration du stockage des oignons en plein air.

En effet, si ce mode de conservation est moins efficace qu’en chambre froide, il n’en demeure pas moins qu’il permet une conservation de 2 à 8 mois avec un taux de pertes variant de 10 à 50 %.

Cette différence entre taux de perte indique une efficacité variable selon la façon de procéder entre agriculteurs. Il y a donc un savoir-faire paysan à approfondir. Un savoir qui mérite étude et approfondissement avec intervention de chercheurs des universités.

Hausse des prix de l’oignon : la faute aux spéculateurs ?

Les spéculateurs sont souvent montrés du doigt dans les pénuries et les hausses des prix des produits agricoles.

À plusieurs reprises, l’agro-économiste Slimane Bédrani a mis en garde contre la confusion entre spéculateurs et intermédiaires. En mai 2021, il avait réagi aux propos du directeur de la régulation et de l’organisation des marchés au ministère du Commerce. Celui-ci déclarait alors avoir découvert « une nouvelle forme de spéculation » sur la pomme de terre.

Le procédé consistait à laisser la pomme de terre prête à récolter dans le sol. L’économiste s’était élevé contre l’accusation de « spéculateur » contre les agriculteurs qui pratiquaient cette forme de stockage.

L’économiste avait alors détaillé son analyse : « Ne voit-il pas que l’agriculteur fait preuve d’une bonne gestion de son exploitation en retardant le moment de la récolte pour bénéficier de prix plus intéressants, prix qui lui permettront d’améliorer sa consommation mais aussi d’investir pour améliorer sa productivité ? S’il vend sa production dès qu’elle est prête (au temps T), il satisfait le consommateur de ce moment T, mais soit il gagne moins, soit il perd de l’argent. S’il retarde sa récolte au moment T+x, il gagne plus d’argent mais il satisfait le consommateur du moment T+x ».

Slimane Bedrani concluait : « Ce dernier n’aurait pas trouvé de produits si l’agriculteur n’avait pas « spéculé » ou l’aurait trouvé à un prix encore plus élevé ».

Quelle marge pour chaque opérateur ?

Entre agriculteurs, collecteurs et stockeurs, la question semble être le niveau de marge bénéficiaire de chacun. À leur décharge, les mandataires déclarent ne pas disposer de factures, les agriculteurs refusant de leur délivrer. Ce qu’ils refusent à leur tour aux détaillants.

Il est arrivé qu’en 2022 les services de police verbalisent un collecteur de la wilaya de M’Sila ayant entreposé des oignons. Les agents avaient été vus enquêtant autour de tas d’oignons disposés en plein air et protégés par une bâche plastique.

Le collecteur agissait-il dans le cadre d’une activité officiellement déclarée ? Fallait-il montrer à la vindicte populaire ce type d’agissement ou encadrer ce type d’activité afin de concourir au stockage des oignons et de l’amélioration des procédés les plus rudimentaires ?

L’oignon, symptôme de nouveaux défis

En attendant le développement des capacités de stockage annoncé récemment par le Premier ministre, faudra-t-il passer par une politique de quotas comme cela a longtemps été le cas en Europe lorsque les ministres de l’Agriculture se réunissaient pour venir à bout de « montagnes de beurre » en stock dans les chambres froides de la Communauté Economique Européenne (CEE) de l’époque.

Faudra-t-il demander à chaque producteur de ne planter qu’une surface déterminée selon un programme national décliné au niveau des wilayas et orienter vers d’autres cultures les agriculteurs désireux de produire de l’oignon, comme cela a été fait en Europe durant de nombreuses années avec l’instauration de quotas liés à la culture de betteraves à sucre ou pour la production de lait ?

Voire même d’inclure dans le cahier des charges les capacités de stockage dont dispose tout éventuel prétendant à la culture de l’oignon avant toute attribution de prêts, d’engrais ou d’autorisation de forage dépendant de la puissance publique ?

Aujourd’hui, avant toute importation, les services du ministère du Commerce demandent aux importateurs potentiels leurs moyens de stockage.

L’oignon est victime de son succès. L’occasion pour le Conseil national interprofessionnel des cultures maraîchères et pour les Chambres d’Agriculture des wilayas concernées de montrer leur capacité d’action et de proposition au ministère de tutelle. Un ministère qui devra montrer sa capacité de dialogue et sa feuille de route face à un problème récurrent.

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