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Entretien avec Sid Ahmed Ghozali : « La planche à billets, c’est de la fausse monnaie »

Entretien avec Sid Ahmed Ghozali : « La planche à billets, c’est de la fausse monnaie »

TSA Algérie

La Loi de finances est basée sur un baril à 50 dollars. Ce qui correspond au prix réel du baril sur le marché. Ahmed Ouyahia a déclaré qu’il y avait seulement 50 milliards de dinars dans les caisses de l’État au 31 août dernier. Est-ce normal d’arriver à cette situation ?

Le premier devoir du responsable politique est de dire la vérité aux citoyens, de leur livrer régulièrement les données de base liées à leur vie quotidienne et à leur avenir. Sur ces deux plans, le pouvoir politique est défaillant et cela date de longtemps.

Est-il normal d’arriver à la situation que vous évoquez ? Vous aurez observé que, depuis plus de trois années, dans les salons et les médias, dans les chaumières et les cafés, il n’est question que du prix du pétrole : il y a derrière cet état de fait une campagne de diversion, aussi insidieuse qu’elle est outrancière, et qui vise à incruster dans les esprits l’idée trompeuse que la situation de précarité de notre économie aurait pour cause un facteur extérieur, le prix du pétrole. On veut préparer l’opinion à une proche et inévitable réduction drastique de son train de vie, tout en exonérant le pouvoir politique de toute responsabilité.

Nos déboires d’aujourd’hui, et ceux plus dramatiques que nous vivrons demain, relèvent d’autres causes que la chute du prix du pétrole. Celle-ci  n’a fait que mettre à nu une situation désastreuse, occultée à dessein, à savoir que nous vivons avec une richesse que nous n’avons pas créée. Une richesse épuisable de surcroît.

Vous dites que le pouvoir prive la population d’informations. Estimez-vous qu’il cache de nombreux éléments sur la dépense publique ?

Il cache tout aux Algériens. Durant plus de seize ans, les lois de finances ont été bâties sur une sous-estimation délibérée et arbitraire des recettes de l’État. Quand vous fixez arbitrairement vos revenus à un niveau inférieur par rapport à la réalité, cela veut dire que vous soustrayez subrepticement du contrôle l’APN la plus grosse partie du budget de l’État, au profit de l’Exécutif qui en fait ce qu’il veut, ce qui est violemment contraire à la Constitution.

Car, dans tous les pays du monde, c’est aux parlementaires qu’il revient de droit de fixer les revenus et les dépenses de l’État. Tous les revenus et toutes les dépenses. Arrêter le budget de l’État est un privilège fondamental des Assemblées élues.

Certes, pourrait-on objecter, cela ne change rien dans une Assemblée croupion, beni-oui-oui, au sein de laquelle on ne fait qu’avaliser le bon vouloir du prince.

Il demeure que depuis plus de seize ans, l’Exécutif a, de facto et ouvertement, usurpé les prérogatives de l’Assemblée : outre qu’il est dans l’illégalité, cela veut dire aussi qu’il ne peut en aucun cas s’exonérer de la responsabilité politique et morale de la situation.

Ahmed Ouyahia est revenu sur la manière de fixer le prix du baril dans la Loi de finances en la présentant comme un élément prouvant la prévoyance de l’État…

C’est une choquante contre-vérité ! Pourquoi le pouvoir n’avait-il pas prévu la situation dans laquelle on se retrouve aujourd’hui ? Pourquoi n’avait-il pas profité de dix-sept années d’aisance financière pour essayer de faire sortir l’Algérie de la dépendance des hydrocarbures ?

Est-ce qu’on vous a parlé du prix du pétrole quand il était passé à 100 puis 150 dollars ? Jamais ! C’est que le pouvoir voulait vous faire croire que la situation d’aisance était due à sa gestion. Il est allé jusqu’à rembourser, par anticipation, la dette extérieure reproduisant la même erreur commise dans les années 1980. Lorsque le prix baril a baissé au point d’atteindre les 11 dollars en 1986, l’Algérie avait commencé à s’endetter clandestinement. Le pouvoir qui avait triomphalement proclamé en 1983 « Nous avons désendetté l’Algérie » ne pouvait pas alors revenir trois ans après vers le peuple pour lui annoncer que nous allions nous rendetter pour acheter de la semoule. Le résultat en fut que le service de la dette a atteint en 1989, le niveau insoutenable de 70% des recettes d’exportation.

Vous doutez donc de tous les chiffres donnés par Ahmed Ouyahia à l’Assemblée nationale ?

Que des contre-vérités ! Dès le départ, le gouvernement tente de vous convaincre que nos problèmes sont liés à la chute du prix du pétrole (le mensonge de base). La Sonatrach a vendu son premier baril à 1,60 dollars, je dis bien un dollar et soixante centimes ! Et à l’époque, il n’y avait pas de chômeurs. Nos revenus se sont élevés sur 17 ans à 25 milliards de dollars. Durant les dix-huit dernières années, nos revenus ont dépassé 1000 milliards de dollars.

Ahmed Ouyahia a estimé que notre économie est aujourd’hui diversifiée et que ce sont nos exportations qui ne le sont pas. Êtes-vous d’accord avec lui ?

Il ne peut pas avoir dire cela ! Ce serait un déni de réalité outrancier. Avec quoi finance-t-on les routes que nous construisons et le pain que nous mangeons ? Nos revenus d’exportation, à 99%, proviennent de notre production d’hydrocarbures. Dire que 99% provenant d’un seul produit c’est de la diversité, c’est montrer un mépris souverain du peuple et une insulte à l’intelligence.

La gravité de notre problème réside dans la précarité du fonctionnement de l’économie et de la vie quotidienne tout court.

Entendez-vous parler de la chute du prix international du parfum par exemple en France ? Non, car ce pays produit des dizaines de milliers de produits différents, de l’Airbus au fromage en passant par les voitures et l’électronique. Et malgré cela, il trouve des difficultés à joindre les deux bouts. Que dire d’un pays qui ne produit que des hydrocarbures. Dire que notre économie est diversifiée, c’est tromper les gens et se tromper soi-même, ou les deux à la fois.

Le problème de l’Algérie ne réside pas ailleurs que dans un échec tragique de notre émancipation vis-à-vis du pétrole… Si tant est que le pouvoir politique ait jamais songé ou tenté une telle émancipation.

Au contraire, on a tenté d’enfoncer dans les esprits le concept stupide du « Pétrole malédiction ».

Le gouvernement a décidé de recourir au financement interne non-conventionnel pour faire face à la crise financière. Est-ce mieux que l’endettement extérieur ?

Si vous empruntez de l’argent pour le dilapider aussitôt dans la consommation,  les dépenses dispendieuses ou la corruption, vous appauvrissez le pays, il n’y a aucun doute là-dessus.

Si vous empruntez pour investir dans le développement des énergies, individuelles et collectives,  créatrices de richesses pérennes, vous enrichissez le pays. Dans ce dernier cas, l’endettement est une pratique non seulement bonne mais indispensable.

Quant à l’endettement interne non-conventionnel, il va avoir un effet immédiat : la dévaluation du dinar et la chute du pouvoir d’achat des Algériens. Ce mode de financement se fera au détriment des couches vulnérables et des classes moyennes de la population actuelle mais aussi de la population future. En fait, c’est manger le pain de nos enfants.

Comment ?

Pas besoin d’expertise pour savoir que l’euro que vous achetez sur le marché à 200 dinars, vous coûtait il y a dix ans deux fois moins.

Notre pouvoir d’achat a été divisé par deux : il continuera à s’éroder, n’ayez aucune doute sur ce point. Parce qu’il n’y a pas de miracles. La planche à billets ressemble à la création de la fausse monnaie par un faussaire. La planche à billets, c’est de la fausse monnaie. Ce n’est autre que dépenser plus qu’on ne gagne. Dans la deuxième moitié des années 80, le pouvoir faisait de fausses déclarations sur ses endettements. Il mentait sur la dette à ceux qui lui prêtaient de l’argent ! La tradition voulait que le FMI et la Banque mondiale publient les chiffres donnés par les gouvernements. Mais ils n’en pensent pas moins. Le FMI et la Banque mondiale ne peuvent pas ignorer un sou emprunté par un pays.

Avez-vous été amené à mentir sur les chiffres durant cette période ?

Le gouvernement Merbah (dont je fus le ministre des Finances durant neuf mois) a trouvé les caisses vides et le montant de la dette considéré comme secret (sic). Nous passâmes les neuf mois à éteindre le feu. Nous avons été les premiers à dire la vérité aux Algériens. J’avais révélé le montant de la dette (24 milliards de dollars) dans une interview accordée à El Moudjahid.

Ahmed Ouyahia a tenté de rassurer sur la dévaluation du dinar en rappelant que nos réserves de change sont à 103 milliards de dollars…

Le pouvoir sera vite rattrapé par la réalité qu’il feint de minimiser. Le taux officiel du dinar est fixé arbitrairement : il est très surcoté par rapport au taux du marché. Qu’on explique donc la dévaluation du dinar durant ces dix dernières années ! On a joué avec la planche à billets sans le dire. Quoi qu’il en soit, faire croire aux Algériens que notre problème est lié au prix du pétrole et qu’on peut résoudre ce problème en faisant marcher la planche à billets, c’est leur mentir. Qui va juger entre les deux affirmations contraires ? Ce sont les résultats qui interviendront dans un avenir pas lointain. Sur le terrain et dans les conditions de vie des Algériens.

Vous étiez chef du gouvernement quand l’Algérie s’est retrouvée en cessation de paiement. On s’approche sûrement de cette situation…

C’était il y a un quart de siècle déjà !

Il n’y a pas de miracles. Sauf si on commence à serrer les vis en divisant par quatre par exemple les importations. Et là, je vous renvoie au cas de Nicolae Ceausescu. Lui aussi a remboursé la dette de la Roumanie… Mais en jetant le pays dans un état de misère noire dont il n’est pas sorti trente ans après. Résultat : l’économie de la Roumanie est « morte guérie » de la dette. Nous sommes en train de réinventer des choses qui étaient inconnues de l’humanité jusqu’à maintenant. C’est-à-dire que nous croyons avoir trouvé un moyen de vivre avec la planche à billets. Avec du vent en somme.

Pour aller vers le financement interne non-conventionnel, un projet amendant la loi sur la monnaie et le crédit a été soumis aux députés…

Le projet de la loi sur la monnaie et le crédit, instauré par le gouvernement Hamrouche, était d’empêcher le bricolage monétaire politicien par l’instauration d’une autonomie de la Banque d’Algérie. Le pouvoir est déjà revenu sur cette loi bien avant le nouvel amendement annoncé aux fins de nouvelles manipulations.

Rien de nouveau donc, dans ce bricolage auquel le pouvoir nous a habitués.

De plus en plus de personnalités appellent à l’application de l’article 102 de la Constitution sur l’état d’empêchement du Président. Trouvez-vous cela nécessaire ?

C’est le genre d’ordre du jour qui consiste à vous pousser vers le trou dans lequel le pouvoir veut nous enserrer tous.

Le président de la République est, semble-t-il, dans un état de santé que personne ne souhaiterait voir perdurer, mais qui n’est pas le plus adapté à l’exercice de hautes responsabilités politiques. Cela dure depuis 2005 et pas depuis quatre ans. Cela n’a pas empêché un quatrième mandat en 2014. Mais le problème est-il là où on voudrait-on nous cantonner ?

Selon la Constitution, le Président est élu par le peuple. La pratique est tout autre, vous le savez bien, et nous l’avons tous observée depuis plusieurs décennies. Donc, le problème n’est pas lié au président de la République. Un train en cache un autre.

Pour peu qu’on accepte de se soigner, la maladie la plus grave n’est pas celle de la personne, dont par ailleurs on exhibe, comme avec délectation, une image dégradante depuis quatre ans. La gravité réside bel et bien dans le refus obstiné d’un système politique usé jusqu’à la jante et qui refuse de traiter sa propre maladie.

Qui assume la responsabilité de la crise dans laquelle se débat le pays ?

Certains voudraient bien nous faire croire que c’est la faute d’un homme. Braquer l’attention sur tel ministre, tel Premier ministre ou sur le chef de l’État est une manière de tromper les gens. Le sommet-même de l’Exécutif a contribué à tromper les Algériens en déclarant à la veille du troisième mandat : « Nous nous sommes cassé le nez mais je n’accuse personne ». Autrement dit : « Nous avons échoué mais il n’y a pas de responsable ». Cela veut dire qu’il s’excluait lui-même de la responsabilité. Ce qui est considérable ! Comment ont réagi les personnes qui étaient dans la salle ? Nous l’avons vu à la télé, elles ont scandé : « Troisième mandat ! », « Troisième mandat ! ». Donc, l’Algérie est dans une situation surréaliste. Vous comprenez donc le refus de parler des personnes. Je ne veux tout simplement pas m’associer d’une quelconque façon à la tromperie organisée envers le peuple.

Vous n’avez jamais exclu un cinquième mandat. Êtes-vous toujours convaincu que le Président pourrait se représenter en 2019 ?

Absolument ! Il y a bien eu une campagne électorale en 2013, alors que le candidat officiel ne pouvait pas se déplacer ! Si Dieu lui prête vie et s’il récupère sa santé, ce que je lui souhaite personnellement, il n’y a aucune raison d’exclure un cinquième, voire même un sixième mandat.

Le Président n’aurait jamais eu un deuxième, un troisième ou un quatrième sans la bénédiction, le bon vouloir, les efforts et choix décisifs de la machinerie du système. En réalité, il n’aurait même pas eu un premier mandat. Ne nous avait-on pas dit en 1999 explicitement : « …Nous avons choisi le moins mauvais ».

Le mode de pourvoi de tous les postes de la fonction publique, jusques et y compris la plus Haute, étant ce qu’il est, la récurrente question du nième mandat qui remplit la scène invariablement depuis 18 ans est en réalité tout à fait secondaire.

La Constitution l’empêchera de briguer un sixième mandat…

A-t-on, une seule fois, vu le pouvoir se gêner pour disposer comme il veut de la Constitution ? En 2003, le Président avait, rappelez-vous, déclaré urbi et orbi « anti-démocratique » la limitation du nombre de mandats. Et cette limitation fut aussitôt supprimée de la Constitution.

Aujourd’hui, on dit vouloir rétablir cette limitation. La même autorité trouverait donc maintenant « démocratique »  ce qu’elle avait déclaré hier anti-démocratique ?

La présidence à vie émane uniquement de la volonté de Abdelaziz Bouteflika ou du système ?

Il ne suffit de vouloir mourir président, c’est là une prérogative divine. Dans notre système, seul le système détient les moyens physiques, matériels, politiques et coercitifs pour constitutionaliser la présidence à vie.

Un système politique qui ne rend compte à personne. Un système politique qui, à l’instar de Dieu, peut demander des comptes à tous, mais n’en rend à personne.

Vous aviez toujours affirmé qu’il n’y avait pas d’opposition en Algérie. D’où viendrait donc la solution ? Est-ce que l’armée devrait intervenir comme le souhaitent certains opposants ?

Il ne peut pas y avoir d’opposition là où le pouvoir interdit l’opposition. Ce qui s’est passé avec le Front démocratique en est une des preuves les plus évidentes : un parti agréé par la loi et interdit par le pouvoir, et cela dure depuis 17 ans.

Plus précisément, depuis 17 ans, un mois et 22 jours, le pouvoir viole la loi en privant 10.000 militants du FD de leurs droits civiques.

Ensuite, quand vous parlez de l’ANP, il faut préciser de quoi et de qui vous parlez. La partie militaire de la société est aussi plurielle et diverse que sa partie civile. Le militaire lambda est comme vous et moi. Il est faux de croire que la société algérienne est composée d’un côté de civils et de l’autre de militaires.

Cela étant dit, les communiqués officiels qui périodiquement assènent l’idée que « l’ANP s’est retirée de la politique depuis 1989 » est entièrement démentie par les faits depuis 28 ans.

Pourquoi ne pas dire clairement que l’Armée a un rôle de fait. Son intervention est indispensable dans toute situation transitoire.

Dans une situation normale, il n’est pas bon que les tenants du pouvoir soient les détenteurs des armes aux lieu et place des institutions instaurées à cette fin.

Mais nous ne sommes pas dans une situation normale. Et tout passage d’une situation de pouvoir autoritaire à un pouvoir démocratique implique une transition où les institutions ont besoin d’être protégées contre l’aventurisme. Qui a les moyens de défendre les institutions ? Pas vous, ni moi qui ne jouissons même pas de nos droits civiques, notamment celui de nous organiser en groupements politiques. C’est l’Armée qui est le seul corps social organisé.

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