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Entretien avec le ministre de l’Industrie et des Mines Youcef Yousfi

Entretien avec le ministre de l’Industrie et des Mines Youcef Yousfi

L’industrie algérienne est en crise et sa part dans le PIB est très faible. Quelle est votre stratégie pour la redresser ?

Même si sa part dans le PIB reste à parfaire au niveau de l’économie nationale, l’industrie algérienne recèle néanmoins un formidable potentiel de développement et de croissance pour jouer un rôle important dans le cadre du processus de diversification et de transformation structurelle de l’économie nationale.

La stratégie retenue est articulée pour l’essentiel autour de :

– La dynamisation industrielle, tout particulièrement celle des filières de la sidérurgie, des matériaux de construction, de la pharmacie, du textile et de la mécanique notamment celle de l’automobile connue pour son caractère structurant sans omettre les activités à forte valeur ajoutée ;

– La restructuration du secteur public marchand à travers notamment la modernisation des entreprises, la diversification des produits et le partenariat ;

– La promotion non seulement de l’import-substitution et mais aussi celle de l’exportation ;

– L’encouragement de la sous-traitance industrielle notamment dans les domaines présentant un fort potentiel et relevant surtout des domaines mécanique, électrique et électronique ;

– L’amélioration de la compétitivité et de la productivité industrielle et minière à travers notamment la mise en place de structures d’appui technique et technologique ;

– L’amélioration de l’environnement des affaires.

Est-ce que l’Algérie n’a pas perdu assez de temps pour tenter de se doter d’une industrie lourde, alors qu’elle a de meilleures chances dans l’agriculture et le numérique ?

Il convient de rappeler que l’Algérie est un pays riche et diversifié en ressources naturelles, un avantage certain qui la prédispose pour le développement d’une industrie lourde qui se situe en amont de toutes les activités industrielles, et permettant justement une remontée aisée dans la chaîne des valeurs, synonyme d’un meilleur captage de la valeur ajoutée.

De même, notre pays possède les moyens pour développer de nouvelles branches industrielles pour lesquelles elle dispose non seulement d’avantages comparatifs naturels, mais aussi de savoir-faire et d’opportunités de positionnement sur les marchés internationaux, des activités qui s’inscrivent aussi dans le cadre de la politique de diversification et d’exportation.

Enfin, l’industrie ou même une industrie lourde n’est pas antinomique au numérique pour en constituer une alternative, bien au contraire, le numérique, qui est une activité de services, reste surtout un outil de transformation des économies, des sociétés, des industries et des entreprises.

Le Parlement vient de refuser l’institution d’une TVA de 19% sur les véhicules montés en Algérie. Quel est votre commentaire ?

L’Assemblée populaire nationale est une institution représentant le pouvoir législatif qui lui confère une souveraineté en la matière. Il s’agit d’un acte qu’il y a lieu de respecter.

Vous avez décidé de publier les prix « sortie usine » des véhicules assemblés. C’est une démarche inédite qui a affaibli les opérateurs. Pourquoi l’avez-vous fait ?

La démarche consistant à publier les prix n’est dirigée contre personne, elle s’inscrit dans le cadre de la réglementation en vigueur et par référence aux engagements auxquels ont souscrit les opérateurs dans leur cahier des charges, en matière notamment de prix et de transparence.

Ceci est amplement justifié par, d’une part, les avantages accordés par les pouvoirs publics à cette industrie et d’autre part, au regard de la fermeture du marché local à l’importation durant la période de leur maturation.

La décision a été suivie par une campagne de boycott des voitures « made in Algérie », sous le slogan « Khaliha Tsadi ». Pensez-vous que les prix appliqués par les constructeurs sont gonflés ?

Il convient de noter que les autorités ont une double responsabilité en la matière : encourager certes les investisseurs dans le domaine automobile mais veiller aussi à la protection des droits du consommateur et des citoyens en général. C’est pourquoi, la transparence doit être de mise pour rétablir la confiance du citoyen et l’État veillera à mettre en place les instruments et mécanismes nécessaires à cet effet.

Le cahier des charges fait obligation à la société de montage et de production de véhicules opérant en Algérie d’atteindre un taux d’intégration de 40% à 60% au terme de la cinquième année d’activité. En absence d’un marché de sous-traitance fiable, pensez-vous que cet objectif soit réalisable ?

Les objectifs affichés en termes d’intégration sont parfaitement réalisables par rapport à notre réalité industrielle. La démarche prévue présente une souplesse qui concilie plusieurs objectifs : l’intégration physique, la sous-traitance locale, l’exportation de véhicules, l’exportation des produits issus de la sous-traitance et le développement du capital humain.

S’agissant de la sous-traitance industrielle, elle figure parmi les priorités dans la politique du gouvernement et un dispositif particulier et incitatif a été mis en place qui accorde des exemptions des droits de douane et de la taxe sur la valeur ajoutée pour les composants et matières premières importés ou acquis localement par les sous-traitants agréés, dans le cadre de leurs activités de production d’ensembles et de sous-ensembles destinés aux produits et équipements des industries mécaniques, électroniques et électriques.

Ce mécanisme qui s’appuie sur le rapprochement et la coopération entre les acteurs d’une même filière permettra d’insuffler une nouvelle dynamique au marché de la sous-traitance non seulement au niveau du marché de l’automobile certes, mais aussi auprès des autres grands donneurs d’ordre afin de réduire davantage la facture d’importation des composants et des pièces de rechange.

La finalité étant de densifier davantage le tissu de la sous-traitance, de l’inscrire dans la chaîne des valeurs internationales et à améliorer ainsi l’attractivité du pays en matière d’investissements industriels.

L’instabilité juridique sème le doute sur le climat des affaires en Algérie et décourage, selon certains observateurs, les investisseurs étrangers. Quel est votre avis ?

Notre pays a inscrit son action dans un processus de diversification économique nécessitant la mobilisation de ses forces vives ainsi qu’une participation plus grande des investisseurs locaux et étrangers à s’impliquer dans ce processus. Pour attirer l’investissement, l’environnement de l’entreprise doit être suffisamment attractif afin que les opérateurs économiques bénéficient des conditions les plus favorables pour mener leurs activités. Ce qui a conduit les pouvoirs publics à considérer l’amélioration de l’environnement des affaires comme un axe stratégique de leur plan d’action, exprimant ainsi leur volonté de favoriser l’entrepreneuriat et l’investissement grâce à la mise en œuvre de mesures de facilitation visant à lever les obstacles éventuellement rencontrés par les investisseurs.

Les réaménagements et ajustements du cadre législatif et réglementaire réalisés et/ou en cours de consolidation visent à parachever et simplifier les dispositifs réglementaires devant soutenir la liberté d’investir et l’entrepreneuriat.

En effet, les réformes concrétisées par notre pays couvrent aussi bien les aspects liés à la réglementation que ceux liés à l’organisation des processus au niveau des administrations économiques.

La mobilisation des administrations économiques autour de ces défis est effective. À cet effet, les ministères concernés par la création d’entreprises et l’investissement se concertent régulièrement pour prendre les mesures nécessaires et pour assurer le suivi de leur mise en œuvre en vue d’améliorer le climat des affaires et restaurer la confiance des investisseurs.

De son côté, notre département ministériel est fortement impliqué dans le processus de diversification de l’économie nationale à travers ses appuis à la relance de l’investissement et à la dynamisation de l’entrepreneuriat pour soutenir le développement de la production nationale. Cette option s’est traduite par la mise en place de réformes structurantes, notamment celles relatives à la loi sur l’investissement et à la loi sur la PME qui visent à simplifier les procédures d’investissement et à accompagner le développement de l’entreprise. Les réajustements réglementaires visent donc une plus grande souplesse des procédures inspirées des meilleures pratiques internationales.

Des incitations aux investisseurs et aux opérateurs économiques ont également été mises en place afin de les encourager à participer à l’effort de diversification économique. Il est vrai que leur participation ne saurait être effective sans l’instauration d’un cadre propice aux affaires. Aussi, notre action s’est concentrée, de manière permanente, d’une part, sur l’amélioration des dispositions réglementaires de l’investissement et d’autre part, sur l’optimisation des dispositifs administratifs d’appui et d’accompagnement de l’investisseur et de l’entrepreneur.

Par ailleurs, des actions d’allégement et de simplification ont été menées par l’ensemble des services relevant des administrations économiques impliquées dans les processus d’amélioration de l’environnement des affaires, notamment grâce à la réingénierie des procédures et à l’introduction de procédés électroniques dans l’accomplissement des démarches exigées à l’entrepreneur.

À titre d’exemple, l’expérience récente en matière de création d’entreprise en ligne représente une avancée qui sera capitalisée et enrichie au fur et à mesure par d’autres services d’accompagnement des entreprises. À cet effet, les administrations impliquées dans l’acte d’investir ont déjà procédé au développement et à l’amélioration de services en ligne. C’est un début prometteur qui anticipe la mise en place de guichets uniques au niveau de la plupart des institutions impliquées dans les processus d’investissement et d’entrepreneuriat.

Cependant, l’amélioration du climat des affaires implique également d’autres mesures qui relèvent de l’organisation interne, telles que :

1. L’accueil au niveau des structures concernées,

2. L’affichage des procédures dans les structures d’accueil,

3. La communication sur les procédures,

4. La formation des personnels en relation avec le public, etc.

En conclusion, il convient de souligner qu’il existe une volonté réelle de mettre un terme aux procédés bureaucratiques et aux pratiques qui ralentissent l’investissement et freinent les investisseurs souhaitant participer à l’effort de diversification économique visant la croissance et la création d’emploi.

Aussi, et comme vous pouvez bien le constater, ce qui est considéré comme une instabilité juridique en apparence reflète en réalité les efforts du gouvernement vers une plus grande visibilité et transparence de l’investissement soutenue par une stratégie de développement économique appropriée.

L’Algérie a effectué ses premières exportations de ciment. Quelles sont, selon vous, les autres branches susceptibles de promouvoir les exportations hors-hydrocarbures ? Quels sont vos objectifs ?

Évidemment, il y a d’autres branches industrielles présentant un fort potentiel à l’exportation. On pourrait citer la méga-usine de textile à Relizane, les grands projets sidérurgiques, la mécanique dont la construction automobile. On peut également citer l’électroménager et l’électronique grand public, les médicaments, sans oublier la valorisation des ressources minières dont le phosphate et les engrais.

Les objectifs demeurent certes la reprise de la croissance et l’investissement mais faire aussi de l’industrie un outil de diversification de l’économie nationale qui permettra d’atténuer la dépendance de l’économie nationale des hydrocarbures et d’arrimer progressivement mais durablement l’industrie dans les échanges commerciaux internationaux.

Le problème du foncier industriel constitue une entrave à l’investissement en Algérie. Vous avez déjà évoqué la « récupération du foncier non exploité ». Où en est l’opération ?

En effet, le foncier industriel inexploité constitue un gisement potentiel dont la récupération demeure une des alternatives envisageables à même d’atténuer la tension persistante qui s’exerce sur cette ressource non renouvelable.

S’agissant du foncier octroyé dans le cadre du régime de la cession, la mise en œuvre d’un dispositif dissuasif a été prise pour parer à ce phénomène de non-exploitation de ces terrains.

Pour ce faire, l’article 104 de la Loi de finances pour 2018 modifiant et complétant l’article 76 de la loi de finances complémentaire pour 2015, prévoit l’institution d’une taxe de 5% à la charge de tout bénéficiaire de terrain viabilisé à vocation industrielle situé en zones industrielles ou en zones d’activités, mis sur le marché par voie de cession par les organismes aménageurs publics, demeurés inexploités pendant une période supérieure à 3 ans tel que constaté par les services habilités.

La perception de cette taxe n’exempte pas le bénéficiaire du terrain des éventuelles poursuites judiciaires pour la résiliation de la transaction.

Pour la mise en œuvre de ce dispositif, un projet de décret exécutif fixant les modalités d’application de cette taxe est en cours de finalisation en collaboration avec le ministère des Finances pour assurer le recouvrement de cette taxe.

En ce qui concerne le foncier octroyé dans le cadre du régime de la concession, l’article 12 Ordonnance n° 08-04 du 1er septembre 2008 fixant les conditions et modalités de concession des terrains relevant du domaine privé de l’État destinés à la réalisation de projets d’investissement, dispose que tout manquement du concessionnaire à la législation en vigueur et aux obligations contenues dans le cahier des charges fait l’objet de procédure de déchéance, auprès de la juridiction compétente, à la diligence du Directeur des domaines territorialement compétent.

Le complexe d’El Hadjar a bénéficié de plusieurs plans de développement qui ont échoué. L’État a injecté des milliards mais les résultats n’ont pas atteint les objectifs escomptés. Dernièrement, le CPE a un nouveau plan de sauvetage avec de nouveaux budgets. Qu’est-ce qui garantit selon vous la réussite de la démarche ?

Le complexe d’El Hadjar a connu plusieurs changements au cours de sa vie d’entreprise, il a aussi été privatisé et a connu aussi beaucoup de perturbations tant sur le plan social que managérial. Mais pour ce qui est du financement des investissements, il s’agit de crédits remboursables accordés par des banques au même titre que n’importe quelle entreprise voulant investir.

Il est important de souligner que le complexe d’El Hadjar n’a pas bénéficié, encore une fois, d’un nouveau crédit, mais il s’inscrit dans le cadre de son plan de développement qui est prévu en plusieurs étapes à savoir la réfection du haut fourneau, la mise à niveau des laminoirs et la sécurisation du site.

La validation de la deuxième phase, qui est en cours de réalisation, a nécessité une attention particulière qui prend en compte certains paramètres, telles que la conjoncture nationale, l’évolution du marché national ainsi que les nouvelles évolutions des technologies dans le domaine.

Le marché de la sidérurgie a bien été étudié, de l’amont (les gisements des mines, logistiques..) à l’aval (transformation, sous-traitance..) et les contraintes initialement non prises en charge ont été intégrées dans ce plan de développement (approvisionnement en électricité, en eau industrielle.. etc).

Le but étant d’avoir des investissements dans une logique de continuité avec un effet d’entraînement sur les autres secteurs importants et un impact sur l’économie nationale positif.

Aujourd’hui, le secteur de la sidérurgie est en pleine évolution et les retombées positives commencent déjà à se voir, à travers la disponibilité des produits sidérurgiques de production locale, la chute des prix et les premières opérations d’exportation qu’a réalisées le complexe et qui avoisinent les 50 millions de dollars, pouvant atteindre 120 millions de dollars à la fin de l’année 2018.

D’autre part, avec le réaménagement du plan de développement de la deuxième phase, le complexe d’El Hadjar a investi dans un nouveau partenariat avec une entreprise émiratie qui va produire les tubes sans soudure, les laminés marchands et les profilés, produits jusque-là importés.

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