L’Algérie s’apprête à donner un nouveau tour de vis aux transferts des devises en soumettant ces opérations à l’accord préalable du Conseil du gouvernement. Dans cet entretien, l’économiste Smaïn Lalmas évoque les causes et les conséquences de cette décision prise dimanche en Conseil des ministres.
Lors du conseil des ministres tenu dimanche dernier, il a été décidé de « soumettre, à l’avenir, tout engagement financier dans l’importation et toute transaction en devises à l’approbation préalable du Conseil du gouvernement en vue de protéger le produit national, encourager sa consommation au niveau local et préserver les réserves de change ». Que signifie cette décision ?
Smain Lalmas, consultant et président de l’ACE (Algérie conseil export) : cette décision a pour but, selon l’argumentaire avancé par les décideurs, de contrôler et réduire la facture des importations, de protéger la production nationale et d’encourager la consommation du produit local. Mais Il faut savoir que gérer de façon administrative une activité économique aussi sensible et importante sur laquelle repose notre économie va causer des lenteurs et un dysfonctionnement du marché causant des blocages et des lenteurs en approvisionnement notamment de l’appareil de production, parce qu’on oublie souvent que ce dernier dépend en grande partie de l’importation de matières premières, d’intrants, produits semi-finis et autres.
Par ailleurs, la chute vertigineuse du dinar face aux monnaies étrangères ces derniers temps, ainsi que l’application du DAPS (droit additionnel provisoire de sauvegarde) pour un grand nombre de produits vont forcément compliquer et même freiner sérieusement l’activité d’importation, pour la simple raison que cela va causer une inflation importante, difficilement contrôlable avec le temps.
Ceci dit, le pouvoir a toujours voulu avoir la mainmise sur les opérations d’importation, l’épisode des licences attribuées par le ministère du Commerce n’est pas si loin, avec tout ce que cela a causé comme désordre, mais soumettre à l’approbation du Conseil du gouvernement tout opération d’importation, à mon avis c’est une première, je pense sérieusement que l’Exécutif ne fait plus confiance en ses structures pour gérer une activité qui a connu par le passé énormément de scandales.
Quelles sont les causes et quelles seraient les conséquences d’une telle décision ?
Pour le pouvoir, cette démarche va permettre de contrôler l’activité d’importation de certains gros commerçants, sachant que souvent cette activité commerciale est très convoitée parce qu’elle génère énormément d’argent, ce qui va lui permettre de rafraîchir, diversifier et renouveler son portefeuille clients d’affaires, qui sera à terme indispensable pour appuyer et accompagner certaines actions politiques, comme le futur referendum du 1er novembre, s’il aura lieu, et bien sûr financer les futurs campagnes électorales et autres actions de propagandes. Des actions que nous avons connues par le passé et qui se dessinent au temps présent. C’est peut-être un nouveau plan, innovant de cet Exécutif pour réduire la fraude et les surfacturations de certains opérateurs, oubliant qu’il s’agit de milliers d’opérations d’importation. Comment va-t-il faire pour contrôler toutes les opérations ? Je suppose qu’on est nombreux à attendre le détail de ce plan. Est-ce que pour ce gouvernement, l’économie se limite juste au contrôle de l’importation ?
Au plan économique, cette manière de contrôler l’activité importation, va causer énormément de dérapages et de désorganisation du marché qui connaîtra des difficultés en approvisionnement. Cette démarche va forcément aggraver le fléau de la corruption qui a fait notre réputation à l’international depuis quelques années, sans oublier que cela va engendrer la perte de milliers d’emplois, un manque à gagner au Trésor public en termes d’impôts et de cotisations patronales, encourageant ainsi, au passage, l’économie parallèle connu sous le terme « trabendo ».
Il faut laisser les importateurs importer avec leurs propres devises, une manière de préserver nos réserves en devises, maintenir l’activité importation qui fait travailler des milliers d’emplois directs et indirects, assurer l’approvisionnement de notre marché, et aussi absorber l’argent dormant souvent issu de l’informel.
Lors du même Conseil des ministres, il a été également demandé de « soumettre à l’approbation préalable » du Conseil du gouvernement ou du conseil des ministres, « en cas de nécessité, toutes les mesures relatives à la définition » de la liste des produits interdits à l’importation par l’Algérie. Qu’est-ce cela signifie et quelle est la lecture que vous en faites ?
D’habitude, cela fait partie des prérogatives du ministère du Commerce d’élaborer les listes d’interdiction de produits à l’importation. Une approche, qui, encore une fois, n’a aucun sens. Il y a d’autres formules et approches beaucoup plus techniques pour réguler les équilibres de la balance commerciale, surtout qu’une décision pareille va provoquer la perte de milliers d’emplois sans pour autant œuvrer pour la mise en place d’un climat des affaires qui serait favorable à un investissement intense pouvant ainsi combler la mort de toute une activité, et sans pour autant étudier l’impact ou les conséquences de ce genre de décisions irréfléchies sur la société. Mais la nouveauté, c’est faire passer la liste de produits interdits à l’importation par le Conseil des ministres ou du gouvernement, cela à mon avis, dénote bien de l’absence de cohésion et de confiance au sein de l’Exécutif.
En 2020, des interdictions et des restrictions ont concerné le secteur du montage automobile ainsi que celui des produits électroniques et électroménagers, et plus récemment une liste de produits agricoles et agroalimentaires. Quel a été l’impact sur la facture des importations ?
Le recul de la facture des importations durant les six premiers mois de 2020 est dû essentiellement à la situation sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 qu’a connue toute la planète et donc la fermeture et l’arrêt des activités d’une grande majorité des entreprises à travers le globe et notamment l’atelier du monde, à savoir la Chine. Vous comprendrez donc que les échanges étaient presque à l’arrêt pour une bonne partie de produits dont ceux que vous avez cités. En conclusion, ce recul n’est pas le résultat de la politique d’interdiction qui n’était pas à l’époque encore mise en application.
Concernant les restrictions dans le domaine de l’automobile et l’électrodomestique, il va y avoir, dans un avenir proche, une révision de la règlementation avec plus de souplesse pour l’importation des composants et produits semi-finis, même un allègement fiscal et douanier envisageable. Cette révision sera dictée par la pression du lobby d’hommes d’affaires et d’opérateurs qui va refaire peau neuve, et se recycler pour exercer une forte pression sur le pouvoir afin de revoir sa copie concernant un certain nombre d’interdictions, sachant que ce dernier aura besoin, dans un avenir proche, d’un lobby économique fort pour l’accompagner dans la mise en place de sa politique de gouvernance de la même manière que par le pouvoir par le passé.