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Des experts s’alarment d’un risque de « faillite économique », préconisent des mesures d’urgence

Des experts s’alarment d’un risque de « faillite économique », préconisent des mesures d’urgence

Les propositions pour la construction des fondations politiques d’une nouvelle République se sont multipliées au cours de ces dernières semaines. Celles qui concernent sa refondation économique ont été un peu plus tardives mais elles commencent à faire leur apparition dans le débat public grâce à de nombreuses contributions de spécialistes qui ne cachent pas que la situation économique et financière de notre pays est peu reluisante.

C’est dans cet esprit que le collectif Nabni avertissait ces derniers jours : « penser que la transition politique ne peut pas se faire indépendamment de la situation économique inquiétante qui nous menace. Une faillite économique aurait des conséquences désastreuses sur le cours de la transition démocratique ».

Dans des termes très proches, Alexandre Kateb estimait dans une contribution publiée par TSA que « la refondation politique et institutionnelle doit être accompagnée d’une refondation économique pour sortir d’une situation de crise multidimensionnelle ».

Un risque de « faillite économique »

Le diagnostic des experts sur notre situation économique est généralement partagé et il n’est pas très réjouissant. Dans la première d’une série de contributions annoncées pour les prochaines semaines, le collectif Nabni enfonce le clou. Il considère qu’il « se doit d’alerter l’opinion publique sur le risque de faillite vers lequel pays se dirige à grands pas ».

Pour Nabni, « depuis la chute du prix du baril de l’été 2014, les autorités ont choisi de ne mener aucune réforme et de financer les déficits abyssaux en empruntant sans limite à la Banque d’Algérie. Cette politique, dans un contexte où le gouvernement ne fait face à aucun contre-pouvoir de surveillance et de contrôle, et où il agit dans l’opacité totale en empruntant à une Banque centrale à l’indépendance confisquée, fut sans aucun doute la décision la plus irresponsable de la décennie ».

Dans le même registre, un expert comme Nacer Bourenane estime que « la situation financière du pays est sérieuse. La gestion des ressources encore disponibles est inquiétante. Le désastre peut encore être évité si des mesures conservatoires sont prises et s’il y a la mise en œuvre de solutions alternatives à celles qui ont été choisies sur la période récente ». M. Bourenane ajoute : « Il n’est pas impossible que les chiffres officiels sur l’évolution du taux d’inflation, de la fiscalité non pétrolière, sur l’évolution du PIB et de sa structure, etc… ne cachent une réalité encore plus dure ».

Alexandre Kateb souligne également « les dangers associés à la planche à billets, dont le moindre n’est pas la déplétion accélérée des réserves de change du pays et la prévalence d’un confort illusoire à court terme, aux effets délétères à moyen et long terme, tandis que « les propositions de réformes structurelles se sont quant à elles dissipées dans les méandres de l’inertie administrative ».

Nabni tente néanmoins de tempérer ces diagnostics aux couleurs très sombres en annonçant qu’ « une fois ces alertes lancées, il est aussi important de souligner que la perspective d’une transition démocratique réussie, de la mise en place d’un Etat de droit et d’une gouvernance améliorée, augure d’un potentiel économique énorme qui serait libéré. Ce potentiel pourra enfin s’exprimer quand les contraintes de gouvernance, de monopoles et de prédation de l’économie rentière seront levées ».

Menaces sur la valeur du dinar

Le constat des experts algériens ne cherche pas non plus à dissimuler que la période à venir risque d’être compliquée avec un dinar qui sera en première ligne.

Nabni annonce carrément que « le rythme insensé d’impression monétaire est un leg empoisonné qui forcera inévitablement le prochain gouvernement démocratiquement élu à dévaluer le dinar ».

Le collectif d’experts algériens pronostique que « sans correction immédiate, le recours au FMI s’imposera inévitablement aux gouvernements futurs qui hériteront d’une décennie d’indécision et de fuite en avant ». Ils ajoutent : « Il faut nous préparer à retrousser nos manches, relancer l’économie sur de nouvelles bases et accepter le prix à payer et les efforts à faire à court terme, avant que la situation ne s’améliore ».

Même analyse chez Nacer Bourenane qui estime que « si des mesures rapides ne sont pas prises, on sera obligé de procéder à une dévaluation importante du Dinar. Pour l’expert algérien, Il en résultera un double effet : « En premier lieu une perte de valeur de l’épargne intérieure. En second lieu une réduction du pouvoir d’achat des franges les plus pauvres et les plus exposées de la population, y compris les catégories moyennes composées pour une large partie des salariés du secteur public. Des troubles sociaux seront inévitables et décourageront à leur tour l’investissement, à la fois national et étranger ».

Exigence de transparence immédiate

Pour beaucoup d’experts algériens la situation actuelle est marquée du sceau de l’urgence et nécessite l’adoption de mesures immédiates.

Nabni plaide en faveur de l’adoption de mesures à très court terme en estimant que « la menace d’une recrudescence des actes de prédation est réelle, particulièrement dans le contexte actuel de changement attendu du personnel politique et de remise en cause de relations rentières dont bénéficient certains acteurs privés avec l’Etat ».

Le collectif d’économistes algériens encourage ainsi la société civile à « exiger expressément des comptes et de la transparence aux pouvoirs publics ». Nabni appelle en particulier à « la transparence immédiate et continue sur les opérations du Trésor, sur les réserves de change, opérations d’importation et les comptes et déficits publics ».

Ce résultat pourrait être obtenu notamment à travers la « publication d’un état hebdomadaire des réserves de changes et des engagements de la Banque d’Algérie en matière d’importations », ainsi que « la publication d’un état hebdomadaire des opérations d’importation couvertes par la Banque d’Algérie avec les montants et les biens et services concernés ».

Les solutions préconisées par Nacer Bourenane sont nettement plus radicales. Selon lui, « il est urgent de remplacer l’équipe aux commandes de la gestion économique et financière immédiatement et de ne pas trop attendre. Cela évitera toute fuite en avant et surtout la fuite de capitaux caractéristique des situations révolutionnaires comme celle que vit le pays ».

Pour l’expert algérien, « la première mesure à prendre est de rétablir l’indépendance de la Banque centrale et de procéder au remplacement de sa direction actuelle. Une telle mesure aura un double impact. D’une part éviter tout transfert massif de devises, en période d’incertitude, par des membres du Pouvoir en fin de parcours. D’autre part envoyer un signal fort aux futurs investisseurs étrangers ».

La dette extérieure plutôt que la planche à billets

Pour les années à venir tout le monde s’accorde à dire que les « défis sont immenses ». Parmi ces derniers la question du recours à l’endettement extérieur et de la « redéfinition de la souveraineté nationale » se taille déjà une bonne place.

Pour Alexandre Kateb, « le recours à l’endettement extérieur public et privé ne doit plus constituer un tabou. Les réserves de change de l’Algérie se sont rétrécies comme une peau de chagrin depuis 2014. Les prévisions les plus optimistes tablent sur des réserves qui couvriront moins de six mois d’importations en 2021. Le recours à un endettement extérieur ciblé semble de ce fait inévitable et pourrait alléger les contraintes pesant sur ces réserves. Il est évident qu’un recours à la dette extérieure pour financer la consommation privée des ménages n’est pas viable ».

Selon le professeur à Sciences Po, « ce qui compte c’est d’orienter la dette extérieure vers des projets d’investissement présentant un rendement avéré – sous le contrôle du Parlement et d’instances telles que la Cour des Comptes. Ce débat doit être conduit dans la sérénité mais le statu quo en la matière est intenable ».

Nacer Bourenane estime de son côté qu’« il est impératif de penser aux solutions alternatives au financement conventionnel. Même si le recours à la planche à billets venait à s’arrêter, il est aisé de voir dans quel laps de temps l’Algérie devra se tourner vers les marchés financiers pour lever des fonds, non pas pour l’investissement mais juste pour maintenir son niveau de consommation et négocier la stabilisation des mouvements de revendication sociale ».

Pour l’économiste algérien, « cette perspective appelle à se départir urgemment du souverainisme de façade défendu par le Pouvoir en place et à anticiper ce processus, par une stratégie ciblée d’endettement intérieur et extérieur ».

M. Bourenane considère qu’« une piste est à privilégier et une autre est à écarter. La piste à privilégier consiste à recourir au financement concessionnel que les institutions multilatérales de développement mettent à la disposition des pays, notamment pour faire face au problème de déficit budgétaire. Le recours aux prêts en appui aux politiques de réformes macroéconomiques et sectorielles (Policy-based Loans) est une première piste qu’il convient d’envisager de toute urgence. Celles-ci ne sont pas toujours très contraignantes lorsqu’elles sont engagées en situation de relative aisance financière. Il convient de le faire de suite, avant que la situation ne rende inévitable la mise en œuvre de programmes d’ajustement structurel successifs selon le modèle établi par les institutions de Bretton-Woods et de ses partenaires du développement ».

En revanche pour l’expert algérien, « la piste à écarter est celle du recours aux marchés financiers pour des emprunts de court terme. Bien que les taux d’intérêt soient bas, il est à craindre que l’on entre à nouveau dans le cycle qui a conduit le pays à l’impasse et au programme d’ajustement structurel des années 80 ».

Nacer Bourenane estime également que « durant cette période de transition, des solutions de financement de plus long terme pourront être envisagées et mises sur pied pour appuyer une stratégie de relance et de développement durable.Quelques pistes pourront être explorées avec un succès probable. En premier lieu, la mobilisation de l’épargne intérieure, de celle de la diaspora algérienne et des sympathisants du mouvement social à l’étranger. L’élan créé par le mouvement social peut créer un momentum unique pour l’émission d’obligations d’Etat dédiés à des projets productifs à rentabilité certaine. La mise en place de fonds alternatifs d’investissement en partenariat avec des partenaires du développement et des fonds souverains pour financer des projets de développement à vocation exportatrice constitue également un instrument à considérer ».

Une condition cependant apparait essentielle selon Nacer Bourenane : « Seule une équipe de professionnels intègres, totalement indépendante de tous ceux qui sont ou qui ont été aux commandes de l’économie et de la gestion politique du pays ces dernières années pourra mener à bon port une telle action. C’est pour cela qu’il est urgent que le Pouvoir actuel dans ce qu’il exerce comme contrôle économique et financier cède la place à une équipe chargée de préparer la transition à la mise en œuvre d’une véritable stratégie de développement national durable. Cette équipe devra demeurer largement indépendante des tenants de l’autorité politique ».

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