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Députés et sénateurs : « Touche pas à ma poche ! »

Députés et sénateurs : « Touche pas à ma poche ! »

(Anis Belghoul / PPAgency
Photo prise à Alger, le 03 septembre 2018, lors de l'ouverture de la session 2018/2019 du Conseil de la Nation

Ce qui s’est passé, ce lundi 3 septembre 2018, au Conseil de la Nation, la chambre haute du Parlement algérien, restera sans doute dans les annales. Des sénateurs RND ont boycotté la cérémonie d’ouverture de la session d’automne du Parlement pour protester contre l’arrestation par les services de sécurité d’un des leurs, pris la main dans le sac dans une affaire de corruption.

Le principe de l’immunité parlementaire que les sénateurs prétendent défendre n’a pas lieu d’être invoqué puisque le mis en cause a été pris en flagrant délit, une situation pour laquelle la Constitution, dans son article 128, prévoit la mise aux arrêts immédiate de l’élu incriminé, qui ne peut être remis en liberté qu’à la demande expresse du bureau de la chambre à laquelle il appartient.

Quoi qu’il en soit, on retient que des parlementaires ont enfin osé dire « non ! ». Le fait est assez rare pour passer inaperçu. Rare, mais pas unique, puisque ce n’est pas la première fois que les « élus du peuple » adoptent une posture autre que celle qu’on leur connaît et qui consiste à lever la main, dans un geste machinal, en guise d’acquiescement devant tout ce qu’entreprend l’Exécutif, pour lequel ils sont pourtant censés constituer une sorte de contre-pouvoir.

La tâche n’est pas aisée, mais on retrouve tout de même un épisode où ils ont tenu à dire leur mot. C’était en 1997, lorsque le Parlement nouvellement « élu » sur fond de forts soupçons de fraude (au profit du RND justement), était appelé à examiner un texte émanant du gouvernement et définissant le statut du député. Les « élus » avaient rejeté la première mouture du texte, jugeant insuffisante la rémunération qui leur était proposée, pourtant largement supérieure au niveau général des salaires de l’époque. Ils ne l’avaient adopté qu’après avoir obtenu ce qu’ils voulaient (on parlait de huit millions de centimes mensuels et de nombreux avantages, alors que le Smig était d’à peine 4800 DA). C’était l’une des rares fois où ils ont rechigné et réellement exercé leur rôle de contre-pouvoir.

Pour le reste, ils ont toujours ou presque dit oui, si l’on excepte des articles de lois de finances qui ont « sauté » peut-être sous la pression de puissants lobbies ou corporations, comme celui qui visait à plafonner les honoraires des notaires dans le PLF 2017. Les élus de la Nation ont donc laissé passer les lois les plus impopulaires, les plus controversées. Les lois de finances passent comme une lettre à la poste, avec les augmentations qu’elles prévoient, les taxes qu’elles instituent et le Parlement avec ses deux chambres est confiné au rôle de chambre d’enregistrement.

L’histoire retiendra que l’APN et le Sénat ont adopté sans réserves deux moutures aux antipodes l’une de l’autre de la loi sur les hydrocarbures. Elle retiendra surtout que députés et sénateurs se sont substitués au peuple et donné leur quitus à la levée du verrou de la limitation du nombre de mandats présidentiels, sacrifiant l’une des rares avancées démocratiques du pays. C’était en novembre 2008, soit deux mois après s’être taillé un salaire sur mesure, 270 000 Da nets mensuels (27 millions de centimes) avec effet rétroactif à partir du 1er janvier de la même année, en plus des inévitables avantages. Encore une histoire de pognon, d’intérêts. D’aucuns y avaient vu le fruit d’un arrangement avec le pouvoir exécutif. On n’en sait rien, mais toutes les conjectures sont légitimes devant une telle coïncidence.

Et quid des commissions d’enquête parlementaires ? Autant dire qu’elles n’auront servi à rien puisque leurs résultats, si tant est qu’elles en ont eu, n’ont jamais été rendus publics. Les Algériens en sont arrivés à s’interroger sur l’utilité du Parlement, notamment cette chambre haute.

Institué par la Constitution de 1996, le Conseil de la Nation est composé de 144 membres dont un tiers (48) est désigné par le président de la République, un quota que les politologues appellent le « tiers bloquant », destiné à faire barrage aux lois qui pourraient être votées par une APN éventuellement dominée par l’opposition. Or, après plus de vingt ans et cinq législatures, une telle situation ne s’est jamais posée. Les deux chambres, dominées par les principaux partis proches du pouvoir, votent loi après loi, presque sans débat, dans une monotonie qui a fini par lasser même leurs membres qui s’illustrent par un absentéisme effarant aux plénières. Tiens, on a failli l’oublier cet autre haut fait d’armes des « élus du peuple » : c’était en mai dernier quand ils avaient rejeté presque à l’unanimité une disposition du règlement intérieur de l’APN qui prévoyait des sanctions à l’encontre des députés en cas d’absence. Des sanctions bien entendu…financières !

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