Voici quelques semaines, un haut fonctionnaire algérien que nous interrogions sur la qualité des relations entre l’Algérie et les institutions financières internationales basées à Washington tenait encore à faire une distinction entre celles que nous entretenons avec la Banque Mondiale (BM) et celles qui concernent le FMI.
Les première sont réduites à leur plus simple expression depuis plusieurs décennies et expliquent, selon notre interlocuteur, la « désinvolture » avec laquelle la BM commentait voici encore quelques semaines, à la veille des assemblées de printemps de ces institutions, les perspectives économiques et financières de notre pays en n’hésitant pas à parler carrément d’une prochaine « crise financière » qui guetterait notre pays, sans provoquer d’ailleurs la moindre réaction officielle des autorités algériennes .
Dans le cas du FMI, les choses se présentent d’une façon bien différente, assurait notre haut fonctionnaire. Il s’agit d’une institution « avec laquelle les relations sont très denses et qui cherche à être écoutée ». Ce qui explique et souligne, par contraste, la modération fréquente de ses commentaires récents sur la situation économique de notre pays et le souci qu’elle manifeste de ne pas froisser les autorités algériennes.
Cette distinction est sans doute en passe de n’être qu’un lointain souvenir. Questionné hier sur le dernier rapport du FMI à propos de l’Algérie, le ministre des Finances Abderrahmane Raouya a sorti l’artillerie lourde. « L’Algérie a défini sa politique économique de façon souveraine. Les autorités algériennes ont opté pour l’endettement interne plutôt que l’endettement extérieur », a commenté sèchement le ministre.
Des déclarations qui marquent clairement un durcissement et augure selon toute vraisemblance d’une détérioration des relations entre notre pays et l’institution dirigée par Mme Christine Lagarde.
Un rapprochement des prévisions de croissance
Les choses avaient pourtant bien commencé. Une mission d’experts du FMI effectuée entre fin novembre et début décembre 2017 avait été essentiellement consacrée à collecter des informations destinées à la révision du cadrage macroéconomique du FMI sur l’Algérie. Ce dernier ne tenait pas encore compte du virage économique « à 180 degrés » opéré par le gouvernement algérien au cours de l’été 2017 et des nouvelles données contenues dans la Loi de finance 2018.
Sur ce chapitre, Abderahmane Raouya se montrait très confiant en estimant que « les corrections que le FMI apporte à ses prévisions initiales rejoignent souvent les taux projetés par l’Algérie ». « Il s’agit de prévisions qui peuvent être révisées », indiquait M. Raouya qui ajoutait que « les experts du Fonds monétaire international, en se référant aux données récentes obtenues concernant la courbe ascendante de l’investissement public, pensent à revoir leurs prévisions préliminaires ».
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Un pronostic confirmé au printemps 2018. Les experts du FMI en déplacement à Alger corrigeaient très fortement les prévisions initiales, et inquiétantes, formulées en 2017. Ils estimaient que « la croissance du PIB en Algérie devrait s’établir à 3% pour l’année 2018 », avant de freiner légèrement en 2019. Des chiffres repris sans changement par les différentes publications du FMI depuis cette date .
Vers un « dialogue de sourds » de plusieurs années
Ce rapprochement des prévisions de croissance entre les autorités algériennes et le FMI donnait cependant une indication trompeuse sur la qualité du dialogue entre les autorités algériennes et le FMI. Il est, en réalité, très loin de marquer une convergence des analyses sur la situation économique de notre pays. On peut considérer au contraire que ces dernières n’ont jamais été aussi éloignées qu’au cours des derniers mois.
Qu’il s’agisse des déficits publics, du recours à la planche à billets, de la gestion du taux de change, ou de l’endettement extérieur, sans même parler du chantier de longue haleine des « réformes de structures », les options récentes du gouvernement algérien tournent résolument le dos aux recommandations du FMI. Elles annoncent un « dialogue de sourds » qui pourrait bien se poursuivre pendant encore plusieurs années si on en juge par les décisions et les aménagements législatifs adoptés depuis l’été dernier par les autorités algériennes.
Le gouvernement relance le TGV des dépenses publiques
Au cœur des divergences, on retrouve sans surprise la question des dépenses publiques. L’une des premières décisions du gouvernement dirigé par Ahmed Ouyahia, et certainement la plus importante, a été de remettre en cause la trajectoire budgétaire 2016- 2019. Adoptée en 2016 par le Conseil des ministres et le Parlement, elle prévoyait un plafonnement des dépenses publiques pendant une période de trois ans dans le but de restaurer l’équilibre des finances publiques.
Même si le gouvernement promet de revenir à plus de modération dès l’année prochaine, la Loi de finances 2018 prend clairement le contrepied de la tendance que tentait d’imprimer les décisions prises en 2016. La très forte relance des dépenses, en augmentation de près de 25 %, annoncée pour 2018, va renforcer la dépendance de l’ensemble de l’économie algérienne à l’égard du budget de l’État et constitue un sujet de friction avec le FMI qui avait approuvé publiquement, et même cité en exemple pour les pays de la région , la démarche « vertueuse » de réduction des dépenses publiques inaugurée par la trajectoire budgétaire 2016- 2019.
Indépendance de la Banque d’Algérie et planche à billet
Mais c’est surtout l’adoption de la nouvelle loi sur le financement non conventionnel et la décision de recourir à la planche à billets pour financer le déficit budgétaire qui est le principal sujet qui fâche. En remettant en cause l’indépendance de la Banque d’Algérie, la décision des autorités algériennes s’oppose à un des principes de base de la doctrine des institutions financières internationales.
Dans ce domaine, le gouvernement algérien insiste sur le fait que cette mesure est « limitée dans le temps » à une période de 5 ans. Les déclarations récentes du ministre des Finances devant les parlementaires ont même tenté de « recadrer » le financement non conventionnel du déficit budgétaire en le limitant à une période de trois ans et en fixant son montant global à environ 3000 milliards de dinars (près de 26 milliards de dollars) sur l’ensemble de la période 2017-2019.
Le FMI, de son côté, exprime un point de vue très tranché : « Le financement non conventionnel va contribuer à aggraver les déséquilibres financiers internes et externes dont souffre déjà l’économie algérienne ». Il doit être limité dans le temps et dans son montant, estime-t-il. Le rapport publié la semaine dernière enfonce le clou et recommande de nouveau son abandon pur et simple dès l’année 2018.
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Le tabou de l’endettement extérieur
On le sait maintenant aussi, sur les questions fondamentales du recours à l’endettement extérieur et de la gestion de la monnaie nationale, les options retenues par les autorités algériennes sont aux antipodes des recommandations du FMI.
Pour le FMI, en matière de financement de ses dépenses, l’Algérie dispose de « marges de manœuvre » qui lui permettent d’adopter une démarche moins risquée pour la croissance. Quelles sont ces marges de manœuvre ? Les experts du FMI les désignent explicitement .Le gouvernement algérien devrait « prendre en considération une gamme plus large d’options de financement, y compris les emprunts extérieurs , le partenariat public privé et la cession d’actifs publics ». Le FMI recommande également un recours limité à l’endettement extérieur pour le financement de certains projets d’investissements.
Après avoir donné en 2016 l’impression d’un assouplissement de leur position concrétisé par un emprunt, d’un montant d’un milliard de dollars contracté auprès de la Banque africaine de développement, les déclarations récentes des responsables économiques algériens écartent désormais toute nouvelle initiative dans ce domaine.
Pas de concession sur la valeur du dinar
Mais c’est certainement à propos de la gestion de la valeur du dinar que les positions de l’Algérie et du FMI sont les plus éloignées.
Les experts du FMI se montrent plus que sceptiques à propos d’une gestion de la monnaie nationale qui a conduit ,depuis juin 2016, à stabiliser presque complètement la valeur du dinar par rapport au dollar. Au printemps dernier, ils affirmaient encore que « Les politiques monétaire, financière et de change devront soutenir l’ajustement. La poursuite des efforts en vue d’aligner le dinar sur la situation fondamentale de l’économie, combinée à des mesures visant à la résorption du marché des changes parallèle, favoriserait l’ajustement budgétaire et extérieur ».
Abderahmane Raouya a confirmé au contraire à plusieurs reprises, devant les parlementaires notamment, que le gouvernement algérien est fermement décidé à stabiliser « au cours des trois années à venir » la valeur du dinar au niveau atteint actuellement de 115 dinars pour un dollar, en continuant à ignorer, au passage, superbement l’existence du marché parallèle de la devise. Des positions qui seront bien difficiles à rapprocher au cours des prochaines années.