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Diffamation : le Maroc peut-il saisir la justice française ? Réponse lundi

Diffamation : le Maroc peut-il saisir la justice française ? Réponse lundi

Un État étranger, en l’occurrence le Maroc, peut-il saisir les juridictions françaises d’un recours en matière de diffamation publique ? La Cour de cassation tranchera lundi cette délicate question, qui revient à demander non pas si le recours est fondé mais s’il est possible.

La Cour de cassation, plus haute juridiction française, s’est réunie vendredi en Assemblée plénière, sa formation la plus solennelle, pour examiner trois questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) posées par le royaume chérifien. Sa décision ne sera pas susceptible d’appel.

Le Maroc a vu en 2017 et 2018 plusieurs de ses plaintes en diffamation jugées irrecevables au motif que le royaume, ne pouvant « être assimilé à un particulier », ne pouvait poursuivre en diffamation au titre de l’article 32 de la loi du 29 juillet 1881 qui « réprime la diffamation publique commise envers les particuliers ».

Ces plaintes visaient notamment des journalistes français et Zakaria Moumni, un boxeur qui a porté plainte en France pour torture contre le patron du contre-espionnage marocain, une affaire qui avait nourri une brouille diplomatique entre Paris et Rabat.

Pour les mêmes raisons, la justice française avait jugé irrecevable une plainte de l’Azerbaïdjan contre des journalistes français qui avaient qualifié cet État de « dictature » et son dirigeant de « despote ».

L’avocat du Maroc, Patrice Spinosi, a plaidé que pour trancher sur le bien-fondé d’une plainte, « encore faut-il que la porte du prétoire soit ouverte ». « Ici, a-t-il voulu rassuré, la question est uniquement de savoir si l’État étranger est recevable à saisir une juridiction, pas de savoir si son action est fondée ».

Le conseil du royaume a estimé qu’il y avait « une rupture d’égalité » devant la loi, dans la mesure où « l’État français a, lui, la possibilité d’agir en diffamation pour atteinte à ses corps constitués et administrations ».

« Nous sommes face à une mise en cause de la police marocaine. En France, le ministre de l’Intérieur pourrait agir », a-t-il affirmé.

Les avocats des journalistes et du boxeur, Jean-Pierre Chevallier et Stéphane-Laurent Texier, ont balayé ces arguments, estimant que ces questions n’étaient ni nouvelles ni sérieuses, ayant déjà été soumises à la Cour de cassation et ayant été au moins pour deux d’entre elles déposées « hors délais ».

Sur le fond, Me Chevallier a affirmé que le Maroc s’était lui-même « situé en tant qu’État souverain » et qu’il ne saurait donc invoquer la possibilité d’un recours.

« L’État marocain conteste l’absence de recours contre ceux qui le critiquent », a-t-il constaté, ajoutant que « la répression, certains États font ça très bien chez eux, ils n’ont pas à l’exporter ».

L’avocat général n’a pas été moins sévère, justifiant la différence de traitement de l’État français et d’un État étranger par la volonté du législateur de protéger « l’ordre public » et les prérogatives de la puissance publique.

Or « un État étranger n’exerce sa puissance publique que sur son territoire », a-t-il souligné, se livrant à une vibrante défense de la liberté d’expression, pilier des droits fondamentaux.

Il s’est opposé à la transmission des QPC au Conseil constitutionnel et a cité Georges Clemenceau, alors député de Paris, qui avait pris la parole contre des élus voulant instaurer un délit d’outrage de la République: « Je viens vous demander qu’on puisse impunément outrager la République… la République vit de liberté, elle pourrait mourir de répression ».

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